Un bon ménage, les Baril,
Bien qu'un peu trop guerroyant.
S'ils se querellaient souvent
C'était pour des causes futiles,
D'ailleurs, très vite, ils se réconciliaient.
Commerçant retraité,
Baril avait loué à Meudon
Un petit pavillon
Et s'était gîté là avec sa femme.
C'était un homme calme
Dont les idées
Bien assises, se levaient
Difficilement.
Il pensait peu mais à bon escient
Et ne prenait une résolution
Qu'après mûres réflexions.
Sa femme, d'un caractère emporté,
Passait dans le quartier
Pour une femme très belle
Mais de nature rebelle.
Baril lui avait demandé un matin :
-" Est-ce que tu connais nos voisins,
Ceux de la jolie maison,
À l'angle de la rue du Midi ? "
-" Oui et non. "
-" Hier,
J'ai rencontré le mari... "
Voyant sa femme sur les nerfs,
Baril lui a aussitôt précisé :
-" C'est lui qui m'a abordé...
Et parlé le premier. "
-" Tu aurais mieux fait de l'éviter. "
-" Pourquoi ? " -" Sur eux, y a des potins. "
-" Quels potins ? "
-" Des potins comme on en fait souvent. "
-" Je les trouve fort bien, ma chère amie. "
-" Sa femme aussi ? "
-" Tu sais, je ne l'ai vue que très rapidement. "
-" Eh bien ! Lui, est cocu, voilà ! "
-" Ça entache son honorabilité ? "
Mme Baril parut stupéfiée.
-" Comment tu ne vois pas ?...
Cet homme doit avoir une tare
Pour être ainsi cornard. "
-" D'abord, est-ce vrai ?
Qui peut l'affirmer
Tant qu'il n'y a pas flagrant délit ? "
Mme Baril répondit :
-" Comment : '' Qui peut affirmer'' ?
Mais tout le monde le sait. "
M. Baril ricanait :
-" Ils semblent s'aimer infiniment ! "
Elle balbutia en trépignant :
-" C'est un imbécile, un taré ! "
-" Pardon,
Il m'a paru intelligent,
Et si les gens
Qui ne vivent pas dans sa maison
Savent qu'il est cocu.
Lui, qui est chez lui, s'en serait aperçu. "
Puis la discussion a dévié
Sur l'aveuglement des époux trompés.
Elle prit le parti
Des épouses. Et lui, celui des maris :
-" Eh bien moi, si tu me trompais,
Si j'avais été cocu,
Je m'en serais aperçu
Et je t'aurais tellement rossé
Que tu t'en souviendrais. "
( II )M. Baril sortit, et croisa le voisin
Qu'il avait rencontré le matin.
Ils se mirent à causer.
Après avoir touché divers sujets,
L'un et l'autre semblaient
Avoir quelque chose à confier,
Un aveu pénible mais imprécis
Sur les êtres associés à leur vie.
Le voisin disait :
-" Vrai, on croirait
Qu'elles ont contre leur mari
Une sorte d'hostilité
Par le seul fait
Qu'ils sont leur mari.
Moi, j'aime ma femme. Je l'apprécie.
Mais parfois à mes amis
Elle semble montrer,
Plus qu'à moi, confiance et abandon. "
M. Baril pensa :''Ça y est,
Ma femme avait raison. "
En son âme, il ressentait
Un douloureux bouillonnement.
Il se remémorait
Son rire impertinent
Qui semblait dire : ''Mais il en est
De toi comme des autres, pauvre niais !''
Certes, c'était là une bravade,
Une de ces impudentes bravades
De femmes qui osent tout,
Qui risquent tout
Pour blesser, pour humilier
L'homme contre lequel elles sont irritées.
Toutefois Baril chercha parmi ses amis
Quel est celui
Qui l'aurait fait cocu, lui.
Il songea à un ami,
Un ami intime qui venait dîner
Chez eux tous les samedis :
Oui, Tancret, ce bon Tancret,
Que lui, Baril,
Aimait au point de continuer
À le voir en cachette,
À la sauvette,
Depuis que sa femme s'était fâchée
Avec cet aimable garçon
Sans apparente raison.
Pourquoi s'était-elle fâchée ainsi ?
Elle n'avait jamais donné de motif précis
À son ressentiment.
Ceci dit, elle lui en voulait vraiment !
Est-ce que ?...mais non...
Mais non.
Il décida de se rendre chez Tancret
Afin de lui annoncer
Que, la rancune de sa femme étant finie,
Il l'invitait à diner chez lui.
Quelle tête fera Mme Baril ? Tant pis !
Ce sera sa vengeance en les regardant.
( III )-" Mon cher ami,
Je venais faire une course à Paris
...Et j'ai pensé venir vous serrer la main. "
-" Je croyais que vous aviez oublié le chemin
De mon appartement depuis quelque temps. "
-" Que voulez-vous, ma femme avait l'air
De vous en vouloir. " -" Bigre : ''avait l'air...''
Elle m'a mis à la porte, bel et bien. "
-" Mais à propos de quoi ?
Je ne l'ai jamais su, moi. "
-" Oh ! À propos de rien...
D'une bêtise...d'une discussion
Où je n'étais pas de son avis. "
-" Mais à quel sujet, cette discussion ? "
-" Sur Mme Boutin, une de mes amies. "
-" Eh bien, je suis venu
Vous annoncer
Que ma femme ne vous en veut plus. "
-" Oh ! Vous croyez ?... "
-" Oui. Et sans rire.
Cela lui fera plaisir.
Allons dîner tous les trois
À Meudon, chez moi. "
-" J'en suis enchanté.
Voyez-vous cette brouille me chagrinait. "
Arrivés à Meudon,
Baril fit rentrer son ami dans le salon.
Tancret a balbutié :
-" Mon Dieu...Madame...j'ai cru...j'ai osé...
Cela me peinait bien...
Me pardonnez-vous... enfin ? "
Alors Mme Baril marcha vers lui,
Les deux mains tendues
Et lui dit, avec une petite voix émue :
-" Bienvenue ! Je suis contente, cher ami. "