scène de ménage extraordinaire (partie 2/2)

Publié le 05 février 2015 par Dubruel

d'après Maupassant, suite et fin de l'article d'hier

MME de C. :

–Mais je n’ai pas de preuve sur moi !

Ou plutôt, je n’en ai plus.

M. de G. :

–Peu importe où elles soient,

Mais il me les faut, vu ?

MME de C. :

–Mais on ne peut garder

Ce genre de preuves-ci…

À moins d’être prise en flagrant délit.

Ma parole devrait vous contenter.

M. de G., s’inclinant :

-Alors, êtes-vous prête à le jurer ?

MME de C. :

–Je le jure. Vous êtes content ? Bien.

M. de G. :

-Avec qui m’avez-vous trompé ?

MME de C. :

–Vous m’en demandez trop, à la fin.

M. de G. :

–Il est indispensable que je sache son nom.

MME de C. :

–Je ne vous le dirai pas, non.

M. de G. :

–Pourquoi donc ?

MME de C. :

–Parce que je suis mariée, voyons !

M. de G. :

–Et alors ?

MME de C. :

–Secret professionnel. D’accord ?

M. de G. :

–Oui. Je n’y pensai guère.

MME de C. :

–C’est avec M. de Chantever

Que je vous ai trompé.

M. de G. :

–Ce n’est pas vrai.

MME de C. :

–Et pourquoi, s’il vous plait ?

M. de G. :

–Parce qu’il ne vous aurait pas épousée.

Vous venez d’avouer

Que j’étais un mari trompé.

Les coups que je vous ai donnés

Sont loin de compenser

Le dommage conjugal que j’ai éprouvé.

Donc, vous me devez,

Oui, c’est sûr,

Une compensation…d’une autre nature,

Puisque je ne suis plus votre mari.

MME de C. :

–Que voulez-vous dire ainsi ?

M. de G. :

–Je dis

Que vous devez

Me rendre aujourd’hui

Les heures charmantes que vous m’avez volé

Quand j’étais votre mari,

Pour les offrir à je ne sais qui.

MME de C. :

–Vous êtes fou.

M. de G. :

-Du tout.

Votre amour m’appartenait !

Vos baisers m’étaient dus, tous vos baisers,

Or vous en avez distrait une grande partie

Au bénéfice d’un autre… mari.

Eh bien, il m’importe qu’une restitution ait lieu

Comme on doit le faire pour tout vol honteux.

MME de C. :

–Vous me prenez pour qui ?

M. de G. :

–Pour la femme de M. de Chantever, pardi !

MME de C. :

–Vous vous moquez.

M. de G. :

–Non. Chantever m’a trompé.

Il a pris ma femme.

Mon tour arrive, madame.

Vous ne devez pas opposer un refus

À un devoir qui m’est légitimement dû.

MME de C. :

–Et si je disais oui,…vous pourriez…

M. de G. :

–Certainement.

MME de C. :

–Alors, à quoi bon divorcer ?

M. de G. :

–Â raviver notre amour… maintenant.

MME de C. :

–Mais vous ne m’avez jamais aimée.

M. de G. :

–Faux. Je suis même en train de vous le prouver.

MME de C. :

– Prouver quoi ?

M. de G. :

–Comment ’’quoi’’ ?

Quand un homme est assez fou

Pour proposer à une femme d’être son époux

Et dans un deuxième temps

De devenir son amant

Cela prouve qu’il l’aime toujours

Ou je n’y connais rien en amour.

MME de C. :

–Oh ! Ne confondez pas.

Épouser une femme prouve

L’amour… ou l’envie

Mais la prendre comme maîtresse ne prouve…

Que du mépris.

Dans le premier cas,

L’homme accepte les responsabilités

Et les ennuis.

Dans le second cas, il va laisser

Ces fardeaux au mari

Et ne garde que le plaisir.

M. de G. :

–Je vais vous dire :

Quand on aime, on ne devrait pas épouser

Parce qu’en épousant,

On est sûr d’être trompé.

Tandis qu’une maitresse reste fidèle à son amant

Avec tout l’acharnement qu’elle met

 tromper son mari.

Si vous voulez

Qu’un lien indissoluble se lie

Entre une femme et vous,

Faites qu’un autre soit son époux.

Et de cette femme, devenez l’amant. Voilà.

L’amour libre est une chaîne

Qu’on ne brise pas.

Nous, nous avons coupé la ficelle,

Je vous offre la chaîne,

Madame de Garelle !

MME de C. :

–Vous êtes drôle, mais c’est non.

M. de G. :

–Alors, je préviendrai Chantever, nom de nom !

MME de C. :

–Vous le préviendrez ?

M. de G. :

–Je lui dirai que vous m’avez trompé !

MME de C. :

–Que je vous ai trompé ?…

M. de G. :

–Oui, madame…

Quand vous étiez ma femme.

MME de C. :

–Eh bien ?

M. de G. :

–Eh bien,

Il ne vous le pardonnera jamais.

MME de C. :

–Lui ?

M. de G. : –Oui,

Et ça ne va pas le rassurer.

MME de C. :

–Ne faites pas ça, Henri !

Dans l’escalier, une voix appelle :

« Mathilde,…chérie … »

MME de C., tout bas :

-Mon mari !

M. de G. :

–Je vais vous accompagner.

MME de C. :

–Je ne veux pas que vous veniez.

M. de G. :

–Mais si.

MME de C. :

–Non, je vous en prie.

M. de G. :

–Alors, la chaîne, acceptez-la

LA VOIX : –Mathilde chérie, vous êtes là ?

MME de C. :

–Laissez-moi. Vous me retrouverez

Ici après le dîner.

Mme de Chantever se sauve.

Monsieur de Garelle retourne à son fauteuil,

se laisse tomber dedans et se dit :

Ce qu’elle est charmante,

Bien plus charmante

Depuis que j’ai entendu M. de Chantever

L’appeler :’’Mathilde chérie…’’

Avec ce ton de propriétaire

Qu’ont tous les maris.