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"Quoi que je fasse, je proteste" au Théâtre de l'Usine, à Genève

Publié le 05 février 2015 par Francisrichard @francisrichard

Si vous allez voir Quoi que je fasse, je proteste, ne vous attendez pas à voir du théâtre dans le sens classique du terme. Peut-être faudrait-il parler d'une création pour le théâtre plutôt que d'une pièce. Tout est fait pour surprendre, à commencer par le lieu. Car le TU, Théâtre de l'Usine, se situe place des Volontaires, à Genève, derrière le Bâtiment des Forces Motrices, un décor qui pourrait servir naturellement de cadre à un roman de Simenon, pourquoi pas un Maigret, surtout un soir de tempête comme ce soir, où le froid était pénétrant et n'invitait pas à la flânerie.

Dans le foyer, où se trouve le guichet, sur un écriteau on peut lire Tu paies avec les différents prix des billets, et sur un autre écriteau au-dessus du bar on peut lire Tu bois avec les différents tarifs des consommations. Un tutoiement qui semble de rigueur... Le public qui attend d'entrer dans la salle est d'ailleurs en majorité composé de jeunes femmes. Elles viennent voir la performance de deux autres jeunes femmes, Anne Rochat, qui a écrit le texte et qui restera muette tout du long, et Sarah Anthony, qui le dira.

Sur un mur du foyer, des extraits de ce texte sont projetés, en blanc sur fond noir:

Je refuse d'être toujours sur mes gardes et couverte, mal comprise et susciter la méfiance.

Le dialogue comme mule du pouvoir.

On peut et on doit continuer de parler, quoi qu'il arrive.

Etre capable de comprendre les relations que nous entretenons avec les autres.

Le Thumos quotidien de l'ultime certitude.

On entre dans la salle. Un halo odorant enveloppe les spectateurs. Ils s'assoient sur des bancs un peu raides, qui font le tour de la salle sur trois côtés. Sur le quatrième est dressée une estrade, haute. Dans un angle, juste à côté d'un miroir, se trouve, en attente, une jeune femme, Sarah Anthony, cheveux noirs, gominés, debout, pieds nus, blouse blanche légèrement transparente, laissant deviner un soutien-gorge sombre, pantalon légèrement près du corps, couleur chamois. Au centre de la pièce, sous un lustre de spots jaunes, une autre jeune femme en robe-toge noire, Anne Rochat, cheveux clairs, debout, pieds nus également, tient à deux mains une boule en plastique transparent, à moitié remplie d'eau. Elle est juchée sur un plateau qui tourne doucement.

Se succèdent les tableaux. Pendant une heure. Sarah Anthony monologue et bouge avec son corps. Elle déambule, elle danse, elle s'assied, elle s'allonge... Le texte crépite dans le micro qu'elle tient dans une main, comme tiré par une machine à phrases, les mots jouant les uns avec les autres, tantôt à partir de  leurs consonances, tantôt à partir de phrases toutes faites du langage courant, qui se présentent désordonnées, comme ébouriffées. La voix de Sarah Anthony passe par tous les registres: elle parle fort, elle chante presque, elle dit en rythme, elle chuchote, elle susurre...

Pendant ce temps-là, Anne Rochat fait monter doucement la boule de plastique transparent, à moitié remplie d'eau, le long de son corps, qui, dans le même temps, suit les rotations du plateau sur lequel elle semble comme ancrée. La roue tourne et le temps s'écoule, comme dans la vie. La boule, qui n'est pourtant pas une clepsydre, puisqu'elle ne se vide pas, monte doucement jusqu'au-dessus de la tête, comme au milieu de l'existence, puis redescend tout aussi doucement jusqu'à ce qu'à la fin Anne Rochat se retrouve en position foetale, la boule contre son ventre...

Il est vain de vouloir tout comprendre du texte, ne serait-ce que parce qu'il est très dense, très travaillé, très mêlé - parfois cru, parfois tendre, et parfois doux, parfois violent. Alors il faut se laisser porter par les mouvements des corps - celui d'Anne Rochat est très présent, en dépit de son mutisme et de sa localisation dans l'espace -, par les sonorités du texte, par la musique vocale de Sarah Anthony. Le halo odorant dans lequel spectateurs et performeuses baignent figure le trip dans lequel les premiers sont embarqués par les secondes pendant une heure et dont ils sortent un peu étourdis, réveillés toutefois par leurs propres applaudissements, nourris, qu'ils adressent aux secondes.

Francis Richard

Prochaines représentations jusqu'au 14 février 2015:

Jeudi à 19h

Vendredi, samedi à 20h

Dimanche à 15h

Adresse:

Théâtre de l'Usine

Place des Volontaires, 4

1204 Genève

Réservations:

www.theatredelusine.ch

tél. 022.781.34.90


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