L’attachement que nous portons à certains musiciens peut parfois s’apparenter à nos plus belles et intenses histoires d’amour. Un coup de foudre au détour d’une rencontre plus ou moins fortuite, le sentiment d’être enfin compris, l’assurance de ne jamais se sentir déçu mais cependant avec en filigrane l’acceptation de vivre constamment dans la peur que tout prenne soudainement fin. On se rassure alors en cultivant les doux moments passés pour mieux vivre le présent, ce présent qui nous transporte et nous fait croire en un avenir radieux. Mais toute belle histoire d’amour a ses incertitudes, ses moments de doute, ses étapes à surmonter.
A l’aube de découvrir le troisième long format de Motorama, implacablement, le constat s’imposait. Depuis plus de cinq ans, je cultive un indéfectible amour pour ce groupe. Le choc émotionnel procuré par les premiers EP suivis de l’atemporel Alps, ma première rencontre scénique avec ce groupe dans un anonymat quasi total mais très vite érigé au panthéon des plus belles émotions musicales qu’il m’ait été donné de vivre, la sortie de Calendar, disque onirique transcendant codes et références afin d’ouvrir grandes les portes de la félicité, tant de pierres constituant (déjà) un édifice d’une solidité sans faille pourtant empreint d’une douce fragilité si caractéristique de la formation de Rostov-sur-le-Don. Sarah et Factory main dans la main, unis uniquement pour le meilleur. Alors qu’écrire de plus que ce qui n’a déjà été gravé dans le marbre si cette nouvelle offrande renforçait encore un peu plus ce sentiment de perfection caractérisant si bien chaque production du quintette ? Aurais-je pu rédiger ne serait-ce qu’une seule ligne si une once de lassitude ou de déception m’avait guetté à l’écoute de ces nouvelles compositions ?
L’excitation et l’appréhension se sont donc logiquement mêlées à l’orée de jeter mon dévolu sur les morceaux composant Poverty, disque distribué comme son prédécesseur par le label bordelais Talitres. Il n’aura pas fallu beaucoup de temps afin de se rendre à l’évidence : à l’instar des plus belles histoires d’amour, celles qui se plaisent à jouer les équilibristes sur le fil des sentiments, c’est bien la capacité à encore et toujours surprendre l’autre qui nourrit la passion. Car non seulement Motorama parvient au détour de ce nouvel essai à effectuer la parfaite symbiose entre Alps et Calendar, mais la formation de Rostov réussit en sus le tour de force d’accentuer son propre style, à la fois si familier et inimitable. L’introductif Corona plante derechef le décor avec son entame toute en finesse, avant que la communion ne se fasse entre Vlad Parshin et ses acolytes autour d’une ritournelle à la rythmique digne des meilleurs morceaux des Feelies, première des neufs banderilles assénées, toutes plus addictives les unes que les autres. Tout droit sorti de la plus pure tradition « factorienne » réveillant le fantôme de Saint Ian, Dispersed Energy fait alors honneur à la noirceur sépulcrale de la pochette avant que Red Drop ne rétablisse l’équilibre des influences, la somptueuse et indépendante ligne de basse d’Irene Parshina, comme le plus bel hommage à Michael Hiscock des Field Mice, rendant ses lettres de noblesse à un instrument trop souvent utilisé comme faire-valoir. Mais c’est sur la fibre émotionnelle encore une fois que Motorama abat ses plus belles cartes, Heavy Wave s’inscrivant au summum des merveilles si caractéristiques que peut réaliser ce groupe, ce nouvel hymne à la mélancolie nous renvoyant aux frissons procurés lors des premières écoutes de Wind In Her Air ou encore In Your Arms. Comment parvenir à nous captiver après tel coup de maître ? En surprenant, encore et toujours. L’entêtant Impractical Advice s’impose tout d’abord, son incessante boucle mettant en avant une production d’une extrême légèreté soufflant conjointement le chaud et le froid, jouant avec le feu et la glace avant que Lottery, véritable tube en puissance, ne laisse définitivement plus de place au hasard. Ce groupe, dans sa voie musicale, fait preuve d’une rare intelligence mise au service de la simplicité au sens le plus noble du terme. Ni Old et son rythme effréné digne de Primary de The Cure, ni le très atmosphérique Similar Way et ses gimmicks savamment distillés apportant une nouvelle touche d’originalité à la déjà très riche palette de couleurs des Russes ne démentiront le propos. Motorama ne demeure pas devant la meute des poursuivants, il accentue encore un peu plus son avance. C’est tout logiquement qu’est porté en guise d’épilogue le coup de grâce (expression à laquelle on peut véritablement donner plusieurs sens) par l’intermédiaire de Write To Me, supplication noyée sous un clavier vintage sous forte influence de The Wake, instaurant une bonne fois pour toute entre cette bande de gamins bénis des Dieux et nous l’Harmony parfaite, celle-là même qui nourrit les plus belles et intenses histoires d’amour.
A la fois respectueux d’un passé musical assumé avec subtilité et ancré dans une démarche personnelle en perpétuelle progression, Motorama élève encore un peu plus le débat au travers de Poverty. Une fois de plus, l’immédiateté du plaisir procuré par les compositions n’a d’égale que la déconcertante facilité avec laquelle cette formation se joue des codes, réinvente le passé afin de mieux écrire sa propre histoire. Plus que jamais, il n’y a rien de nouveau à l’Ouest. Le renouveau, c’est à l’Est qu’il convient d’aller le chercher. Cold hands, warm heart, définitivement.