Hervé Télémaque au Centre Pompidou

Publié le 07 février 2015 par Aicasc @aica_sc

Herve Telemaque En Faisceau la vérite est rouge S.D. Direction des Musees de Dunkerque LAAC photo Jacques Quecq d Henripret
© Adagp,Paris 2013

La première génération d’étudiants de L’Ecole régionale supérieure d’arts plastiques de Martinique, aujourd’hui campus caribéen des arts, a bien connu bien Hervé Télémaque, alors très impliqué dans l’éclosion de l’art contemporain de la Caraïbe. Disponible, à l’écoute, généreux, soucieux de la réussite de l’Ecole et des étudiants, il était souvent sur place pour des workshops, des formations de professeurs, des jurys de diplômes. L’une des premières acquisitions du FRAC Martinique, dès sa création en 1987, est une toile d’Hervé Télémaque, Dérives N°2, 1985, 200 x 310 cm.
Du 25 février au18 mai 2015, le Centre Pompidou consacre une rétrospective à Hervé Télémaque, quarante ans après la première rétrospective du Musée d’art moderne de la ville de Paris. Soixante quinze peintures, dessins, collages, objets, assemblages, pour la plupart propriétés des collections publiques françaises, retracent le parcours artistique de l’artiste.
Né à Port – au – Prince, en Haïti, où il a grandi, Hervé Télémaque poursuit ses études à New – York, à l’Art Students League. Puis il s’installe en 1961 à Paris où il fréquente brièvement les surréalistes mais sans adhérer au mouvement. En 1964, l’exposition Mythologies quotidiennes du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris le positionne dans la mouvance de la Figuration narrative ou figuration critique.
En littérature, c’est l’heure du Nouveau roman, au cinéma celle de la Nouvelle vague, en musique celle de l’expérimentation concrète.
Cette année – là, le grand prix de la Biennale de Venise est attribué à Rauschenberg, ce qui marque l’amorce du déclin de l’Ecole de Paris.
Mythologies quotidiennes réunit trente – quatre artistes autour d’une figuration renouvelée en rupture avec l’abstraction dominante. Il n’y a ni manifeste, ni leader mais des peintres, au cœur de la réalité contemporaine, qui puisent l’inspiration dans la bande dessinée, la publicité, le cinéma, la photo de presse pour porter un regard critique sur la société de consommation et répondre au Pop art américain. Tout au long de cette période, Hervé Télémaque privilégie les aplats réguliers, les tracés bien nets, la fragmentation de l’image et utilise un épiscope grâce auquel il projette directement sur la toile des formes qu’il est alors possible d’agrandir, de réduire, de déplacer dans un jeu combinatoire. Un relevé au crayon fixe la composition lorsqu’elle semble satisfaisante ce qui n’empêche nullement son évolution par la suite.
Mai 1968 sonne la fin du mouvement, selon les artistes eux – mêmes.
Hervé Télémaque s’essaie alors combine – paintings puis fabrique des objets exclusivement inventés, sans volume, en matériaux minces et friables, les sculptures maigres. Il crée aussi des collages dont il renouvelle les modalités mettant en évidence le processus de fabrication par la juxtaposition des dessins préparatoires. A partir de la décennie quatre – vingt – dix, les dessins monumentaux au fusain et les reliefs en bois de récupération recouverts de marc de café dominent sa production artistique. Enfin, les allusions à la Négritude se font de plus en plus fréquentes à partir de l’année 2000.
Je change de technique assure Télémaque pour expliquer cette diversité. Je passe de l’objet au dessin, du dessin à la peinture. Je change de méthode. Si on ne s’aménage pas des éléments de surprise (et la surprise vient de la difficulté, de l’échec) on court le risque de la stérilité.
Bien que Télémaque affirme Ma peinture n’est pas un simple rébus, ces objets disséminés sur des fonds blancs ou des compartiments colorés désarçonnent.
Décryptez – vous le sens secret des constellations énigmatiques et ambiguës du peintre haïtien ?

Herve Telemaque Fonds d ‘actualite n° 1, 2002 Coll Centre Pompidou  photo Philippe Migeat Centre Pompidou
© Adagp,Paris 2013

Le fond joue la page blanche ou s’articule en rectangle de couleurs saturées. La toile elle-même peut être articulée en plusieurs châssis car Télémaque questionne la tradition du cadre, allant jusqu’au tondo, au trapèze, au triangle.
Les objets stylisés sont représentés à – plat, sans trompe l’œil. Ce sont souvent des objets utiles, manufacturés, des objets du quotidien qui ne cherchent pas à exercer une séduction particulière. Il y les objets du déplacement et des voyages : voile, avion, barque, tente… il y en a de plutôt statiques : maison, escargot… il y a des objets du monde occidental : poids, coffre – fort et des objets que l’artiste relie davantage à son pays natal : hamac, fronde, arc… Il y a des objets obsessionnels et fétiches : slip, canne, chaussure. Il y a aussi des objets du sacré haïtien : cruche, hochet, asson*. Le peintre privilégie la simplification, la géométrie et fait la guerre au pittoresque, au détail inutile. Chaque image est inséparable des autres et s’inscrit dans un réseau métaphorique qui fait sens.
Aux objets disséminés sur une page blanche de la décennie soixante – dix succèdent des images complexes des années quatre – vingt où couleurs, formes et lignes s’imbriquent. La couleur se libère par endroit du carcan de la forme. Les à –plats cessent d’être assujettis à la structure du motif et des passages de couleurs hors de tout tracé se confrontent.
Ces éléments d’une extrême banalité racontent une histoire….
Comme le dit Bernard Noël à propos d’un tableau de 1965, Surprise à son pied : Aucun doute, l’objet représenté est une chaussure et ne peut avoir d’autre référent qu’une chaussure. Mais cette certitude ne produit pas la moindre assurance. A l’embarras de cela ne ressemble à rien, dont on se fortifiait faute de comprendre, la nouvelle peinture substitue celui de cela ressemble trop qui trouble bien davantage. Une chaussure qui est une chaussure à ce point là ne l’est plus. La ressemblance suscite un excès qui met le réalisme en déroute ».
Qui plus est, des mots, des bribes de phrase circulent entre les images et renforcent l’énigme. Faut – il y voir un hommage à Braque, initiateur du dialogue peinture-écriture ? La relation entre l’image et le langage apparaît dès les premières créations d’Hervé Télémaque. Les lettres sont le plus souvent manuscrites, avec une petite parenthèse de lettres au pochoir entre 1963 et 1965. La présence de phylactères consacre aussi l’intérêt pour la bande dessinée. Ces bribes de phrase correspondent quelquefois au titre des œuvres, Les noms du père, La forêt, la mère patrie, My darling Clementine, Quand j’appris la nouvelle, Black Magic, C’est bon l’endive …. Mais épaississent parfois le mystère sans fournir la clef de l’élucidation.
Le sens n’est jamais univoque… La canne blanche de Port – au – Prince le fils prodigue (1970), L’aveugle de Venise (1967), Passage (197 0), est – elle celle des aveugles et de Saint – Hervé ou celle du Baron samedi ?
Le but recherché, précise Hervé Télémaque est de secouer le regardeur. A celui qui regarde de relier mentalement les éléments comme il le pressent.
Ce que confirme Serge Fauchereau : C’est toujours ainsi chez Télémaque, un tableau où il a mis beaucoup ne se donne pas simplement. Chacun doit y mettre du sien.
Tout mon travail est autobiographique, confirme Hervé Télémaque. Ma peinture est ancrée dans ma vie, dans des anecdotes, de petits incidents que j’ai vécus. J’ai eu besoin dès le début des années soixante de signes narratifs pour me raconter.
One of our 36 000 marines, adjugée pour 292 000 € chez Christie’s en 2006, reproduite à la Une du Figaro et de l’Humanité en 1965 – et d’ailleurs l’une des œuvres de Télémaque la plus reproduite au milieu des années 60 – réunit, comme de nombreux autres tableaux, les caractéristiques qui constituent la manière de Télémaque. Elle évoque un fait d’actualité, l’intervention américaine en République Dominicaine, le 28 avril 1965. Hervé Télémaque ne peut être que très sensible à cet évènement qui se déroule à proximité de son pays natal. Ce tableau est inspiré par une image de presse que l’artiste a sans doute vue dans un journal. Voilà pour la référence autobiographique. Fidèle à son engagement anti impérialiste et anti colonialiste et dans la droite ligne du principe de la Figuration critique, l’artiste porte un regard critique sur cet évènement. C’est une toile articulée en trois panneaux reliés par des gonds, ce qui répond aux recherches d’Hervé Télémaque sur le cadre. Un marine court, vu de dos, mêlé à d’autres figures disséminées sur la toile qui n’ont rien à voir avec cette histoire : un homme assis à table, un visage de femme, une tulipe, un pantalon, deux ceintures, un feu rouge, un quatre de carreau noir et un objet fétiche maintes fois représenté , un slip . Comment interpréter ces images associées ? Les mots inscrits, la date de la Révolution française, l’inscription « à la française » et cette phrase énigmatique « Avec nos pas emmêlés, faisons une couronne à son ombre » donnent – ils des indices ? La composition est symétrique, organisée autour un axe central, le jean et certaines images répétées se répondent : la ceinture, la ronde des oiseaux et la couronne de pas… A chacun de faire travailler son imagination.

Dominique Brebion

*L’asson, dans le vaudou haïtien, est l’insigne de la prêtresse (mambo) ou du prêtre (houngan) vaudou. Il se présente sous forme de hochet. Il est creusé dans une calebasse et contient de petits objets comme des os de serpent, des graines ou des perles. Il symbolise le pouvoir du houngan ou de la mambo. Il permet d’appeler les lwas lors des rituels.