C’est un billet qui ne parle ni de la schizophrénie ni de la psychiatrie mais de la médecine en générale, et que j’ai envie d’écrire suite à la polémique sur les touchers vaginaux ou rectaux sous anesthésie générale.
La polémique fait beaucoup de bruit sur internet, avec des médecins qui parlent d’hystérisation, de « il faut bien apprendre » et de « nous ne sommes pas tous des connards, mais je vous emmerde et si vous n’avez pas fait six ans de médecine, je ne peux pas vous expliquer, vous ne comprendriez pas ».
Si cette histoire fait beaucoup de bruit, et alors même que le sujet n’est pas nouveau, si « hystérisation » il y a, c’est peut-être parce que ça touche à des sujets sensibles, à savoir le consentement du patient et le respect de celui-ci. Malheureusement, beaucoup de patients ont des histoires difficiles, souvent tues, par peur du pouvoir médical, peur du mépris qu’on leur renverrait, peur de passer pour des emmerdeurs. Alors de temps en temps, les patients se révoltent, se focalisent sur une histoire en particulier, sans doute parce qu’ils se sont tus sur tout le reste et parce qu’ils pensaient jusque-là être des exceptions, avoir simplement manqué de chance et qu’ils se rendent compte que ce n’est pas le cas.
Premièrement, parlons du « il faut bien apprendre ». On est d’accord. Qu’un toucher vaginal soit fait par un chirurgien puis par un étudiant sur une personne anesthésiée quand c’est nécessaire ne me choque pas. Quand ça ne l’est pas, c’est une autre histoire. Pour changer de sujet et parler de patients bien éveillés, il suffit souvent de leur demander si l’étudiant peut voir/toucher/participer. Beaucoup de patients sont d’accord et comprennent très bien que « il faut bien apprendre ». Demander son accord au patient change tout. Je vais vous raconter des anecdotes personnelles qui montrent à quel point c’est vrai, et je ne suis pas la seule à le dire, j’en ai parlé avec beaucoup de gens.
Je vais chez le médecin, j’ai un zona du nerf sciatique, ce qui est rare. Le médecin me demande s’il peut appeler l’assistante, je dis oui, tout se passe dans la bonne humeur, l’assistante me remercie. J’ai un peu l’impression d’être dans Grey’s Anatomy quand les médecins sont tout contents d’avoir vu un truc que la majorité des gens trouvent répugnant et je suis contente d’avoir pu rendre service. Par contre, si le médecin avait appelé l’assistante sans me le demander, si elle m’avait regardé comme une page de livre de dermato et pas comme un être humain, je crois que je me serais sentie assez mal.
Je vais chez le médecin, il est avec une étudiante. Il me demande avant d’entrer si ça ne me dérange pas, je dis non. L’étudiante m’ausculte, répond aux questions du médecin mais en s’adressant à moi, en m’expliquant le diagnostic. Ca change beaucoup de ce que j’ai vécu en Espagne, où les étudiants ne se présentaient pas et parlaient avec le médecin comme si je n’étais pas là ou ne comprenait rien, ce que j’ai mal vécu. Quand une étudiante a regardé le médecin et lui a demandé « Qu’est-ce qu’elle veut? » d’un air méprisant parce que j’ai dit que je ne voulais pas reprendre de Temesta, étant donné que j’avais eu du mal à m’en sevrer et que ça m’avait provoqué une dépression majeure, je me suis sentie encore plus mal qu’en entrant (ce qui n’était pas peu dire à l’époque). Quand la psychiatre a demandé à son étudiante, devant moi, ce qu’elle pensait de mon cas et que celle-ci à répondu, sans précaution, « Schizophrénie », j’ai senti mon monde s’écrouler.
Bref, il ne me semble pas si compliqué, même si ça nécessite d’être pensé et discuté entre médecins auparavant, de parler avec la personne qu’on a en face de soi et non d’elle comme si elle n’était qu’un cobaye ou un sujet d’études. Quand le patient se sent respecté, le plus souvent il est d’accord pour aider les étudiants à apprendre. Et quand il dit non, eh bien, c’est aussi son droit. Il y a des moments où je pourrais dire non. Par exemple pour un deuxième toucher vaginal dans une période où je vais mal. C’est mon droit de dire « je suis schizophrène, en ce moment je ne supporte pas qu’on me touche, c’est déjà assez difficile pour moi d’en subir un seul ». Ou si je vais chez mon généraliste ou ma psychiatre pour parler de mes troubles quand je vais très mal, c’est au-dessus de mes forces de parler à deux personnes en même temps. Mais je suis sûre que beaucoup d’autres patients seront là pour que l’étudiant apprenne, comme je le suis quand je ne vais pas trop mal.
Deuxièmement, « les médecins ne sont pas tous des connards ». Non, c’est une évidence. Qu’on dénonce des maltraitances ou des abus ne veut pas dire que tous les médecins sont des connards. Mais pour qu’ils n’y soient pas assimilés, ce serait bien de ne pas se moquer des patients qui sont choqués par certaines pratiques, de ne pas les considérer comme des idiots qui ne comprennent rien. Je suis la première à dire, quand je parle de la psychiatrie hospitalière, que je dénonce plus un système que des soignants. Des médecins connards, j’en ai connu, et notamment un psychiatre qui violait ses patientes. D’accord, on tombe dans l’extrême, mais si je rencontrais un médecin qui le défendait en disant, comme lui l’a dit au tribunal, que les patientes ont mal interprété ses gestes médicaux (en psychiatrie, faut-il le rappeler), ce médecin aurait beau ne pas être un violeur, il serait quand même un médecin connard.
Et troisièmement, dire que les patients ne peuvent pas comprendre qu’on n’a pas besoin de respecter leur consentement, sauf s’ils font six ans de médecine d’abord, eh bien c’est être un médecin connard. On ne parle pas de comprendre une pathologie de A à Z, de s’avaler toute la biologie de Raven et la chimie de Paul Arnaud, on parle de consentement. Je rappelle que le patient a le droit de refuser des soins et que son consentement doit être éclairé. Le travail du médecin est donc de s’adapter à la personne qu’il a en face pour qu’elle comprenne bien de quoi il s’agit: quelle maladie, quels traitements. C’est son boulot. Avoir fait médecine, en savoir plus que le patient sur la théorie de sa maladie ne veut pas dire que celui-ci est un idiot, qu’il ne peut pas décider ce qu’il veut pour lui-même ni choisir entre différents traitements. Quand j’ai commencé à être libraire et que les gens me demandaient la différence entre les différentes éditions d’un texte classique, je répondais « l’appareil critique ». Je me suis vite rendu compte que les gens ne savaient pas ce que c’était. Est-ce que j’ai ajouté « tape-toi cinq ans d’études de lettres et tu pourras comprendre »? Non. J’ai dit « ce sont les notes » et quand j’ai vu que les gens ne comprenaient pas non plus, j’ai dit « c’est la même chose », parce que c’est ce que 95% des gens veulent savoir, si le texte est le même ou non. Et quand je tombe sur quelqu’un qui veut vraiment savoir en quoi les notes sont différentes, eh bien j’adapte mon discours.
Donc non, tout les médecins ne sont pas des connards (et je le dis d’autant plus facilement que j’ai des médecins formidables), qu’il existe des abus ne veut pas dire qu’il n’existe que ça, mais il est néanmoins légitime que les patients s’interrogent et s’inquiètent quand on touche à des choses aussi intimes et personnelles que le respect, le consentement, le corps, la santé, la maladie et la mort. Ne pas être un médecin connard, c’est commencer par accepter ça.
PS: juste pour info, je pense qu’il y a aussi des libraires connards, par exemple ceux qui ne veulent pas conseiller ce qu’ils jugent comme de la mauvaise littérature et qui méprisent les clients qui en lisent, mais bon, c’est pas trop le sujet du blog.
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