Que de BD, que de BD sur Jemelivre ! Normal, la Charlotte de Géronimo a deux ans aujourd'hui. Résultat : après Chabouté avant-hier, Riad Sattouf aujourd'hui ! Alors, très bon anniversaire, joli cœur, et à mon tour de me bouger pour rédiger une chronique dans les temps impartis (avant ce soir minuit, sinon, je vais devoir changer mes deux premières phrases ! )
Dans L'arabe du futur, Riad Sattouf narre sa petite enfance entre deux pays du Moyen-Orient : la Libye de Khadafi et la Syrie d'Hafez-el Assad. Né d'un couple mixte (père universitaire d'origine libyenne, mère bretonne), il est très vite remarqué par sa blondeur suspecte (maternelle) mais reconnu par les siens grâce à ses orteils de pieds si génétiquement caractéristiques (ouf, l'honneur est sauf).
Aussi différents soient ces deux pays, ils décrivent le même culte de la personnalité (omniprésence de Khadafi à la télévision, celle d'El Assad sur les affiches). Ce matraquage des consciences s'instaure aussi dans les journaux (presse muselée, censure des articles soit par arrachage de feuilles, soit par stabilo !), dans les contrôles des aéroports (où le bakchich est monnaie courante : c'est le cas de le dire). Ces régimes totalitaires montrent le délabrement dans lequel vit la population : saturation du fait religieux, peu de temps/d'espace à l'instruction (les écoliers se relaient matin et après-midi pour apprendre), conditionnement des femmes au foyer. Les enfants ont peu pour jouer : le manque de culture et de recul intellectuel entraîne une forme de bestialité (l'anecdote du chien demeure édifiante). On constate avec effarement que la haine des Juifs s'entretient très jeune et que la communication verbale grossière favorise là encore, la violence physique et le passage à l'acte.
Tout est dur dans ce que raconte Riad Sattouf et c'est une des grandes réussites de cette BD auréolée de succès au festival d'Angoulême 2015 : celle de nous faire sentir la tension palpable sur chaque individu. Oui, il est difficile de vivre dans ces dictatures, où tout est contrôlé, surveillé, où la moindre denrée alimentaire s'acquiert au coude-à-coude et sous les invectives. Même les logements libyens ne se quittent pas le temps d'une promenade (Kadhafi avait rendu les serrures illégales) sous peine de retrouver ses valises sur le pas de la porte ! Pénurie de viandes, de boulot, de liberté.
À chacun sa douleur/sa couleur : jaune pour le séjour libyen, bleu pour le breton, rose pour le syrien. Riad Sattouf n'épargne pas non plus sa famille (son oncle paternel en particulier qui a manqué de loyauté vis-à-vis de son père). Ce dernier pourtant athée se remet à lire le Coran et à le faire apprendre à son fils aîné. On entend là les difficultés d'un couple mixte amplifier dans des situations de vie extrêmes.
Je ne remets pas en cause les dires de Riad Sattouf mais je me suis régulièrement posé la question suivante : comment a-t-il pu autant se remémorer ? Certes, il semble précoce (ses dessins pompidouesques l'attestent) mais là, franchement, la précision des scènes racontées me bluffe assez (moi qui a contrario ai très peu de mémoire vive sur ma petite enfance). Je comprends donc la contestation parentale lors de la parution de L'arabe du futur, expliquant que l'auteur avait un peu travesti/détourné la réalité des choses (surtout qu'observées par des yeux d'enfant, certaines scènes peuvent prêter à confusion ou à interprétation erronée).
Conclusion : une lecture très instructive, passionnante, à découvrir vraiment et maintenant, si ce n'est déjà fait !
Éditions Allary
offert à mon A. lu dans le cadre de mon prochain comité de lecture.
d'autres avis sur cette BD : Géronimo (normal !), Deedoux,
et un de plus pour le challenge d'Asphodèle (Fauve d'Or 2015 d'Angoulême)