Le président américain Barack Obama, qui était l’«invité d’honneur» au défilé du Jour de la République du 26 janvier en Inde, revient d’une visite de trois jours avec une série d’accords qui renforcent radicalement le «partenariat stratégique mondial» entre les États-Unis et l’Inde.
Le premier ministre indien Narendra Modi – que les États-Unis avaient refusé de rencontrer jusqu’au début de l’année dernière en raison de son rôle d’instigateur et de facilitateur dans le pogrom anti-musulman de Gujarat en 2002 – a accueilli Obama en grande pompe.
Le président américain lui a rendu la pareille. Contrevenant au protocole des services secrets, Obama était présent dans un lieu public pour satisfaire à la demande de Modi voulant qu’il assiste à la totalité du défilé du Jour de la République. Il l’a cependant fait dans le confort de la plus vaste opération de sécurité jamais vue. Cette opération a nécessité la mobilisation de 50.000 agents de sécurité indiens à New Delhi et dans la région, le positionnement d’un millier de tireurs d’élite le long du trajet du défilé, l’imposition conjointe d’une zone d’exclusion aérienne par les forces armées de l’Inde et des États-Unis ainsi que le déploiement de navires de guerre américains dans l’océan Indien, la septième et dernière «barrière» de sécurité.
Malgré les accolades et les sourires, un froid calcul était à l’oeuvre derrière l’attitude cordiale entre Obama et Modi. Les États-Unis sont déterminés à faire de l’Inde leur point d’ancrage en Asie du Sud de leur «pivot vers l’Asie», c’est-à-dire leur campagne visant à isoler et encercler la Chine et, si nécessaire, lui faire la guerre.
Secouée par la diminution de près de la moitié du taux de croissance de sa population depuis 2011, la bourgeoisie indienne souhaite désespérément des investissements de la part des États-Unis. Aspirant au statut de puissance régionale et mondiale qui dépasse de loin ses capacités économiques et sa stratégie militaire, l’élite indienne est impatiente de jouer le jeu de Washington qui, pour ses propres raisons cyniques, veut «aider l’Inde» à devenir une grande puissance.
Comme on s’y attendait, Obama et Modi ont annoncé qu’ils avaient ratifié un nouvel accord de coopération militaire d’une durée de dix ans qui vient remplacer le tout premier accord indo-américain de ce genre qui devait arriver à échéance plus tard cette année. D’après le nouveau Cadre de coopération indo-américaine en matière de défense (2015 Framework for the US-India Defense Relationship), les deux pays s’engagent à mener des exercices militaires conjoints plus intensifs. Il faut noter d’ailleurs que le Pentagone organise déjà plus d’exercices militaires conjoints avec l’Inde qu’avec tout autre pays. L’entente comporte aussi une collaboration plus étroite en sécurité maritime.
Washington affirme depuis longtemps que la marine indienne devait assumer un rôle important de policier de l’océan Indien et qu’il est prêt à l’aider pour qu’elle y arrive. Et ce n’est pas une coïncidence si c’est par cette région du monde que transite la majorité du pétrole et des autres ressources qui alimentent l’économie de la Chine.
Obama et Modi ont aussi annoncé le développement de quatre projets «pionniers» dans le cadre de l’Initiative de commerce pour la défense et de technologie (DTTI, Defense Trade and Technology Initiative) entre l’Inde et les États-Unis, y compris la production conjointe d’un drone Raven ainsi qu’un module de «renseignements, surveillance et reconnaissance» pour l’avion de transport militaire C-130J de Lockheed Martin. Pour faire progresser ces projets et d’autres, le Pentagone met en place une «équipe spécialisée d’intervention rapide» ou DTTI.
Développée par Ashton Carter, qui succédera à Chuck Hagel en tant que secrétaire américain à la Défense, la DTTI offre à l’Inde la possibilité de produire et de développer, en collaboration avec le Pentagone et les fabricants américains, des systèmes d’armement. Son véritable objectif est de rendre l’armée indienne de plus en plus dépendante des États-Unis. Une autre visée de cette politique est de miner le partenariat militaire et stratégique de longue date entre l’Inde et la Russie. Quelques jours seulement avant la visite d’Obama en Inde, le ministre russe de la Défense Sergei Shoigu s’était rendu à New Delhi pour concrétiser l’accord indo-russe comprenant le développement d’un chasseur de cinquième génération, ainsi que la construction de 400 hélicoptères à la fine pointe de la technologie.
Parlant des accords militaires conclus avec Obama, Modi a déclaré qu’il s’agissait d’une «nouvelle étape dans le développement de l’accord en matière de défense» entre l’Inde et les États-Unis.
Les positions adoptées par l’Inde en matière de politique étrangère, formulées par Obama et Modi dans une «Déclaration commune» et dans une «Vision stratégique commune indo-américaine pour l’Asie-Pacifique et la région de l’océan Indien» sont, elles aussi, d’une grande importance. Nombre d’entre elles ne font que répéter mot pour mot les positions des États-Unis. Ainsi, l’Inde a critiqué les programmes nucléaire et de missile balistique de la Corée du Nord et a affirmé que l’Iran avait la responsabilité de prouver à la «communauté internationale», c’est-à-dire Washington, que son programme nucléaire était «entièrement pacifique».
Plus important encore, comme l’a rapporté le New York Times, l’Inde a adopté en totalité la position des États-Unis sur les conflits territoriaux maritimes que Washington attise entre ses alliés d’Asie de l’Est et la Chine. La déclaration de «Vision stratégique commune» affirme combien «il est important de protéger la sécurité maritime et d’assurer la liberté de navigation et de vol à travers la région, particulièrement dans la mer de Chine méridionale».
Obama et Modi ont aussi annoncé qu’ils étaient venus à bout de l’«impasse» dans le commerce du nucléaire entre les États-Unis et l’Inde. Les détails de l’entente sont loin d’être clairs. Mais l’Inde a indiqué qu’elle allait faire en sorte que les sociétés américaines du secteur nucléaire comme General Electric et Westinghouse aient l’immunité dans le cas d’une catastrophe nucléaire qui serait due à un défaut de leur équipement ou à tout autre méfait. Le gouvernement du Parti Bharatiya Janata (BJP) de Modi va mettre en place un fonds d’assurance pour payer des indemnités limitées aux victimes d’accidents. Il rendra aussi public un «énoncé de droit» visant à clarifier (ou plutôt réinterpréter, dans l’intention de contourner le parlement) la loi indienne sur la responsabilité nucléaire pour faire en sorte que seule la société d’État indienne d’énergie nucléaire puisse être tenue de verser des indemnités en cas d’accident.
Obama aurait quant à lui abandonné l’idée que les États-Unis continuent à contrôler l’équipement nucléaire et les pièces qu’ils envoient en Inde, étant d’accord que seule la supervision de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) serait suffisante.
Selon plusieurs articles, il a été décidé aux plus hauts échelons des deux pays de ne pas laisser la question nucléaire empiéter sur le désir des deux gouvernements de «qualitativement redynamiser leurs liens stratégiques».
Même si Washington et New Delhi prétendent que l’accord indo-américain de 2008 sur le nucléaire (qui a permis aux États-Unis de négocier une place de choix à l’Inde dans le système de réglementation nucléaire mondial) ne concerne que l’énergie nucléaire à des fins civiles, il a de profondes implications sur les plans militaire et stratégique. Maintenant en mesure de faire l’achat de combustible et de technologie nucléaires de l’étranger, l’Inde peut concentrer ses ressources de son propre programme nucléaire sur le développement d’armes.
Quand il n’était pas en train de gagner la faveur d’Obama, Modi courtisait l’importante délégation d’hommes d’affaires américains qui l’avait accompagné en Inde. Prenant la parole à des réunions du Conseil commercial États-Unis-Inde et du Forum des PDG Inde-États-Unis, Modi a promis aux chefs d’entreprise que son gouvernement était à leur service. Il leur a promis un «environnement accueillant», un «régime de taxation prévisible et concurrentiel» et un gouvernement qui va s’efforcer de réaliser leurs projets, de «protéger leur propriété intellectuelle» et d’effacer les «excès du passé».
Obama en a profité pour critiquer l’Inde de ne pas avoir ouvert suffisamment son économie aux investisseurs américains. «Il y a encore beaucoup trop de barrières. Il faut faire des pieds et des mains», a-t-il déclaré.
Selon le New York Times, Obama et ses conseillers ont été ravis par le résultat de cette visite en Inde et surtout par le niveau d’accord entre Modi et les États-Unis sur la nécessité de contenir la Chine et de prévenir son ascension. Apparemment à la demande de Modi, la question de la Chine a été au cœur des 45 premières minutes de la discussion face à face avec Obama. Un haut représentant de l’administration qui n’a pas été nommé a confié au Times que la conversation entre Obama et Modi sur la Chine était «qualitativement différente» des discussions passées entre le président américain et les dirigeants indiens. «J’ai vraiment été surpris par sa position qui était très proche de la nôtre», a-t-il dit.
Ce représentant a particulièrement apprécié le fait que Modi semblait prêt à ressusciter la coopération quadrilatérale militaire et de sécurité avec les autres principaux alliés des États-Unis en Asie-Pacifique, soit le Japon et l’Australie. En 2007, les quatre pays avaient entrepris un Dialogue quadrilatéral sur la sécurité, mais le projet avait été abandonné l’année suivante après que la Chine s’y soit vivement opposée.
Le renforcement des liens entre l’Inde et les États-Unis – en continuité avec leur collaboration dans la campagne des États-Unis pour remplacer le président du Sri Lanka, en raison de ses liens trop étroits avec la Chine – n’a pas échappé à Pékin.
Le président chinois Xi Jinping a publié un message soulignant le Jour de la République pour réitérer sa récente proposition que Pékin et New Delhi amènent leur relation à un niveau supérieur. Mais dans les médias d’État chinois, de nombreux commentaires doutaient des véritables intentions de l’Inde envers la Chine.
Un commentaire publié lundi dans deux journaux proches du gouvernement, le People’s Daily et le Global Times, a mis en garde New Delhi de ne pas tomber dans le piège américain où il n’y aurait «aucun gagnant». Faisant référence au «pivot vers l’Asie» anti-chinois des États-Unis, le commentaire a noté que les États-Unis avaient des «objectifs cachés» en tentant de présenter «le “dragon chinois” et l’“éléphant indien” comme des rivaux naturels». Il a exhorté New Delhi à faire attention de ne pas devenir le pion des États-Unis pour que les relations entre l’Inde et la Chine ne deviennent pas une «question de vie ou de mort».
Pendant qu’Obama était honoré par Modi, le chef de l’armée pakistanaise, le général Raheel Sharif, était à Pékin pour rencontrer le ministre chinois des Affaires étrangères et d’autres hauts dirigeants politiques et militaires. Un porte-parole pakistanais a dit que durant les discussions, la direction chinoise a répété que le Pakistan était un «un ami irremplaçable en toutes circonstances». Vu par l’Inde comme étant son ennemi juré, le Pakistan est actuellement la cible d’une campagne militaire et diplomatique du gouvernement BJP, fervent promoteur de la suprématie hindouiste, qui tente de changer les «règles» de leurs relations bilatérales toxiques en sa faveur. La presse indienne a publié des articles de commandants de l’armée déployée dans la partie indienne du Cachemire qui se vantent que le nouveau gouvernement BJP les incite à faire subir aux forces pakistanaises des «conséquences inacceptables» durant les échanges de feu et les incursions à travers la frontière.
En s’approchant de plus en plus de la stratégie de Washington, la bourgeoisie indienne aide l’impérialisme américain et l’encourage dans son offensive téméraire et désastreuse contre la Chine: une offensive dont la logique mène à la guerre et au conflit nucléaire. Son attitude crée aussi les conditions où le conflit militaire et stratégique réactionnaire entre l’Inde et le Pakistan, enraciné dans la partition communale du sous-continent, devient de plus en plus indissociable des divisions entre les États-Unis et la Chine. Chacun de ces conflits prend alors un caractère dangereusement explosif.
Source : Centpapiers