d'après Maupassant, suite et fin de l'article d'hier
MME de C. :
–Mais je n’ai pas de preuve sur moi !
Ou plutôt, je n’en ai plus.
M. de G. :
–Peu importe où elles soient,
Mais il me les faut, vu ?
MME de C. :
–Mais on ne peut garder
Ce genre de preuves-ci…
À moins d’être prise en flagrant délit.
Ma parole devrait vous contenter.
M. de G., s’inclinant :
-Alors, êtes-vous prête à le jurer ?
MME de C. :
–Je le jure. Vous êtes content ? Bien.
M. de G. :
-Avec qui m’avez-vous trompé ?
MME de C. :
–Vous m’en demandez trop, à la fin.
M. de G. :
–Il est indispensable que je sache son nom.
MME de C. :
–Je ne vous le dirai pas, non.
M. de G. :
–Pourquoi donc ?
MME de C. :
–Parce que je suis mariée, voyons !
M. de G. :
–Et alors ?
MME de C. :
–Secret professionnel. D’accord ?
M. de G. :
–Oui. Je n’y pensai guère.
MME de C. :
–C’est avec M. de Chantever
Que je vous ai trompé.
M. de G. :
–Ce n’est pas vrai.
MME de C. :
–Et pourquoi, s’il vous plait ?
M. de G. :
–Parce qu’il ne vous aurait pas épousée.
Vous venez d’avouer
Que j’étais un mari trompé.
Les coups que je vous ai donnés
Sont loin de compenser
Le dommage conjugal que j’ai éprouvé.
Donc, vous me devez,
Oui, c’est sûr,
Une compensation…d’une autre nature,
Puisque je ne suis plus votre mari.
MME de C. :
–Que voulez-vous dire ainsi ?
M. de G. :
–Je dis
Que vous devez
Me rendre aujourd’hui
Les heures charmantes que vous m’avez volé
Quand j’étais votre mari,
Pour les offrir à je ne sais qui.
MME de C. :
–Vous êtes fou.
M. de G. :
-Du tout.
Votre amour m’appartenait !
Vos baisers m’étaient dus, tous vos baisers,
Or vous en avez distrait une grande partie
Au bénéfice d’un autre… mari.
Eh bien, il m’importe qu’une restitution ait lieu
Comme on doit le faire pour tout vol honteux.
MME de C. :
–Vous me prenez pour qui ?
M. de G. :
–Pour la femme de M. de Chantever, pardi !
MME de C. :
–Vous vous moquez.
M. de G. :
–Non. Chantever m’a trompé.
Il a pris ma femme.
Mon tour arrive, madame.
Vous ne devez pas opposer un refus
À un devoir qui m’est légitimement dû.
MME de C. :
–Et si je disais oui,…vous pourriez…
M. de G. :
–Certainement.
MME de C. :
–Alors, à quoi bon divorcer ?
M. de G. :
–Â raviver notre amour… maintenant.
MME de C. :
–Mais vous ne m’avez jamais aimée.
M. de G. :
–Faux. Je suis même en train de vous le prouver.
MME de C. :
– Prouver quoi ?
M. de G. :
–Comment ’’quoi’’ ?
Quand un homme est assez fou
Pour proposer à une femme d’être son époux
Et dans un deuxième temps
De devenir son amant
Cela prouve qu’il l’aime toujours
Ou je n’y connais rien en amour.
MME de C. :
–Oh ! Ne confondez pas.
Épouser une femme prouve
L’amour… ou l’envie
Mais la prendre comme maîtresse ne prouve…
Que du mépris.
Dans le premier cas,
L’homme accepte les responsabilités
Et les ennuis.
Dans le second cas, il va laisser
Ces fardeaux au mari
Et ne garde que le plaisir.
M. de G. :
–Je vais vous dire :
Quand on aime, on ne devrait pas épouser
Parce qu’en épousant,
On est sûr d’être trompé.
Tandis qu’une maitresse reste fidèle à son amant
Avec tout l’acharnement qu’elle met
 tromper son mari.
Si vous voulez
Qu’un lien indissoluble se lie
Entre une femme et vous,
Faites qu’un autre soit son époux.
Et de cette femme, devenez l’amant. Voilà.
L’amour libre est une chaîne
Qu’on ne brise pas.
Nous, nous avons coupé la ficelle,
Je vous offre la chaîne,
Madame de Garelle !
MME de C. :
–Vous êtes drôle, mais c’est non.
M. de G. :
–Alors, je préviendrai Chantever, nom de nom !
MME de C. :
–Vous le préviendrez ?
M. de G. :
–Je lui dirai que vous m’avez trompé !
MME de C. :
–Que je vous ai trompé ?…
M. de G. :
–Oui, madame…
Quand vous étiez ma femme.
MME de C. :
–Eh bien ?
M. de G. :
–Eh bien,
Il ne vous le pardonnera jamais.
MME de C. :
–Lui ?
M. de G. : –Oui,
Et ça ne va pas le rassurer.
MME de C. :
–Ne faites pas ça, Henri !
Dans l’escalier, une voix appelle :
« Mathilde,…chérie … »
MME de C., tout bas :
-Mon mari !
M. de G. :
–Je vais vous accompagner.
MME de C. :
–Je ne veux pas que vous veniez.
M. de G. :
–Mais si.
MME de C. :
–Non, je vous en prie.
M. de G. :
–Alors, la chaîne, acceptez-la
LA VOIX : –Mathilde chérie, vous êtes là ?
MME de C. :
–Laissez-moi. Vous me retrouverez
Ici après le dîner.
Mme de Chantever se sauve.
Monsieur de Garelle retourne à son fauteuil,
se laisse tomber dedans et se dit :
Ce qu’elle est charmante,
Bien plus charmante
Depuis que j’ai entendu M. de Chantever
L’appeler :’’Mathilde chérie…’’
Avec ce ton de propriétaire
Qu’ont tous les maris.