"A mon fils, je chantais que pour comprendre le ruisseau, il faut mettre les pieds dans l'eau, comme le petit Indien des Andes. Lors de petits séjours chez mes parents destinés à nous aérer, à prendre l'air, à fuir la ville l'été, en laissant mon mari travailler, je commençais enfin à m'immerger, moi aussi. Nous nous encouragions, mon petit garçon et moi, à faire plouf. Nous prenions autant l'eau que l'air."
Ligne & Fils est la première partie d'une trilogie consacrée plus largement à l'eau et aux rivages. Dans ce premier volet, il est question de rivière et de moulinage mais aussi de toute cette région ardéchoise où coule La Beaume. La narratrice, descendante des anciens patrons d'une fabrique évoque leur passé, le dur travail des petites mains, l'amour du fil et du tissage. On l'a appelée pour qu'elle récupère son fils en pédiatrie, grand garçon ramassé saoul en coma éthylique. Elle le voit rarement, il a été confié tout petit à son père, après leur séparation, suite à cet épisode où elle l'a laissé se déshydrater, presque mourir, sans s'en apercevoir. C'est une occasion pour elle de comparer leur relation tumultueuse et pourtant franche à son plaisir de contempler la rivière et les autres souvenirs qu'elle charrie...
Ce n'est plus un secret que j'aime particulièrement l'écriture d'Emmanuelle Pagano, mais aussi les thèmes qu'elle aborde et sait explorer en tous sens, farfouiller de ses mots. Est-ce parce que j'ai passé tant de temps moi même auprès d'une rivière, ou tellement de temps à regarder l'herbe pousser un livre dans les mains auprès d'elle, qu'il m'a plu encore une fois de plonger dans les pages de ce livre-ci ? Sans doute, ou peut-être pas. Peut-être est-ce simplement parce qu'Emmanuelle Pagano y déploie cette langue qu'elle seule sait si habilement manier, et dont je rapprocherais ici le goût de mes souvenirs de son Tiroir à cheveux [clic]. En effet, pour ceux qui l'aurait lu, on y retrouve cette même impression de maternité incomplète, dure et partagée, entre une mère et son garçon, et puis le paysage alentour, à la fois familier et rude, gorgé d'histoires. J'ai été touchée par tous les épisodes consacrés à la relation mère et fils, mais pas seulement. Il est également très beau d'assister au résultat si fluide et intéressant des recherches de l'auteure sur le moulinage et le travail du fil, et de réaliser combien tout cela est habilement décrit, poétiquement tenu, la technique sublimée, le tout dans une démarche narrative qui ne perd jamais son nord ni sa voie et qui raconte au final une famille. Un coup de coeur rempli d'admiration !
Editions POL - 15€ - 5 février 2015