Après le beau Balbuciendo, Michèle Finck publie La Troisième main, de nouveau aux éditions Arfuyen.
Cicatrisation
L’œil blessé cicatrise lentement dans le noir
Et brûle. Le soleil intérieur tourne
En silence. Ne plus savoir vivre sans
Écrire. Le son est guérison.
Il neige bleu dans la mémoire.
Plus de sang. Simplement un peu d’eau
Claire sur le visage qui rayonne
D’illuminations sonores.
Et les sons maintenant nous écoutent
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Bach : Messe en si
Sergiu Celibidache
« Et resurrexit »
Musique de Bach nous relie aux morts.
Les voix sont debout. L’os est debout.
Vouloir ensevelir le père mort
Dans le suaire de « Resurrexit ».
Lui donner sépulture dans cette liesse.
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Beethoven : Sonate opus 11. Arietta.
Claudio Arrau
Variations heuristiques. Quelque part
Dans l’illimité. Cherche. À tâtons. Cherche.
Mues du piano aux extrêmes de l’aigu
Et du grave. Autre face de l’oreille. Autre
Versant du cosmos sonore. Renverse du silence.
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Schumann : Kreisleriana.
Vladimir Horowitz : piano
Sehr rasch. Hallucinations sonores
Tournoyantes. Cauchemars acoustiques.
Brou de sons heurtés. Bris de rythme. Brèche.
Mains de somnambule ailé volant
Au-dessus de lui-même et déjà mort
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Debussy : Children’s Corner.
Aldo Ciccolini* : piano
Mikado de sons moirés.
Bijou caillou genou. Chouchou
Joue. Les silences clignent
De l’oreille. Petit berger vole.
Piano troglodyte.
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Note
Dinge machen aus Angst
Faire des choses avec de l’angoisse
Rainer Maria Rilke
Ce livre, composé d’une suite de cent poèmes d’extase musicale, a été écrit dans le noir et la pénombre, après une opération de la cataracte. Comme si, en opérant les yeux, on avait ouvert quelque chose de plus profond : brèche dans l’écoute ; non pas poèmes sur la musique, mais poème à et avec la musique ; poésie et musique intensément mêlées, qui tournoient tout au bord du silence.
Noir avec torche de musique.
Michèle Finck, La Troisième main, Arfuyen, 2014, pp. 9, 19, 39, 41, 48 et 129.
*ndlr : Poezibao rappelle qu’Aldo Ciccolini vient de mourir, ce 1er février 2015.