Pour résister, plusieurs voies sont possibles. Ken Loach a choisi le cinéma. Il a réalisé son premier film en 1966. Son dernier, qu’il a annoncé comme l’ultime, Jimmy’s hall, est sorti en 2014. Comme dans les précédents, le réalisateur y dévoile l’histoire d’un rebelle dont l’attitude individuelle engendre des comportements collectifs. Ken Loach fait partie de ces créateurs qui estiment que l’art et la politique ne sont pas des pratiques séparées. Son travail témoigne de son parti-pris : il fait de la politique grâce au cinéma.
Dans une publication mi-plateforme politique mi-manifeste pour un cinéma de la subversion créative, Ken Loach livre d’emblée la motivation de son cinéma : « Agiter, éduquer, organiser. Il faut donc agiter, et c’est ce que nous essayons de faire : enrayer la mécanique, bousculer le statu quo, défier le récit des puissants ». (p. 13). Pour montrer la voie de la résistance, notamment aux puissances de l’argent, le cinéaste conçoit la production et la diffusion de ses œuvres dans une perspective communautaire. Faire un film, c’est construire une équipe et pour cela « trouver des personnes qui ont un talent particulier ». En s’opposant au système hollywoodien qui valorise « l’acceptation de la hiérarchie, de l’extrême richesse, du pouvoir des grandes entreprises et de tout ce qui va avec », il recherche un cinéma qui ne mettrait pas à distance le spectateur et au contraire qui permettrait « aux gens d’être ce qu’ils sont ». (p. 16). Le cinéma agit comme un révélateur.
C’est le « capitalisme brut » (p.29), celui des années 1980, années Thatcher, qui ont durablement orienté son travail. Puisque « Thatcher était lancée dans la guerre contre la classe ouvrière » (p.30), Ken Loach décide de mettre en scène ceux qui n’ont pas voix au chapitre du libéralisme. Il choisit alors de montrer la vie des gens d’en bas sans occulter leur langage. Ce sera le magnifique Sweet Sixteen où se disent les mots de la rue qui constituent une langue « parsemée de jurons et de grossièretés, mais drôle, tranchante et pétillante ». (p.32).
Si les récits de la vie sont écrits par les puissants, ceux qui écrivent la vie ne pourront pas résister au récit des puissants. Au cinéma, les puissants défendent une esthétique de la soumission. La culture permet la résistance. Elle aide à « reprendre le contrôle de nos vies », (p. 38) à condition, toutefois qu’elle trouve les moyens de s’imposer face aux forces normalisatrices. Pour défier le récit des puissants, une esthétique de la résistance est nécessaire. Il est possible de l’approcher en rencontrant les films de Ken Loach et en se plongeant dans son petit traité d’esthétique politique.
Défier le récit des puissants, Ken Loach, Indigène éditions, 2014.