(à S.C.)
1995, Californie.
Jen s'assit au bar et se commande un martini.
Il était à côté d'elle, ne la connaissait pas. Avait son propre drink, un briquet et un livre de Truman Capote. Elle a brisé la glace.
"Laisse-moi deviner, tu travailles dans les mines?, tes mains sont...ha non...elles ne sont que poilues..." Elle avait déjà beaucoup bu. Elle était dans la zone "fille facile".
"Non attends! reprit-elle, t'es un prêtre! lumière du jour! c'est ça?"
"Pardon?" a dit l'étranger le regard planté dans le sien.
"Tu veux m'allumer ma cigarette?" lui a-t-elle demandé se plaçant une cigarette à la menthe au bec. "Ah! je sais...!" dit-elle en pouffant quelques bouffées pour s'allumer et tenter de faire de même avec lui.
"T'es le Dieu du feu! le gars là... c'est quoi son nom déjà?..." elle se tourne vers Greg, la barman et lui demande d'une voix inégale "C'est quoi Greg le nom du gars qui amenait le feu aux gens donc?"
Brassant un drink à l'autre bout du bar, Greg répond: "Thomas Edison"
Imitant le bruit d'un âne Jen répond: "hiiiiiiiiin! pas lui!" puis se retourne vers l'étranger originaire de Vancouver, "Tu sais qui je veux dire toi? t'sais là...? t'as l'air instruit avec ton livre pis toute..."
"Tu veux dire Oprhée" répond l'étranger.
"VOILÀ! Je pari que c'est toi Orphée! Hey Greg! On a un Dieu grec ici; Orphée!"
Greg n'accorda même pas un regard à cet ivrogne de plus dans son quotidien.
"Depuis que ce bar a été mentionné dans un magazine, ou dans un livre, je le sais même pas, il n'y a plus que des centaines d'hommes du même genre qui se pointent ici, du genre metrosexuel, c'est fâchant en maudit! Regarde le blond sur le bout du bar...pas trop mâle, ça..."
L'étranger ne dit rien. Jen poursuit sur sa dérape.
"Avant c'était cool venir ici, les drinks étaient pas cher, les gens sympathiques et beaux. maintenant ils sont juste beaux. Et pas complètement parlable. Pour se faire une place au bar, il faut arriver autour de 16h30, tu commences donc à boire à cette heure-là pis quand les beaux garçons comme toi arrivent en soirée, ce sont nous autres qui ne sont plus parlables parce que trop intoxiquées. Et là, plus rien ne devient sympathique. En tout cas pas toujours. T'es sympathique toi au moins, tu m'écoutes"
L'étranger ne dit rien encore.
"T'as des beaux yeux, pis tu m'écoutes" a-t-elle répété en déséquilibre mental et physique. Elle regarde l'étranger de la tête aux pieds puis lui lance:
"T'es pas un yuppie toujours?"
Après avoir pris une gorgée de sa bière, il lui dit:
"Ça existe encore ça, des yuppies?"
"Bin kin!"
"et bien, je pense pas que j'en sois un, non."
"Faque dekessé kt'es anyway?" a dit Jen, pactée.
"Oprhée, le Dieu grec. C'est toi qui l'a dit tantôt. Mais il y a de moins en moins de place pour nous ici aux États-Unis. Je suis venu ici sous prétexte qu'il y avait des centaines de corps de Dieu grecs. Je ne vois ça, ni dans les rues, ni dans ce bar. Tout le monde est gros. C'est décevant."
"Tu me trouves grosse?" a demandé Jen.
"Non, mais en toute franchise, et ne le prend surtout pas personnel, je ne pourrai pas me soucier moins de toi. Celui qui m'intéresse c'est Greg derrière le bar. Et les gars de son genre."
"Tu me trouves pas belle et désirable?"
"Là n'est pas la question, je m'intéresse...je m'intéresse...aux garçons"
"Moi aussi!" a dit Jen.
"Mais...mais t'es pas mon genre..."
Le bar de Jen était devenu un repaire à gay et elle était trop sotte pour l'avoir même remarqué...
Affreuse veillée.