I. La simplification : un objectif louable, une méthode inadaptée
Pour mémoire, l'article 28 du projet de loi pour la croissance et l'activité, défendu par M Emmanuel Macron, ministre de l'économie, prévoit que les députés autorisent le Gouvernement à écrire lui-même la loi, par ordonnances. Cette procédure est définie à l'article 38 de la Constitution. A l'origine le recours aux ordonnances était exceptionnel et réservé à des matières très techniques. Progressivement et surtout depuis le début des années 2000, le recours aux ordonnances est passé de l'exception au principe. La quasi totalité des loi comporte désormais un tel renvoi qui équivaut à un dessaisissement du Parlement. Le débat parlementaire est ainsi réduit à un débat sur l'autorisation du Gouvernement à procéder ainsi puis à un débat sur la validation des ordonnances. Dans l'attente de leur validation, les ordonnances conservent une valeur réglementaire.
La méthode des ordonnances n'est pas simplement critiquable en raison de son caractère bien peu démocratique, elle est également l'une des causes de l'inflation normative et de la complexité du droit. Il s'agit d'un outil absolument inadapté pour simplifier le droit en général et le droit de l'environnement. Le recours aux ordonnances est toujours la promesse d'un surplus de normes dont la rédaction et l'application n'auront pas été suffisamment réfléchies.
II. La mise en place d'un dispositif complexe pour simplifier.
Simplifier par ordonannces revient à faire du vélo avec des chaussures de ski : ce n'est pas la bonne solution. La preuve en est, d'ores et déjà rapportée. Le dispositif mis en place pour simplifier le droit de l'environnement est particulièrement complexe.
Au cas présent, la simplification du droit de l'environnement se fera donc :
1° au Ministère de l'économie qui est le porteur du projet de loi pour la croissance l'activité. C'est paradoxalement le ministre de l'économie et non le ministre de l'écologie qui a défendu cette réforme du droit de l'environnement. Le Conseil national de l'industrie qui a déjà produit des propositions sur ce sujet continuera ses travaux.
2° à Matignon. Le Premier ministre a en effet confié une mission officielle à M Duport dont les conclusions doivent alimenter le travail de rédaction des ordonnances. Par ailleurs, le Secrétaire d'Etat à la simplification doit également produire des mesures de simplification.
3° au Ministère de l'écologie qui a mis en place une "commission de modernisation du droit de l'environnement" laquelle compte 7 groupes de travail et une "commission sur la participation du public". Ces deux commissions devront rendre compte de leurs travaux au Conseil national de la transition écologique. Elles seront toutes deux présidées par le sénateur Alain Richard qui s'était prononcé contre le recours aux ordonnances dans une interview (AEDD - 1er décembre 2014).
4° au Parlement. La députée Sabine Buis a en effet obtenu la création d'un comité de liaison parlementaire qui sera chargé de suivre et de contrôler l'évolution du travail de rédaction des ordonnances. Le Parlement sera par ailleurs chargé de valider les ordonnances et, à cette occasion, pourra y ajouter de nouvelles dispositions.
III. Le point d'arrivée
C'est donc une grande usine à gaz qui est chargée de simplifier le droit de l'environnement dans un délai particulièrement court (avant l'été). Un processus qui aboutira : à la rédaction de plusieurs ordonnances et décrets, à des dispositions qui seront introduites dans le projet de loi biodiversité, à des dispositions qui pourraient être introduites dans un projet de loi sur la participation du public.
La promesse de nouvelles normes produites par de nombreuses sources. Comme ces normes auront été trop rapidement rédigées, elles devront - comme c'est souvent le cas avec les ordonnances - être révisées, corrigées, modifiées par la suite.
En outre, le mariage entre la procédure des ordonnances et la saisine du Conseil national de la transition écologique amènera le Gouvernement à faire des concessions à toutes les parties prenantes pour obtenir un consensus. Une technique diplomatique de rédaction du droit qui n'est jamais synonyme de simplification.
Dans tous les cas de figure, cette réforme part avec un handicap causé par un oubli de taille : le droit de l'environnement est d'abord et avant tout un droit européen. Le processus de simplification qui va démarrer ne concernera donc pas les conditions d'élaboration, de transposition et d'application du droit de l'Union européenne. Or, il s'agit pourtant de la question principale.
Le risque n'est plus tant celui de l'adoption de mesures contraires à l'objectif de protection de l'environnement. Le risque est celui d'une régression de la qualité du droit de l'environnement et d'obtenir l'effet inverse de celui recherché. Une solution raisonnable et rigoureuse aurait été d'engager un débat parlementaire nourri sur la base d'un diagnostic rigoureux et partagé.
IV. Les députés encadrent le recours aux ordonnances
Les amendements déposés sur cet article 28 ont été le plus souvent retirés ou rejetés. Les amendements de suppression, de reconnaissance du principe de non régression ou d'engagement de la réforme du code minier ont été ainsi rejetés.
Les députés ont tout d'abord adopté un amendement n°1734 de Mme Bonneton (écologiste) précisant que le recours aux ordonnances "sans porter atteinte aux principes fondamentaux et objectifs généraux du code de l’environnement" Un amendement qui n'a pas grand sens du point de vue juridique - toute norme doit respecter les normes de valeur supérieure - mais qui traduit le souci politique d'éviter des dérives. Un amendement mal rédigé car il aurait été préférable de viser, non le code de l'environnement mais le droit de l'environnement. Parler d'"objectifs généraux" est également trop imprécis.
Un comité de liaison parlementaire. La députée Sabine Buis a obtenu l'adoption d'un amendement n°1102 qui prévoit "IV. – Le Parlement est informé et consulté au cours du processus d’élaboration des ordonnances prévues au I et des travaux organisés au sein du Conseil national de la transition écologique, au moyen notamment de la mise en place d’un comité de liaison composé de parlementaires".
Il s'agit de la principale avancée de ce débat parlementaire en séance publique. En temps normal, le Parlement n'est pas associés à la rédaction des ordonnances. Il n'est saisi que pour les valider, généralement de manière très expéditive. Pour la première fois à ma connaissance, un comité de liaison parlementaire, composé de députés et de sénateurs, devrait suivre la rédaction des ordonnances.
La saisine du Conseil national de la transition écologique. Pour mémoire, les députés avaient adopté en commission un amendement déposé par les rapporteurs thématiques aux termes duquel le Gouvernement devra soumettre les projets d'ordonnances au Conseil national de la transition écologique. Cette disposition n'a pas été retirée en séance publique.
L'engagement de la réforme du code minier. La députée Sabine Buis a défendu (seule) jusqu'au bout un amendement tendant à engager la réforme du code minier attendue depuis 2011. L'amendement n'a pas été adopté mais a contraint le Ministre de l'économie à s'engager devant la représentation nationale sur un calendrier : les consultations des parties prenantes commenceront fin février, le Conseil d'Etat sera saisi avant l'été et le projet de loi présenté en Conseil des ministres à l'automne.
En définitive, pour simplifier le droit de l'environnement, le Gouvernement aura pris le risque de mettre en place un dispositif très complexe plutôt qu'un débat parlementaire bien plus simple. Il n'est pas certain que le droit de l'environnement y gagne en qualité.
Pour aller plus loin :
Le dossier législatif du projet de loi
Le communiqué de presse de la députée Sabine Buis
Arnaud Gossement
Selarl Gossement Avocats