« Le racisme en Corse »
PERETTI-NDIAYE Marie
(Albiana)
Le Lecteur a pris le temps de s’imprégner de cette étude universitaire consacrée à une question dont la presse « française » avait fait ses choux gras voilà quelques années de cela. Mais le très conséquent travail accompli par Marie Peretti-Ndiaye ne s’enclot pas dans les limites restrictives qu’esquissèrent de nombreux et souvent tendancieux Médiatouilleurs. Son propos est d’une autre nature que celle qui imprégna la vulgate destinée à convaincre tant d’âmes innocentes que, oui, les corses développaient sur leur Île un racisme empreint d’un lepénisme même pas larvé. Un propos qui donc convie celle ou celui qui s’immerge dans l’ouvrage à prendre de la hauteur, à essayer de comprendre ce qui peut sous-tendre des comportements tout autant que des discours dont la spécificité, s’ils présentent bien des analogies avec ceux qui prévalent sur le continent, laissent percevoir des spécificités liées aux particularités corses.
Il sera peut-être reproché au Lecteur son attachement à la Corse, un attachement susceptible de le conduire à se désentraver de son esprit critique. Un reproche qu’il récuse d’emblée. Le travail accompli par Marie Peretti-Ndiaye appartient en effet à ceux qui permettent de déciller le regard. Ce travail s’ouvre sur les débats qui prévalurent dans et hors de l’Île dès le début de ce siècle. L’auteure n’élude rien, y compris le rapport du nationalisme corse à la montée du racisme, aux traditions clientélistes qui pervertissent là-bas (tout autant que sur le continent, mais avec des modalités différentes) la vie politique. Elle a mené un travail d’enquête qui permet de mettre en exergue chez les insulaires de souche les particularités de ce racisme, celui qui concerne bien évidemment les maghrébins (essentiellement marocains et dans une moindre mesure tunisiens), mais aussi les continentaux (les pinzutti) et toutes les autres « communautés » présentes en Corse (italiens, portugais, juifs, pieds-noirs…). Puis dans une seconde étape, Marie Peretti-Ndiaye , a analysé le contenu et les pratiques de type raciste, là encore via un minutieux travail d’enquête. Ce qui permit au Lecteur de découvrir la grande complexité de processus liés à l’histoire d’une part, aux conditions socio-économiques et culturelles d’autre part. Dans la dernière partie de l’ouvrage, l’auteure détaille enfin ce qu’elle appelle « la spécificité et l’exemplarité du racisme en Corse ».
Voilà donc un ouvrage utile. A double titre. Parce qu’il permet en premier lieu de mieux aborder à une réalité méconnue et bien souvent travestie par ceux qui eurent à traiter, tant sur l’Île que sur le continent, de ces questions-là. Parce qu’ensuite la question du racisme, au-delà de sa spécificité corse, interpelle l’ensemble de la société française. Marie Peretti-Ndiaye administre, au regard en particulier des événements récents, la preuve et de l’utilité et de l’urgence de mener des travaux d’une telle ampleur et d’une telle qualité dans l’ensemble de cette société.
Le Lecteur exprime donc sa gratitude à l’Auteure. Il lui reste cependant une question incidente à lui poser. Pourquoi ne fait-elle pas état, parmi les spécificités corses, du statut particulier d’une Île qui eut à subir les méfaits du colonialisme (un colonialisme français bien présent dans ses analyses, l’autre, celui des conquêtes africaines et indochinoises du 19° siècle) ? Même si elle évoque le dépeuplement rural, la lente agonie des activités agricoles et pastorales puis le « transfert » de populations vers des territoires asservis, là où la France avait alors besoin de main d’œuvre et d’exécutants de sa politique de domination. La Corse qui fut intégrée à la nation française lors d’une conquête de type colonial ne fut-elle pas privée, au beau milieu du 18° siècle, de la conduite autonome de l’expérience novatrice conduite par Paoli ? Cette histoire d’un peuple colonisé ne pèse-t-elle pas, aujourd’hui encore, sur les spécificités de ce que Marie Peretti-Ndiaye appelle « le racisme corse » ?