une scène de ménage qui finit bien

Publié le 07 février 2015 par Dubruel
( I )

Un bon ménage, les Baril,

Bien qu'un peu trop guerroyant.

S'ils se querellaient souvent

C'était pour des causes futiles,

D'ailleurs, très vite, ils se réconciliaient.

Commerçant retraité,

Baril avait loué à Meudon

Un petit pavillon

Et s'était gîté là avec sa femme.

C'était un homme calme

Dont les idées

Bien assises, se levaient

Difficilement.

Il pensait peu mais à bon escient

Et ne prenait une résolution

Qu'après mûres réflexions.

Sa femme, d'un caractère emporté,

Passait dans le quartier

Pour une femme très belle

Mais de nature rebelle.

Baril lui avait demandé un matin :

-" Est-ce que tu connais nos voisins,

Ceux de la jolie maison,

À l'angle de la rue du Midi ? "

-" Oui et non. "

-" Hier,

J'ai rencontré le mari... "

Voyant sa femme sur les nerfs,

Baril lui a aussitôt précisé :

-" C'est lui qui m'a abordé...

Et parlé le premier. "

-" Tu aurais mieux fait de l'éviter. "

-" Pourquoi ? " -" Sur eux, y a des potins. "

-" Quels potins ? "

-" Des potins comme on en fait souvent. "

-" Je les trouve fort bien, ma chère amie. "

-" Sa femme aussi ? "

-" Tu sais, je ne l'ai vue que très rapidement. "

-" Eh bien ! Lui, est cocu, voilà ! "

-" Ça entache son honorabilité ? "

Mme Baril parut stupéfiée.

-" Comment tu ne vois pas ?...

Cet homme doit avoir une tare

Pour être ainsi cornard. "

-" D'abord, est-ce vrai ?

Qui peut l'affirmer

Tant qu'il n'y a pas flagrant délit ? "

Mme Baril répondit :

-" Comment : '' Qui peut affirmer'' ?

Mais tout le monde le sait. "

M. Baril ricanait :

-" Ils semblent s'aimer infiniment ! "

Elle balbutia en trépignant :

-" C'est un imbécile, un taré ! "

-" Pardon,

Il m'a paru intelligent,

Et si les gens

Qui ne vivent pas dans sa maison

Savent qu'il est cocu.

Lui, qui est chez lui, s'en serait aperçu. "

Puis la discussion a dévié

Sur l'aveuglement des époux trompés.

Elle prit le parti

Des épouses. Et lui, celui des maris :

-" Eh bien moi, si tu me trompais,

Si j'avais été cocu,

Je m'en serais aperçu

Et je t'aurais tellement rossé

Que tu t'en souviendrais. "

( II )

M. Baril sortit, et croisa le voisin

Qu'il avait rencontré le matin.

Ils se mirent à causer.

Après avoir touché divers sujets,

L'un et l'autre semblaient

Avoir quelque chose à confier,

Un aveu pénible mais imprécis

Sur les êtres associés à leur vie.

Le voisin disait :

-" Vrai, on croirait

Qu'elles ont contre leur mari

Une sorte d'hostilité

Par le seul fait

Qu'ils sont leur mari.

Moi, j'aime ma femme. Je l'apprécie.

Mais parfois à mes amis

Elle semble montrer,

Plus qu'à moi, confiance et abandon. "

M. Baril pensa :''Ça y est,

Ma femme avait raison. "

En son âme, il ressentait

Un douloureux bouillonnement.

Il se remémorait

Son rire impertinent

Qui semblait dire : ''Mais il en est

De toi comme des autres, pauvre niais !''

Certes, c'était là une bravade,

Une de ces impudentes bravades

De femmes qui osent tout,

Qui risquent tout

Pour blesser, pour humilier

L'homme contre lequel elles sont irritées.

Toutefois Baril chercha parmi ses amis

Quel est celui

Qui l'aurait fait cocu, lui.

Il songea à un ami,

Un ami intime qui venait dîner

Chez eux tous les samedis :

Oui, Tancret, ce bon Tancret,

Que lui, Baril,

Aimait au point de continuer

À le voir en cachette,

À la sauvette,

Depuis que sa femme s'était fâchée

Avec cet aimable garçon

Sans apparente raison.

Pourquoi s'était-elle fâchée ainsi ?

Elle n'avait jamais donné de motif précis

À son ressentiment.

Ceci dit, elle lui en voulait vraiment !

Est-ce que ?...mais non...

Mais non.

Il décida de se rendre chez Tancret

Afin de lui annoncer

Que, la rancune de sa femme étant finie,

Il l'invitait à diner chez lui.

Quelle tête fera Mme Baril ? Tant pis !

Ce sera sa vengeance en les regardant.

( III )

-" Mon cher ami,

Je venais faire une course à Paris

...Et j'ai pensé venir vous serrer la main. "

-" Je croyais que vous aviez oublié le chemin

De mon appartement depuis quelque temps. "

-" Que voulez-vous, ma femme avait l'air

De vous en vouloir. " -" Bigre : ''avait l'air...''

Elle m'a mis à la porte, bel et bien. "

-" Mais à propos de quoi ?

Je ne l'ai jamais su, moi. "

-" Oh ! À propos de rien...

D'une bêtise...d'une discussion

Où je n'étais pas de son avis. "

-" Mais à quel sujet, cette discussion ? "

-" Sur Mme Boutin, une de mes amies. "

-" Eh bien, je suis venu

Vous annoncer

Que ma femme ne vous en veut plus. "

-" Oh ! Vous croyez ?... "

-" Oui. Et sans rire.

Cela lui fera plaisir.

Allons dîner tous les trois

À Meudon, chez moi. "

-" J'en suis enchanté.

Voyez-vous cette brouille me chagrinait. "

Arrivés à Meudon,

Baril fit rentrer son ami dans le salon.

Tancret a balbutié :

-" Mon Dieu...Madame...j'ai cru...j'ai osé...

Cela me peinait bien...

Me pardonnez-vous... enfin ? "

Alors Mme Baril marcha vers lui,

Les deux mains tendues

Et lui dit, avec une petite voix émue :

-" Bienvenue ! Je suis contente, cher ami. "