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Représenter le Prophète ?

Publié le 07 février 2015 par Sylvainrakotoarison

"Charlie Hebdo" s’est retrouvé dans l’œil du cyclone du fanatisme islamiste.

yartiCharlie1mois07Cela fait précisément un mois que douze personnes ont été assassinées dans les locaux de "Charlie Hebdo" à Paris (dix-sept avec ce qui a suivi). Les auteurs de cet attentat ayant été tués après leur fuite, il serait difficile de comprendre exactement leur motivation.

Cependant, ce qui semble expliquer que "Charlie Hebdo" ait été ciblé, c’est que depuis 2006, le journal publiait régulièrement des caricatures de Mahomet. On peut comprendre qu’elles ne plaisent pas à tout le monde, comme n’importe quelle caricature qui a pour but de se moquer des uns et de faire rire les autres. Ce n’est pas une raison, bien sûr, pour réagir aussi violemment.

Les morts au Niger après la parution du dernier numéro de "Charlie Hebdo" sont-ils vraiment en rapport avec la petite caricature très inoffensive de la première page ? Ne seraient-ils pas plutôt la conséquence d’une grogne sans cesse grandissante d’une partie de la population contre le gouvernement de ce pays ? Mais quid dans les autres pays… dans les dizaines d’autres pays musulmans où se sont également manifestées les violences contre ce dessin si anodin ?

L’imagerie figurative et l’Islam

Il semblerait que ce n’est même pas l’éventuel irrespect du principe de la caricature qui en serait en cause, mais principalement le fait de représenter, par une image, par un dessin, le prophète Mahomet. C’est en tout cas ce qui est exprimé (parfois par d’importantes autorités religieuses de l’Islam) pour expliquer ces violences, tout en les condamnant.
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Le 9 janvier 2015, le magazine américain "Newsweek" avait demandé de faire le point à ce sujet à Christiane Gruber, professeur associée de l’Université du Michigan et spécialiste des arts islamiques et en particulier des peintures représentant Mahomet dans l’histoire du monde musulman (auteur de plusieurs livres sur ce thème, elle a soutenu sa thèse en 2005 à l’Université de Pennsylvanie et a donné une série de quatre conférences à la Sorbonne en mai 2013).

Celle-ci, fort de sa grande expérience d’histoire de l’art, a expliqué qu’il n’y avait rien, dans le Coran, qui imposait l’interdiction de représenter le Prophète. Le Coran, selon elle, n’interdit pas l’imagerie figurative, même s’il rejette le culte des idoles qui correspondait plutôt à une religion polythéiste à l’opposé de l’Islam monothéiste.
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De plus, dans l’histoire juridique de l’Islam, il n’existe aucune fatwa interdisant la représentation de Mahomet jusqu’à très récemment. Dans ses recherches, Christiane Gruber a recensé le premier décret d’interdiction d’imagerie figurative …seulement en 2001, rédigé par les Talibans pour justifier la destruction des Bouddhas de Bamiyan, et encore, c’était pour interdire des représentations religieuses non islamiques.

La représentation de Mahomet sur des images ou des sculptures avait même été saluée par Mohammed Abduh (1849-1905), un grand juriste (et mufti) égyptien du XIXe siècle car elle était considérée comme ayant un objectif pédagogique et donc positif.
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L’universitaire du Michigan a ainsi pu découvrir de nombreuses peintures représentant Mahomet sur plusieurs siècles, en particulier au XIVe siècle en Perse et au XVIe siècle dans l’actuelle Turquie. L’Islam a été l’objet de nombreuses représentations par des artistes musulmans pendant donc très longtemps.

La liberté d’expression

Certes, ce constat n’est finalement pas très en rapport avec les attentats contre "Charlie Hebdo" car l’idée de la République est que même si une caricature blesse sa foi, même si sa religion en interdit la réalisation et la publication, la raison impose dans tous les cas de ne pas aller massacrer ses auteurs. Elle permet, tout au plus, d’aller déposer une plainte pour que la Justice tranche, si l’on se sent atteint dans sa religion.

En septembre 2012, je considérais que la liberté devait s’exprimer avec un minimum de responsabilité et je ne trouvais pas très responsable la publication de caricatures qu’on savait devenir de véritables provocations à certains musulmans.

Depuis les attentats, j’ai évolué parce que maintenant, dix-sept personnes sont mortes, dont cinq dessinateurs, pour avoir osé braver l’interdiction des caricatures décrétée arbitrairement par des groupes étrangers à un pays souverain et libre d’établir ses lois et sa réglementation. Céder aux menaces serait donner raison aux terroristes, donner raison aux assassins des dix-sept victimes.

En l’occurrence, je rejoins désormais la très belle définition qu’a formulée le 15 janvier 2015 l’excellent écrivain Michel Houellebecq de la liberté d’expression : « Nous sommes réunis aujourd’hui pour défendre un "journal irresponsable", et qui le rappelait régulièrement, en première page. Je suis ici aussi, à titre personnel, parce que Bernard Maris était un ami, et je n’aime pas qu’on tue mes amis. (…). La liberté d’expression est la liberté de communiquer une œuvre de l’esprit à d’autres esprits. Elle ne saurait, sinon, se voir assigner de mission particulière ; ce serait une contradiction dans les termes. La relation entre l’auteur et son lecteur est unique et personnelle ; elle se tient en dehors des limitations morales et sociales habituelles. La censure, seule instance en droit d’intervenir dans cette relation, est sous la responsabilité de la collectivité tout entière ; elle ne saurait être exercée par aucun individu, ni aucun groupe. La liberté d’expression n’a pas à s’arrêter devant ce que tel ou tel tient pour sacré, ni même à en tenir compte. Elle a le droit de jeter de l’huile sur le feu. Elle n’a pas vocation à maintenir la cohésion sociale, ni l’unité nationale ; le "vivre ensemble" ne la concerne nullement. On ne saurait lui enjoindre de se montrer responsable ; elle ne l’est pas. Ces différents points ne sont pas négociables. » ("Les Inrocks").

Pourtant, pour en finir avec ces polémiques sur les caricatures de Mahomet, certains proposent d’interdire purement et simplement de publier de tels dessins. Ou encouragent fortement à l’autocensure (cela fait plus propre dans une démocratie). Mais dans quel pays croient-ils vivre ? Et demain, que devra-t-on interdire ? La minijupe pour s’opposer aux violeurs ?

Ne pas céder !

Si la République commence à lâcher, elle lâchera sur TOUT.

"Charlie Hebdo" n’y est pour rien. Il s’est retrouvé, à un moment donné de la triste histoire mondiale, bien malgré lui, au cœur de la tempête islamiste. D’autres s’y retrouveront aussi. Hélas. S’y trouvent déjà. Les humanitaires et les journalistes en Irak ou en Syrie, assassinés régulièrement sur Youtube. Hélas. Des populations entières, au Nigeria, au Soudan, au Cameroun, en Afghanistan, en Irak, en Syrie sont victimes de ce fanatisme.
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C’est pour cela qu’il a fallu une loi pour interdire le voile à l’école. C’est pour cela qu’il a fallu une loi pour interdire la burqa dans les espaces publics. Initialement, je trouvais ces lois plutôt mal venues. J’apprécie peu que l’État s’occupe de l’intimité de ses citoyens. Depuis quand l’État devait-il légiférer sur les vêtements, sur MES vêtements ? Un tee-shirt avec un gros mot inscrit dessus serait-il plus respectueux qu’une burqa ? Plus respectueux des autres ? Quand on commence, jusqu’où s'arrêtera-t-on dans la réglementation normative ?

Oui, mais voilà. Il a fallu éteindre des débuts d’incendie. Ces lois n’ont servi qu’à cela. Éteindre des débuts d’incendie. Comme cette autre loi, très contestée par ceux qui voudraient aller très loin dans leur liberté d’expression, la loi qui fait que nier l’existence des chambres à gaz, réfuter l’existence de la Shoah, ce n’est plus faire preuve d’une grande liberté d’expression, c’est juste devenu un DÉLIT.

Cette loi aussi a servi à éteindre des feux. Il suffit de lire un peu partout sur le web pour voir à quel point l’antisémitisme est encore tout frais, tout vivace, tout vivant. Les morts du 9 janvier 2015 à la Porte de Vincennes, comme les victimes de l'assassin Merah il y a trois ans, dont des petis enfants, sont parmi les victimes physiques de cet antisémitisme. Soixante-dix ans après la libération du camp d’extermination d’Auschwitz le 27 janvier 1945. Notez bien le vocabulaire. Auschwitz n’était pas un camp de concentration, c’était un camp d’extermination. On y a exterminé industriellement, méticuleusement, avec taylorisme, plus d’un million de personnes. Nier cette horreur, c’est préparer la prochaine horreur au futur proche.

C’est pour cela que Dieudonné pourrait avoir quelques soucis avec la justice. Ce n’est pas parce que la République veut le faire taire. C’est un clown ; quoi qu’il dise, il ne représente pas une menace. C’est simplement qu’il veut jouer sur la ligne de crête des lois de la République, votées régulièrement par des représentants du peuple, eux-mêmes élus fréquemment et librement par les citoyens.

Et jusqu’à preuve du contraire, faire l’apologie du terrorisme est interdit mais faire des dessins qui ne mettent pas en cause les personnes (leur honneur, leur vie privée) ou qui restent dans le cadre légal de la correction (justement cette loi contre les révisionnismes) n’a jamais été un délit.

Donc, oui, il faut tout faire pour que ces dessins puissent continuer encore à paraître.
Que je les apprécie ou pas, là n’est pas la question.

Mais surtout, il ne faut rien lâcher !
Ou plutôt, il faut ne rien lâcher.
Le modèle républicain est un bloc.
Il n’est pas négociable.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (7 février 2015)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Je suis Charlie.
L’islam rouge.
La laïcité et le voile.
La burqa.
L’antisémitisme encore vivace.
La Shoah.
Seul est éternel le devoir envers l’être humain comme tel.

(Source principale : article de "Newsweek" daté du 9 janvier 2015).
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http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/representer-le-prophete-163221




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