Paris, février 2014
MOUVEMENTS SOCIAUX CONTRE LA REFORME DU CODE DE TRAVAIL DES JEUNES ET VIRAGE LIBERAL CONFIRME
Dr Mariella Villasante Cervello
Anthropologue (EHESS), Chercheuse associée à l'IDEHPUCP (Lima)
La dernière période de gouvernement a démontré le choix libéral du gouvernement du président Ollanta Humala après avoir été élu grâce aux voix de la gauche et du centre, et sur la base des promesses de réformes sociales profondes qui n'ont pas été réalisées jusqu'à présent. En décembre dernier, le pouvoir exécutif a proposé une réforme du code de travail des jeunes (18 à 24 ans), qui tentait de faciliter l'emploi précaire et mal rémunéré, au grand bénéfice des industriels et des hommes d'affaires. Cependant, cette loi, dite « Ley Pulpín », a été rejetée par le Congrès le 29 janvier, après les grandes manifestations menées par les jeunes depuis trois mois. La forte mobilisation de la jeunesse citadine représente la grande nouveauté des dernières années au cours desquelles le désengagement des jeunes dans la politique nationale était patent. Il est probable que le mouvement de rejet des politiques libérales continue dans cette période des préparatifs pour les prochaines élections présidentielles de 2016.
Le second fait à souligner est la tenue de la Conférence sur le Climat COP 20, organisée à Lima en décembre. Malgré les attentes, elle n'a pas eu les résultats escomptés, et les participants sont arrivés avec grande difficulté à un accord minimaliste, préparant le prochain sommet de Paris, en décembre 2015. Cela étant, la Conférence a donné l'occasion aux organisations indigènes du pays et du monde entier de s'affirmer contre la déprédation des forêts et des territoires dans lesquels ils habitent et sur lesquels ils n'ont pas le contrôle réel des ressources naturelles.
Troisièmement, le président a continué ses voyages à l'étranger, notamment au Vatican et en Russie, ce qui contribue à une meilleure connaissance du Pérou dans le monde. La visite russe a tenté d'ouvrir des nouveaux marchés pour le pays, dans un moment de grand ralentissement de l'économie globale ; en effet, l'année 2014 s'est terminée avec une croissance d'à peine 2,8%, alors qu'on attendait un indice de 5%.
Enfin, une importante décision de justice a été prise à l'encontre de l'ancien dictateur Alberto Fujimori, qui a été condamné à une autre peine de prison de 8 ans pour le détournement des fonds publics pour financer la « presse de caniveau » dans les années 1990. Signalons que d'autres avancées ont été enregistrées dans le domaine de la justice pénale et des droits humains concernant les proches des victimes de la guerre civile des années 1980-2000 .
Politique générale
Le contexte de tension mondiale associée à l'escalade du terrorisme islamique ne touche pas encore directement le Pérou, ni le reste de l'Amérique latine ; cependant, la récession mondiale a déjà commencé à envahir cet espace régional qui, en dépit des proximités culturelles, reste très fragmenté et sans politique commune. Dans ce cadre, en Colombie, les accords de paix entre les subversifs et le gouvernement sont attendus avec beaucoup d'espoir après 60 ans de guerre civile. Les terribles attentats de Paris ont secoué les milieux journalistiques, intellectuels et gouvernementaux du Pérou, et les faits ont été rapportés quotidiennement pendant cette semaine tragique pour la France et pour le monde. Le président Humala a adressé une lettre au président Hollande pour exprimer ses condoléances au nom de la nation et du gouvernement du Pérou .
L'année 2015 a été déclarée « Année de la Diversification productive et du renforcement de l'éducation », il s'agira de continuer les efforts de croissance économique avec inclusion sociale, et de soutenir l'éducation comme base du développement des familles et de la nation en général. Dans ce cadre, une nouvelle loi de réactivation de l'économie a été adoptée, elle prévoit des mesures de taxation favorable aux petites et moyennes entreprises (800 000 entreprises), une réduction de l'impôt des travailleurs indépendants et dépendants (1,2 million de personnes), une réduction de l'impôt des entreprises pour créer plus d'emplois et fortifier la compétitivité (La República du 16 janvier 2015, et du 30 décembre 2014).
Des changements importants dans l'état major de l'armée sont intervenus le 26 décembre 2014. Le chef des forces armées, le général Leonel Cabrera, et les commandants de la Marine, l'amiral Carlos Tejada, et de la force Aérienne, le général Jaime Figueroa, ont cessé leurs fonctions par décision du président. Décision liée à un critère de « rénovation générationnelle ». Cependant, le commandant de l'armée de Terre, le général Ronald Hurtado, a été reconduit dans ses fonctions grâce aux excellents résultats de sa gestion. Le nouveau chef d'état major de l'armée est l'amiral Jorge Moscoso Flores, le nouveau commandant général des forces de l'air est le général Dante Arévalo, et le nouveau commandant général de la Marine est l'amiral Edmundo Luis Enrique Deville. La principale tâche des forces armées reste l'élimination de la subversion du Sentier Lumineux installée dans la région des Vallées des fleuves Apurímac, Ene et Mantaro (VRAEM), sous la direction des frères Quispe Palomino (La República du 30 décembre 2014).
Photo 1 : Le nouveau chef d'état-major de l'armée (premier à gauche), l'amiral Jorge Moscoso Flores (Archives de La República)
Sur le plan interne, le début du mois de janvier a été agité par la nouvelle d'espionnages illégaux de la vice-presidente Marisol Rodriguez, par la Direction nationale de renseignements (DINI), dont le groupe Módulo de inteligencia operativa (MODINOPE) est dirigé par le commandant de police Johny Bravo Sánchez. Des opposants politiques (Jorge del Castillo, Miguel Hidalgo, Alan García) et d'autres congressistes seraient aussi espionnés par le gouvernement, ce que le président Humala a démenti avec énergie le 19 janvier, décidant d'ouvrir les portes de la DINI au contrôle du Congrès et du Ministère public .
Dans la rubrique des affaires de justice, l'homme d'affaires Martín Belaunde Lossio, membre du parti au pouvoir et proche du président Humala, qui avait été poursuivi pour corruption et détournement de fonds, a été finalement capturé en Bolivie au début janvier et l'on attend son extradition vers le Pérou. Depuis le mois de décembre, l'affaire avait suscité un grand émoi, surtout chez les opposants politiques qui accusaient le président d'avoir été soutenu financièrement dans sa campagne présidentielle de 2011 par Belaunde Lossio ; ce que Humala a nié.
Relations internationales
Le président Humala a effectué la première visite d'un chef d'État péruvien en Russie au début du mois de novembre. Précisons que le Pérou n'a pas soutenu les sanctions contre la Russie adoptées par l'Union européenne et les États-Unis suite à la guerre en Ukraine. Le président Humala a rencontré le président Poutine pour consolider les conventions bilatérales de coopération militaire, nucléaire, commerciale et de lutte contre le trafic de drogues. L'accord le plus important est sans doute celui qui concerne la défense, et qui inclut le transfert de technologie et de production conjointe de matériel militaire. La Russie a donné son accord pour la vente d'hélicoptères et d'avions de ligne ; la construction d'une centrale nucléaire au Pérou a aussi été discutée suite à l'offre de l'entreprise Rosatom qui construit une centrale au Brésil. Pour ce qui est des échanges commerciaux, les exportations péruviennes de produits agricoles devraient augmenter dès cette année. Des conventions spéciales ont été signées pour la coopération dans la lutte contre le trafic de drogues ; dont la formation d'agents des forces armées, déjà initiée en Russie qui a formé récemment 115 officiers de neuf pays latino-américains. Enfin, la Russie aidera le Pérou à lancer le satellite Chasqui 1 cette année, et prévoit le lancement de deux autres prochainement (La República du 8 novembre 2014).
Photo 2 : Les présidents Humala et Poutine, novembre 2014 (Archives La República)
Le 13 décembre, la Russie a envoyé huit hélicoptères MI171 aux forces aériennes de l'armée ; le ministre de Défense Pedro Cateriano a souligné qu'ils serviront à augmenter la capacité opérationnelle dans des régions éloignées du pays, dont les points de frontières, mais aussi pour aider les communautés paysannes de l'Amazonie et des Andes, et lutter plus efficacement contre les noyaux terroristes et le trafic de drogue .
Le 14 novembre 2014, le Pape François a reçu le président Humala et son épouse Nadine Heredia en audience privée au Vatican. Le président péruvien a offert plusieurs présents, un livre de recettes de cuisine avec le quinua, une image et un livre du Señor de los Milagros, un t-shirt de la sélection péruvienne de football et une écharpe d'alpaca. Le Pape lui a offert une médaille de la paix et son livre Evangelii gaudium (la joie de l'évangile ).
Photo 3 : Le président Humala avec le Pape Francisco au Vatican (Archives de La República)
Le président Humala a déclaré au Pape qu'il est en train de « donner une nouvelle vision de la parole de Dieu » ; ils ont parlé de l'importance de la religion catholique en Amérique latine et du besoin de la parole de Dieu dans la lutte contre les inégalités, mais aussi de l'importance d'un emploi digne pour les jeunes et pour tous, de la protection des populations vulnérables, dont les personnes âgées et les enfants.
Conférence sur le changement climatique à Lima, décembre 2014 La 20e Conférence (COP20) sur le changement climatique a eu lieu à Lima au début décembre, et elle était présidée par le ministre de l'Écologie, Manuel Pulgar Vidal, avec la collaboration d'un haut fonctionnaire du Costa Rica Christina Figueres. On estime que 14 000 personnes sont venues au Pérou pour participer à cette conférence internationale qui rassemble 190 pays. L'objectif le plus important était de rédiger une première version de l'accord climatique global faisant suite à l'actuel Accord de Kyoto, qui sera discuté lors de la prochaine conférence à Paris en décembre 2015. Il s'agissait aussi de fixer définitivement les accords de réduction des émissions de gaz que tous les pays doivent adopter avant octobre 2015 à l'ONU.
Après deux semaines de discussions ardues, les participants se mirent d'accord le 15 décembre pour lancer L'Appel de Lima, qui demande instamment aux pays développés de contribuer au financement de la lutte contre le réchauffement climatique. Cependant, les organisations non gouvernementales ont déclaré que les accords obtenus étaient faibles devant le besoin urgent de réduire entre 40% et 70% des émissions de gaz à effet de serre avant 2050 pour éviter les effets irréversibles sur le climat. A l'instar d'autres réunions de ce genre, les débats, vus du Pérou, se sont centrés sur le refus des pays riches d'assumer leurs responsabilités dans le réchauffement climatique, et d'aider financièrement les pays pauvres déjà affectés par celui-ci .
Photo 4 : Chefs d'État sud-américains, avec Manuel Pulgar et le secrétaire général de l'ONU (Archives de La República)
Il est frappant de noter que, comme en d'autres circonstances, 61% des Liméniens n'ont rien su de cette réunion internationale de haut niveau. De fait, le thème du climat et de l'environnement est largement méconnu dans un pays où très peu a été fait jusqu'à présent pour sensibiliser les populations. Cela dit, un groupe de jeunes activistes a parcouru le pays depuis mars 2014 et a obtenu le soutien de 335 000 Péruviens avec la consigne « Pon de tu parte ». Il s'agissait d'une campagne d'économie d'énergie, contre le gaspillage de l'eau et la pollution des sols avec des substances toxiques . Ces efforts de la société civile devraient être renforcés par des mesures du gouvernement pour le respect de la nature et des ressources naturelles, incluant le tri des déchets domestiques, source permanente de problèmes sanitaires dans tout le pays.
Cependant, on doit souligner que, pour la première fois, les peuples indigènes ont participé à une Conférence pour le climat et que désormais ils seront toujours présents dans ces rencontres internationales. La Conférence des peuples indigènes d'Asie, d'Afrique, d'Océanie et d'Amérique s'est développée de manière parallèle à la COP20, et leurs principaux thèmes de discussion ont été la sécurité juridique de leurs territoires, la reconnaissance du « Plan de Vie Pleine », le développement économique et social dans le cadre de leurs propres cosmovisions, et la consultation préalable pour l'exploitation de leurs ressources naturelles. Parmi les points soulevés dans la déclaration finale, les peuples indigènes ont souligné leur volonté de participer aux sommets à venir, ils ont également demandé l'abandon du pillage des ressources naturelles, dont le pétrole et le bois, et la protection des défenseurs indigènes de la nature, notamment les femmes . Il faut dire que jusqu'à présent, les exploitations des mines et des ressources naturelles au Pérou sont toujours aux marges de la loi censée les protéger ; et le pillage des ressources et les invasions des territoires indigènes restent encore la norme dans le pays. Espérons que la COP20 ait servi à réveiller les autorités sur l'urgence à agir pour la protection des peuples indigènes.
Photo 5 : Délégation achuar [jivaro] à la Conférence des peuples indigènes (Archives de La República)
Élections 2016
Les préparatifs pour les élections présidentielles de l'année prochaine ont commencé dès la fin de l'année, laissant apparaître le grand désordre qui prévaut dans les rangs de tous les partis officiels. De toute évidence, les candidats de 2011, à l'exception de Humala, pensent revenir sur la scène électorale. Cependant leurs partis devront faire des alliances avec les mouvements régionaux qui ont montré leur importance politique lors des élections d'octobre 2014. Le parti nationaliste du président Humala, qui compte 245 000 membres, est très divisé en raison des critiques d'une partie non négligeable des militants face au virage à droite amorcé quelques mois après la prise de pouvoir, en juillet 2011. Certes, la première dame Nadine Heredia reste très populaire, mais elle est également très critiquée à cause de son rôle politique au sein du gouvernement, alors qu'elle n'est pas élue. En outre, elle ne peut présenter sa candidature car la loi l'interdit, comme elle interdit un second mandat pour le président en place. Les candidats nationalistes seraient Marisol Espinoza, actuelle présidente adjointe, et les congressistes Ana Jara et Fredy Otárola .
Le parti fujimoriste est également divisé, entre l'aile pro-Alberto Fujimori, dite « albertista » et l'aile pro-Keiko Fujimori (la fille de l'ancien président), dirigeante officielle du parti Fuerza popular. Cette dernière essaye de se présenter comme la candidate des pauvres et annonce une révision des erreurs de son père, notamment en matière de justice et de droits humains.
Il faut dire que l'ancien dictateur essaye toujours de revenir sur la scène politique, mais que cet espoir a été anéanti par sa récente condamnation, le 8 janvier, pour détournements de fonds publics pour financer la presse à scandales. Le Tribunal de la Cour supérieure de Lima a condamné Fujimori à 8 ans de prison et au paiement d'une amende de 3 millions de soles au bénéfice de l'État. En conséquence son séjour en prison doit se prolonger, au minimum, jusqu'en avril 2021. Rappelons qu'il a été condamné en 2009 à 25 ans de prison pour les crimes de Barrios Altos et La Cantuta (25 morts). Fujimori a nié toute responsabilité dans l'affaire des journaux et a annoncé qu'il fera appel du jugement .
Photo 6 : Alberto Fujimori lors de son procès de janvier 2015 (Archives de La República)
Le parti d'Alejandro Toledo, Perú posible, a annoncé le début de sa campagne en février 2015, malgré le fait que l'ancien président est impliqué dans un procès de détournement de fonds. En mars, Toledo devra parcourir le pays pour renforcer les comités provinciaux et régionaux. Il n'envisage pas d'alliance avec un autre parti et se présentera seul aux élections.
Alan García, dirigeant historique de l'APRA (centre-droite) se représente également, confiant dans le soutien qu'il dit avoir chez les jeunes. De son côté, Pedro Pablo Kuczynski, président de Perú más (droite), compte revenir, lui aussi, avec le lancement d'une grande campagne sur les réseaux sociaux, des alliances avec les mouvements régionaux et les organisations populaires. Sa rivale de la droite est Lourdes Flores, dirigeante du Parti populaire chrétien, présidé par Raul Castro. Le troisième parti de droite, Action populaire, n'a toujours pas trouvé la personnalité qui le représentera, raison pour laquelle on évoque des « outsiders », sans parti, comme le célèbre chef-cuisinier péruvien Gastón Acurio. Le parti nationaliste pourrait aussi pencher pour une candidature extérieure, celle de Daniel Urresti, actuel ministre de l'Intérieur .
En janvier, le groupe MOVADEF, bras politique de Sentier Lumineux, a présenté le Front pour l'unité et la défense du peuple péruvien, avec trois autres organisations non reconnues par l'État, pour tenter une nouvelle fois de se présenter aux élections. Il s'agit de Patria para todos, Partido político Tierra et le Partido etnocacerista Runamasi. Parmi leurs demandes figure celle de l'amnistie pour les condamnés pour leur participation dans le conflit interne, dont Sentier Lumineux. Le Parti Runamasi est dirigé par Antauro Humala, frère du président Ollanta Humala, en prison pour avoir dirigé une rébellion dans l'armée en 2005 et avoir causé la mort de quatre policiers et deux civils à Andahuaylas (La República du 14 janvier 2015). Le 28 janvier, le président du Jurado nacional de elecciones, Francisco Távara, a déclaré que son bureau a rejeté la demande d'inscription du Front organisé par MOVADEF, et a rappelé le refus du JNE en 2011 et en 2012 car il s'agit d'un groupe qui se revendique de l'idéologie du Parti communiste du Pérou, Sentier Lumineux (La República du 28 janvier 2015).
Mouvements sociaux
La loi de réforme du travail des jeunes vient d'être rejetée par le Congrès par 91 voix contre 18 (dont celle de l'ancien président du Congrès Daniel Abugattás, et Marisol Espinoza, Vice-presidenta del Perú) et 5 abstentions. Depuis le mois de décembre, cinq marches de jeunes citadins ont été organisées pour s'opposer à une mesure qui conduit à la précarité de l'emploi, à des salaires faibles et qui bénéficie seulement aux entreprises .
Le président Humala a regretté la décision du Congrès et surtout l'absence d'alternatives de la part des partis de l'opposition face à l'exploitation du travail dont sont victimes, d'après les estimations officielles, deux millions de jeunes Péruviens. Le président a rappelé qu'ils n'ont rien, que s'ils tombent malades ils perdent leurs emplois précaires et hors la loi . De fait, le manque de protection sociale est généralisé dans le pays, pas seulement pour les jeunes. Cependant, la loi telle qu'elle a été présentée n'accordait pas les mêmes droits aux « jeunes » de 18 à 24 ans qu'au reste de la population active, et favorisait leur exploitation en diminuant leurs salaires et leur possibilité d'accès aux contrats de longue durée. Il faudra à l'avenir proposer une véritable réforme du code du travail pour toutes les classes d'âge du pays.
Photo 7 : La Loi de réforme du travail pour les jeunes rejetée par le Congrès (Archives de La República)
Situation de la justice
La justice italienne a ouvert un procès contre une vingtaine de militaires latino-américains (du Chili, de Bolivie et d'Uruguay) accusés d'avoir fait partie du sinistre Plan Cóndor dans les années 1970 et 1980, dont l'ancien président de facto, le général Francisco Morales Bermúdez . Le procès devrait débuter le 15 février 2015. Les ex-militaires sont accusés d'avoir une responsabilité directe dans les assassinats de 25 Italiens tués dans le cadre du Plan Cóndor mis en place par Augusto Pinochet et les dictateurs argentins. Il faut préciser qu'au cours de l'année 2014 plusieurs militaires du régime de Pinochet ont été jugés et condamnés au Chili et que la caserne où a commencé la répression du dictateur a été déclarée monument national. Morales Bermúdez est accusé d'avoir fait disparaître trois citoyens argentins, dont deux avaient également la nationalité italienne. Malgré son grand âge (il a 93 ans), il devra comparaître au procès de Rome, faute de quoi la justice italienne annonce qu'elle lancera un mandat d'arrêt international à son encontre .
L'ex-colonel Benedicto Jiménez, ancien membre du groupe de police qui avait capturé Abimael Guzmán en 1992, a été arrêté le 26 octobre à Arequipa, après une cavale de deux mois. Il était devenu l'homme de main du réseau de blanchiment d'argent d'Orellana Rengifo. Le 15 novembre, Rodolfo Orellana est rentré au Pérou après son extradition de Colombie, où il tentait d'échapper à la justice péruvienne qui l'accuse de diriger le réseau criminel. Sa sœur Ludith Orellana a été incarcérée à la prison des femmes de Chorrillos .
Le 27 août 2014, le candidat à la mairie du district de San Martín de Pangoa, Líder Villazana Flores a été assassiné ; deux autres candidats ont été tués à Huánuco et à Tumbes [Voir la Chronique d'octobre]. Les trois assassins sont tombés aux mains de la justice, et le 10 octobre, l'un d'entre eux a reconnu que Henry Camayo Poma, fils de la candidate à la mairie de Satipo Delia Poma Colonio, était le commanditaire du meurtre. Cependant, il a réussi à s'échapper et se trouve sous le coup d'un mandat d'arrêt (La República du 10 octobre 2014).
Le 1er septembre 2014, quatre dirigeants de la communauté ashaninka de Saweto (Ucayali), dont le président Edwin Chota, ont été tués par une bande de « narco-madereros » qui tentaient de s'emparer de leurs territoires pour mieux exploiter le bois. La justice a capturé les deux tueurs qui ont agi sous les ordres de José Carlos Estrada Huayta, administrateur de l'entreprise Eco Forestal [Voir la Chronique d'octobre]. Edwin Chota l'avait accusé devant la justice locale qui n'avait rien fait. Les deux assassins sont en détention préventive, et quatre autres hommes de main mêlés au crime ont été capturés près de la frontière avec le Brésil le 1er septembre. Les autorités de la région de l'Ucayali ont ordonné la fermeture des quatre concessions obtenues légalement par ces personnes alors qu'elles se trouvaient sur le territoire collectif de la communauté de Saweto . En décembre, dans le cadre de la Conférence COP20, une délégation d'Ashaninka du Brésil, de la communauté d'Apiwtxa, est arrivée à Lima pour soutenir les demandes des Ashaninka de Saweto. Ils ont prié les autorités péruviennes de coordonner la lutte contre les bandes criminelles qui sévissent dans cette zone .
Photo 8 : Délégation d'Ashaninka du Brésil à la COP20 de Lima (Archives de La República)
Situation des droits humains
On a enregistré des avancées importantes dans la reconquête de la mémoire collective des Péruviens des Andes, qui ont le plus durement souffert de la guerre civile péruvienne. Le 28 octobre, les habitants de la communauté de Huallhua (Ayahuanco, Ayacucho), à 4000 mètres d'altitude, ont reçu les restes de trois « défenseurs » du village qui fut attaqué par une bande de Sentier Lumineux à l'aube du 14 juin 1990. Selon l'équipe de médecine légale (EFE), ils avaient été tués à l'arme blanche après avoir été lapidés. Les restes de 62 autres victimes de la violence de cette période, ainsi que des objets personnels ont été également restitués par les équipes de médecine légale. Les proches des morts ont organisé des funérailles qui ont permis aux enfants et aux jeunes de mieux connaître cette sombre période de leur histoire .
Photo 9 : Proches des victimes du Sentier Lumineux à Huallhua, Ayacucho (Archives de La República)
Le 13 novembre, des proches des victimes du massacre de Putis, assassinés par une patrouille de l'armée de terre le 13 décembre 1984, sont arrivés à Lima pour demander justice car l'affaire, après 12 ans d'enquête judiciaire, n'est toujours pas close. En effet, 92 corps ont été exhumés mais aucune enquête orale n'a encore commencé. Les soldats de l'armée ont commis le massacre le plus sanguinaire de la guerre, en passant par les armes 123 paysans, après les avoir obligés à creuser leurs propres tombes. Le juge de paix de Putis, Héctor Fernández, a déclaré qu'il reste à exhumer environ 40 fosses communes et a demandé aux autorités d'aider au développement de cette localité abandonnée depuis toujours. L'avocat de l'ONG Paix et espoir, Milton Campos, a affirmé que la situation judiciaire est bloquée parce que le ministère de Défense n'envoie pas d'informations sur le personnel qui était dans la zone au moment du massacre. Le Défenseur du peuple, Eduardo Vega, et la congressiste Marisol Pérez, ont demandé au ministère de la Défense de délivrer l'information pour en finir avec l'impunité.
Le 15 janvier on a découvert une photo qui apporte des nouvelles informations sur Putis. Un soldat anonyme pose devant une sorte de monument avec les noms des bases antisubversives qui ont opéré dans la province de Huanta : Putis, Canayre, Ayahuanco, Carhuarán, et enfin Churcampa à Huancavelica. La photo révèle bien la présence de militaires en 1984, alors que la version de l'armée et du ministère de la Défense est que les bases furent installées « après le massacre de Putis ». Selon ces derniers, la base de Putis fut ouverte entre avril et décembre 1988 (Informe final de la CVR 2003). Pourtant, dans le livre blanc de l'armée publié en 2012 (En honor a la verdad), la base de Putis fut créée en mai 1985, et il n'y eut aucune base avant cette date. La photo en question a été transmise à la justice d'Ayacucho en novembre 2009 et n'a jamais été vue par les fonctionnaires chargés de l'affaire. Zacarias Palomino, qui était guide des soldats en 1984, a déclaré qu'en février 1984, une patrouille d'environ 60 soldats sous le commandement du lieutenant « Lalo » l'a obligé à les guider jusqu'à Putis, où ils ont installé une base provisoire. En deux occasions il a été forcé d'emmener des vivres à cheval dans cette zone (Fiscalía mixta de Huanta, le 13 décembre 2001) (La República du 15 janvier 2015).
Photo 10 : Soldat à Putis, vers 1985 (Archives de La República)
D'autre part, les résidents des localités de Santa et Pariacoto (Ancash) ont demandé au Vatican de béatifier trois prêtres, deux polonais et un italien, tués par Sentier Lumineux en 1991 parce qu'ils s'opposaient à leurs actions. La demande a été faite il y a 20 ans, et le Vatican a finalement annoncé que la décision sera prise en février 2015 .
Photo 11 : Cérémonie de commémoration à Uchuraccay (Archives de La República)
Enfin, le 26 janvier, on a commémoré le 31e anniversaire du massacre de huit journalistes et d'un guide dans la localité d'Uchuraccay, située à 4000 mètres d'altitude dans les Andes d'Ayacucho. Ils avaient été confondus avec des subversifs et les paysans, suivant les recommandations de l'armée sur l'arrivée d'inconnus dans le village, les ont tués. Pendant plusieurs années le village fut abandonné et 135 personnes furent tuées, en représailles, par les forces de l'ordre et les subversifs. En 2014, l'Association nationale des journalistes, par la voix de son représentant, Efraín Castañeda, a exprimé sa volonté de réconciliation au maire d'Uchuraccay, Emiliano Ramos. Huit personnes ont refait le chemin à pied effectué par les journalistes, et ont été reçues par le maire au centre du village, où l'on avait préparé un marché gastronomique et artisanal. Selon la représentante de l'Association des journalistes d'Ayacucho, en 2014 on a pu sentir un véritable rapprochement entre les proches des victimes et les habitants du nouveau Uchuraccay.
Lieu de la mémoire de la région de Junín
En décembre dernier, le Lieu de la mémoire de la région de Junín, dont le nom quechua est : « Yalpana Wasi-Wiñay Yalpana » (Maison de la mémoire, Pour se souvenir éternellement) inauguré le 2 juin 2014 à Huancayo, a organisé une cérémonie de donation d'habits des victimes pour son exposition ; ce fut l'occasion de se rappeler des faits tragiques qui ont marqué cette région dans les années 1990 .
Photo 12 : Proches des victimes de la guerre au Lieu de mémoire de Huancayo (Archives de La República)
Cependant, bien qu'il s'agisse d'un bâtiment fondamental pour la mémoire et la réconciliation, le changement d'autorités régionales, le 31 décembre, a conduit à une remise en question de la gestion et du contenu de l'immeuble.
Photo 13 : Lieu de la mémoire de la région de Junín (Archives de La República)
En effet, dans un premier temps, le nouveau président régional, Angel Unchupaico, a soutenu la demande des autorités de la mairie de Chilca, quartier où est installé le bâtiment, qui voulaient convertir l'édifice de cinq étages en bureaux de la municipalité. Fort heureusement, les temps ont changé, et la société civile, ainsi que les organismes de défense des droits humains, dont la Defensoría del pueblo, se sont rapidement organisés pour défendre le Lieu de mémoire de Junín. Le président régional a déjà fait marche arrière dans son soutien au maire de Chilca, et une pétition recueille actuellement des signatures de soutien pour conserver au bâtiment sa fonction, en le dotant d'une autonomie financière et institutionnelle.
Justice ordinaire vs justice native
Deux faits récents, qui se sont passés dans des communautés natives de l'Amazonie, montrent que la distance perdure entre la justice péruvienne ordinaire et la justice native, en particulier dans les affaires sexuelles . Le premier cas concerne l'accusation du ministère Public contre Julio César Dahua (20 ans), d'une communauté quechua de Loreto, pour viol sur mineure. Dahua avait établi une relation de couple avec Eleny Irarica Bardales, 13 ans, et ils avaient eu une fille. L'union était acceptée par les familles et par la communauté, car comme Dahua l'a expliqué à la justice, son peuple considère que « les relations sexuelles sont normales avec les filles dès leur entrée à la puberté ». Cependant, le procureur Ulises Germán García a déclaré qu'en dépit de ces « coutumes » les jeunes comme Dahua savent qu'elles ne sont pas correctes, et mauvaises, d'où leurs mensonges devant les agents de la justice. Dahua aurait dû aller en prison, mais il eut accès à un avocat qui a défendu sa cause. Finalement, les autorités locales ont décidé qu'il ne pouvait être jugé avec les règles de la culture occidentale péruvienne, et l'ont remis en liberté.
Le deuxième cas concerne le viol de petites filles par leur père, Celso Yaun Ukunchan, dans la communauté awajun [Jibaro] de San Rafael (San Martín). L'épouse de cet homme, Raquel Santa Cruz, l'a dénoncé devant la justice native, et le chef de la communauté l'a puni selon le règlement de la communautaire (prison, coups de fouet, travaux collectifs et traitement avec des herbes hallucinogènes (ayahuasca) pour « laver son esprit ». Finalement, la communauté l'a définitivement expulsé. Cependant, lorsque le procureur fut mis au courant, il ordonna la détention de l'homme, malgré les explications de son épouse. L'affaire se trouve devant le Segundo juzgado de Moyobamba.
Ces situations de collusion entre la justice et la loi péruvienne et les référents de justice indigène reflètent le flottement qui a toujours caractérisé l'acceptation, dans la Constitution péruvienne (article 149), du principe de la « justice native », alors même que celle-ci admet des pratiques contraires à la loi péruvienne. Dans la loi, les viols d'enfants, les relations incestueuses, les relations sexuelles avec des mineurs, et les violations sexuelles en général sont des délits graves passibles de lourdes peines de prison. Et si la perspective « interculturelle » peut être positive lorsqu'il s'agit de respecter les pratiques écologiques des indigènes, elle ne peut pas justifier des pratiques contraires à la loi. Beaucoup d'indigènes et d'indigénistes ne comprennent pas encore cette assertion de sens commun. Cependant, un pas dans la bonne direction a été fait depuis deux ans par le ministère de la Justice et par le pouvoir judiciaire, qui ont élaboré un Manuel sur les droits et les devoirs des populations indigènes pour qu'elles apprennent à connaître et à respecter les droits humains qui les concernent, eux aussi (La República du 2 janvier 2015).
Lutte contre la corruption, la criminalité, le terrorisme et le trafic de drogue
Le programme de lutte contre la corruption a continué à se déployer dans le pays, où personne ne peut plus se croire au-dessus des lois. Le 18 décembre 2014, le ministre de l'Intérieur, Daniel Urresti, a annoncé que 500 agents de police avaient été renvoyés pour corruption, et 480 devront suivre le même chemin après les enquêtes du Tribunal disciplinaire de la police. 24 officiers de police ont été expulsés de l'institution pour leurs liens avec des mafias de narcotrafiquants (La República du 18 décembre).
Au cours de l'année 2014, 7 101 officiers et sous-officiers ont été traduits en justice, dont 4 261 policiers et 2 840 militaires. Environ 50% étaient accusés de désertion, 30% de désobéissance aux supérieurs, 15% de vol d'armes, de munitions et de carburant, et 5% d'abus d'autorité. Au total, 118 d'entre eux étaient des officiers de haut rang. Selon le président du Tribunal suprême de la police militaire, le général Juan Ramos Espinoza, l'augmentation des procès et des condamnations est due à la réforme radicale de la justice militaire. Ainsi, on juge désormais sans aucune distinction de hiérarchie et de manière exemplaire, avec des punitions sévères. Les cas de désertion les plus scandaleux sont ceux des pilotes des forces aériennes et de la marine qui abandonnent l'armée pour travailler dans des entreprises privées après avoir reçu une formation d'élite aux frais de l'État. Un certain nombre d'entre eux partent même en Europe. Les agents de police sont souvent mêlés aux vols des biens de la défense (armes, munitions, essence). La justice militaire est intervenue également dans les cas de pots de vin distribués par l'entreprise nord-américaine Dallas Airmotive aux forces aériennes pour obtenir des contrats.
Le 27 décembre, le ministre de l'Intérieur, accompagné du directeur de la Police, le général Jorge Flores Goycochea, et du procureur anti-terroriste Julio Galindo, ont interdit une exposition de peintures de prisonniers de Sentier Lumineux, dont Elena Iparraguirre et Maritza Garrido Lecca, qui se tenait dans la cave d'un restaurant du centre-ville de Lima. L'exposition avait été organisée par le MOVADEF (Mouvement pour l'amnistie et les droits fondamentaux), organisation néo-senderiste qui continue à promouvoir sa banalisation politique. Le ministre a affronté, dans une joute verbale très énergique, l'avocat d'Abimael Guzmán, Manuel Fajardo, dirigeant de MOVADEF ; critiquant également le pouvoir judiciaire qui l'a laissé en liberté « faute de preuves ». Les personnes responsables de cette exposition ont été dénoncées pour apologie du terrorisme.
Situation dans la région des VRAEM (Vallée des fleuves Apurímac, Ene et Mantaro)
A la fin octobre, on a découvert un nouveau « manuel terroriste » (Manual del combatiente del héroïco y militarizado partido comunista del Perú), élaboré par la bande des frères Raúl y Víctor Quispe Palomino, dans lequel sont ordonnées « l'élimination sélective » de cibles, et des actions de sabotage du gaz de Camisea et des pylônes d'électricité. L'élimination sélective concerne les avocats d'Abimael Guzmán, classés comme « capitulador », et des journalistes et analystes qui les combattent publiquement. Une autre nouveauté a été la confirmation que les terroristes communiquent en quechua et rarement en castillan . Précisons encore que, à la fin de novembre 2014, Guzmán avait commencé une grève de la faim dans sa cellule en exigeant que son épouse Elena Iparraguirre, qui purge sa peine de prison à perpétuité à la prison de Piedras Gordas, puisse lui rendre visite comme la loi l'autorise. Leur dernière rencontre datait de décembre 2013, et, alors que ces rencontres pouvaient se faire tous les deux mois, les autorités les avaient refusées.
Au début du mois d'octobre, deux policiers ont été tués dans la région des VRAEM par des narcoterroristes alors qu'ils protégeaient, avec une patrouille de 28 soldats, le transfert du matériel électoral dans le district d'Ayna. Il s'agit des sous-officiers Sergio Mendoza Hallasi et Luis Velasquez Dias, dont les funérailles ont reçu les hommages posthumes de la Police nationale et du ministre de l'Intérieur.
Photo 14 : Funérailles des policiers tombés dans la région des VRAEM (Archives de La República)
Depuis le mois d'octobre, l'armée continue la destruction des pistes d'atterrissage des avions chargés de drogue dans la région des VRAEM. La Direction de lutte anti-drogue (DIRANDRO) estime que chaque vol est chargé de 300 à 400 kilos de cocaïne destinés aux marchés intermédiaires de Bolivie, du Paraguay et du Brésil.
Photo 15 : Pistes des narcotrafiquants dans la région des VRAEM, en rouge les pistes détruites récemment dans la vallée du fleuve Ene (Satipo, Junín) (Archives de La República)
Au cours de l'année passée, 185 pistes ont été dynamitées, mais 49 ont été reconstruites grâce à la main d'œuvre locale que les narcotrafiquants payent très cher, entre 20 et 100 dollars par jour. Les pistes ont entre 300 et 500 mètres de long pour 10 mètres de large et se situent dans des zones inaccessibles, notamment à Mimirini, Mayapo, Santa Rosa et Teresa Quisto. D'autres pistes ont été identifiées dans la province de Huanta (Ayacucho), à Llochegua et à Canaire. Un paysan originaire de la région de Palcazu (Pasco) a déclaré que les narcotrafiquants payent 70 dollars par jour à 20 hommes qui travaillent pendant 4 jours, ce qui représente une rentrée d'argent très importante pour leurs familles. Dans cette zone, la police a identifié plus de 30 pistes qui servent de point de départ vers la Bolivie, le Brésil, l'Argentine et le Paraguay. Les pilotes gagnent entre 10 000 et 25 000 dollars, la location de l'avion environ 70 000 dollars, et l'usage de la piste clandestine environ 12 000 dollars selon le général Romero. Le chargement de drogue, entre 300 et 400 kg, est estimé à 360 000 dollars ; la même quantité coûte 13,5 millions de dollars en Europe et plus de 7,5 millions aux États-Unis. Le Pérou étudie un projet de loi qui permette d'exproprier les terrains des pistes qui, en général, ne font pas l'objet de titres de propriété mais seulement d'usage.
Le ministre de Défense adjoint, Iván Vega, a déclaré que les bandes de Sentier Lumineux font payer les trafiquants pour chaque vol, aussi bien dans le VRAEM que dans la vallée du Huallaga. Cela ne signifie pas pour autant que la subversion soit de retour, mais leurs tentatives sont encore d'actualité. Après la mort des dirigeants « Gabriel », « William » et « Alipio », chefs militaires sanguinaires, les bandes sont en cours d'anéantissement. Cela étant, les enfants-soldats sont toujours endoctrinés dans les « écoles populaires » dirigées par le sinistre Jorge Quispe Palomino, « camarada Raúl ». Iván Vega affirme que la police et l'armée sont en train de déployer des efforts importants pour anéantir ces bandes définitivement .
Le 22 septembre, l'état d'urgence a été rallongé de 60 jours pour consolider la « pacification » dans plusieurs districts de la région des VRAEM et dans le district d'Echarate (Cusco). Dans cette dernière zone, les manifestations des habitants contre la construction d'un gazoduc se sont soldées par deux morts et plusieurs blessés. L'état d'urgence implique que les forces armées assument le contrôle de l'ordre interne, et que les garanties de liberté de réunion, de circulation et d'inviolabilité du domicile sont suspendues (La República du 19 septembre).
Photo 16 : L'armée est déployée dans la région des VRAEM (Archives de La República)
Une bonne nouvelle avant de conclure. Au début du mois de décembre, le général Leonel Cabrera Pinto, ancien chef des forces armées, a informé que des panneaux solaires avaient été apportés dans la région du Gran Pajonal, où habitent des milliers de natifs ashaninka, qui ont été durement frappés par la violence de Sentier Lumineux au cours de la guerre interne. Il a déclaré que ce type de matériel qui conduit à l'amélioration des conditions de vie est aussi important pour la population rurale que la lutte militaire contre les bandes des subversifs. Désormais les natifs ashaninka pourront donc disposer de l'électricité dans cette zone d'accès très difficile située à la confluence des fleuves Tambo et Ucayali, dans le département d'Ucayali (La República du 11 décembre).
Réflexions finales
Le Pérou se prépare aux élections de l'année prochaine dans un cadre politique marqué par l'essor de mouvements régionaux et la persistance de caudillos se présentant comme des sauveurs de la nation. Les vieux candidats, présents aux élections de 2011, annoncent leur retour, et pour le moment aucun candidat sérieux ne semble attirer les suffrages de la majorité. Cela étant, la « grande transformation » annoncée par le président Humala est devenue la « grande frustration » de millions de Péruviens qui ont voté pour lui et qui certainement ne soutiendront plus un candidat venant de son parti, progressivement passé de la gauche à la droite ultralibérale. Certes, des avancées dans les réformes de l'État, du pouvoir judiciaire et des forces armées ont amélioré la gestion du pays depuis 2011, mais il reste beaucoup à faire pour éradiquer la corruption et l'insécurité interne qui restent importantes. La nouveauté importante des derniers mois est que les dirigeants du mouvement des jeunes, opposés à la loi du travail, ont annoncé leur volonté de continuer leur lutte politique en s'attaquant à la protection des droits humains et de l'écologie.
Des avancées sont aussi intervenues dans le contexte de la justice pénale et de la justice liée aux droits humains. Cependant, comme le rappelait récemment Rocío Silva Santisteban, secrétaire de la Coordinadora nacional de derechos humanos (CNDH), qui a joué un grand rôle pendant la guerre civile, les droits humains et leurs défenseurs sont encore stigmatisés : certains sont taxés de « défenseurs des terroristes » et d'autres comme faisant partie de la « gauche caviar » (caviares). Silva Santisteban a rappelé également que 30 ans après la fondation de la CNDH, ils ont besoin de la reconnaissance de l'État, surtout pour leur soutien constant de la démocratie. Si l'État a créé une instance des droits humains au sein du ministère de la Justice, celle-ci ne remplit pas les besoins d'intégration des secteurs vulnérables de la société péruvienne, et semble plutôt exister comme une vitrine destinée aux instances internationales (ONU, CIDH). Dans ces conditions, beaucoup reste à faire pour mettre en œuvre les recommandations de la Commission de la vérité et la réconciliation, qui restent la principale référence en matière de réformes de l'État péruvien depuis 2003 (La República du 24 janvier).
Photo 17 : Rocío Silva Santisteban (Archives de La República)