Le modèle éthique français du don de sang, que le monde entier nous envie évidemment sans pour autant le copier systématiquement (les fous !), est sans doute en train de vivre ses dernières heures. Depuis le lundi 2 février, le monopole de droit dont jouissait l’Établissement Français du Sang (EFS) est tombé et la vente de plasma issu de la collecte de sang est maintenant ouverte à la concurrence. Immédiatement, tous ceux que la question titille se sont dressés pour imaginer le pire et hurler à la mort.
En effet, avec la disparition du monopole, le modèle économique de l’ESF, établissement public en charge de cette collecte, va être profondément modifié, à commencer probablement par la gratuité des dons de sang, comme en Allemagne, en Chine ou aux États-Unis où les volontaires sont rémunérés, et quand il est collecté, par exemple, par le groupe suisse Octopharma, cela tourne autour de 50 euros.
Bien sûr, d’après l’ensemble des humanistes qui ont bien réfléchi à la question, avec une telle rémunération ressort immédiatement l’hydre hideuse et visqueuse de la marchandisation du corps humain qui – c’est bien connu ! – est aux libéraux ce que le Carlton de Lille est à DSK : un terrain de jeux sordides où l’argent permet de tout acheter, au minimum. Nul doute que cette concurrence, une fois installée, va tout faire pour pomper en lentes succions gargouillées et glaireuses les précieux fluides de pauvres sans le sou, afin de les revendre à prix d’or à de riches citoyens trop heureux de bénéficier d’un système à deux vitesses dont la Sécu entendait pourtant protéger les Français. Ici, insérez l’histoire catastrophique et lacrymogène d’un malheureux qui va donner trente-huit litres de sang (au moins !) en une seule fois pour pouvoir payer son loyer, et vous aurez une vague idée des torrents de tristesse, de malheur et de grincements de dents qui vont s’abattre sur le pays suite à cette funeste décision que nous impose (encore une fois) une Europe turbo-libérale débridée. Sans compter, mes petits amis, qu’avec une rémunération, comment ne pas être tenté de ne pas révéler certaines informations sur son état de santé, et profiter ainsi d’un argent facile à récupérer ?
Dès lors, pas étonnant que les syndicats, les yeux pleins de larmes et conscients de l’immense responsabilité sociale qu’ils ont dans ce changement de paradigme fondamental, se soient emparés de la question et mettent déjà en exergue les inévitables dérives que cette (méchante) concurrence va entraîner : ils ont donc immédiatement déposé un préavis de grève, l’arrêt de toute action étant comme chacun le sait l’alpha et l’oméga de leurs méthodes (efficaces !) de résolution de problèmes. Rassurez-vous, il ne s’agit pas ici de lutter pour un don du sang gratuit (i.e payé par les autres), mais simplement de s’assurer que le changement de modèle économique de l’EFS n’entraîne pas de remise en question des emplois de l’établissement, même si l’apparition de cette concurrence – méchante, méchante concurrence !- devait remettre en cause son efficacité et le pousser à améliorer son service.
Parce que voyez-vous, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le fait de rémunérer les fournisseurs de sang et de plasma revient en pratique moins cher que les dons : ces derniers, bien que gratuits, nécessitent à la fois des bénévoles disponibles, des campagnes de communications très coûteuses et une organisation plus souple qui doit en effet aller s’adapter à toutes les contraintes des donneurs, ce qui influe grandement sur le prix d’une poche de plasma. Comparée aux pays où les collectes de sang sont rémunérées, la France est donc effectivement moins compétitive.
Il faut aussi comprendre que si, jusqu’à présent, le sang est un tissu humain qui n’est officiellement pas une marchandise lorsqu’il est produit, qu’il n’en est toujours pas une lorsqu’il est prélevé, il le devient subitement lorsque ceux qui l’ont prélevé le vendent aux établissements hospitaliers avant qu’il soit utilisé. Autrement dit, cela bénéficie à celui qui le reçoit, cela bénéficie à celui qui le prélève, mais cela ne bénéficie en rien à celui qui le produit. Et l’idée même d’une rémunération de ces derniers affole les belles âmes qui seraient les premières, pourtant, à dénoncer une honteuse exploitation capitaliste pour toute autre production consentie mais non rémunérée.
Moyennant quoi, il sera impératif de bien ancrer dans l’esprit de tous que la moindre dérive vers une marchandisation d’un organe ou d’un fluide humain, à commencer par le sang, est une abomination absolue. Cet argument, purement moral et émotionnel et non rationnel et basé sur les faits et l’expérience pourtant menée dans plusieurs pays, permettra à tous ceux qui sont concernés, riches comme pauvres, d’être confrontés à la même pénurie, aux mêmes manques, aux mêmes risques de mourir bêtement par l’insuffisance des stocks, et, pire encore, au même marché noir.
Marché noir qui, pour le coup, favorise explicitement les riches au détriment des pauvres, alimente les réseaux de prélèvements douteux, la nécessité et la rareté faisant alors loi avant la sécurité sanitaire du donneur et du receveur. Du reste, c’est exactement le même problème qu’avec d’autres biens ou services rendus illégaux alors que leurs commerces, bien encadrés, ne fait pas de victime, au contraire. La drogue ou la prostitution viennent immédiatement à l’esprit, où la criminalisation du consommateur et du producteur (dans différentes proportions suivant les biens et les services) aura abouti, dans tous les cas, à de magnifiques résultats qui, en quelques décennies, ont largement prouvé l’efficacité des décisions prises sur ces bases purement morales et émotionnelles.
Autrement dit, grâce à l’imparable argument moral, on assure aux honnêtes gens une égale certitude de mort, et on ne change rien pour ceux qui sont effectivement prêts à tout. Le gain est, on peut le dire, discutable.
Oui, le classement du sang en bien strictement non marchand au niveau des donneurs a l’odeur et la couleur du cynisme, mais c’est surtout très pratique pour calmer les prurits moraux de certains dont la vie, au demeurant, ne dépend qu’assez rarement du bon approvisionnement de ce fluide.
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