Ce roman est un de ceux qui ont marqué mon adolescence et je voulais absolument en faire une relecture dix ans après. C’est chose faite et je ne regrette pas car j’ai pu apprécier toute la complexité de ce petit chef-d’oeuvre. J’ai notamment adoré les personnages, tous plus versatiles les uns que les autres: la Cécile prude et ingénue qui n’attend pourtant que l’autorisation pour se livrer à Valmont, la marquise dissimulatrice qui tente de jouer au plus fin avec Valmont en faisant miroiter des charmes qu’elle n’a pas l’intention de laisser à sa portée, le chevalier Danceny qui se prétend aussi naïf qu’il est facile à retourner. J’ai toujours autant d’affection pour le couple Cécile / Danceny, une espèce de parodie de jeunes premiers qui semblent prêt à se jurer fidélité éternelle sans savoir à quel point ils sont grossiers. Mais ce qui est surtout flagrant, c’est qu’autour de Valmont, ce sont nombre de figures féminines, toutes plus soumises, toutes plus contraintes, toutes plus surveillées les unes que les autres, et qui se désolent de cela. Discret, le message féministe n’en est pas moins présent: c’est bien pour rester libre de son corps et de ses envies que la marquise se livre à un tel jeu de dissimulation que Valmont, lui, peut assumer au regard de tous.
Le duo Merteuil/Valmont a d’ailleurs bien mérité son statut mythique. Ils se provoquent, jouent, placent leurs pions et se trahissent en permanence. Lorsqu’ils tournent au duel ouvert (“La guerre”, annonce Merteuil dans la plus concise des lettres), le livre caracole vers sa chute car on n’a de cesse de savoir comment ces deux monstres vont réussir à s’affronter.
Le jeu du roman épistolaire, là aussi, est un véritable régal. Les lettres permettent de multiplier les points de vue sur un même événement, de cumuler les sous-entendus et les significations diverses, de lire entre les lignes. Dans cet ensemble de miroirs déformants, sous le voile de langage courtisan très policé, les interprétations et les malentendus vont aussi bon train. Seul le lecteur a le privilège, un peu voyeur, de tout savoir de toutes les histoires, en tout cas le croit-il puisque la marquise excelle dans l’art de manipuler ses interlocuteurs.
La note de Mélu:
Il reste parmi mon top 5!
Un mot sur l’auteur : Pierre Choderlos de Laclos (1741-1803) fut longtemps considéré comme un écrivain aussi scandaleux que le Marquis de Sade, ce qui n’est pas peu dire ! Militaire de vocation, rallié aux républicains pendant la Révolution, il défendait aussi des idées d’orientation plutôt féministes.
Très fidèle à l’intrigue, jusqu’à utiliser autant que possible les outils des lettres qui auraient pu être rendus si artificielles une fois abandonné le support de l’écrit, le film va même jusqu’à reprendre presque textuellement (autant que possible avec les traductions) des passages de Laclos, ce qui fait toujours un grand plaisir à constater. La réalisation s’est surtout appliquée à rendre l’univers de faux-semblants et d’hypocrisie dans lequel évoluent les personnages: costumes, maquillages, passages secrets, jeux de lumière et caméras infiltrées entre deux portes, tout est bon. J’ai tout particulièrement apprécié l’habile jeu des musiques qui accompagnent le regard du spectateur. Les déplacements et petits stratagèmes de Valmont sont un régal et créent un rythme très enlevé. C’est donc un très bon film qui n’a pas pris une ride!