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scène de ménage extraordinaire (1ère partie)

Publié le 04 février 2015 par Dubruel

d'après LA REVANCHE de Maupassant

Scène première

Dans le hall d’un grand hôtel de Cannes, M. de Garelle,

seul, assis au fond d’un fauteuil, se réjouit :

À Cannes, en garçon !

C’est drôle, je suis de nouveau garçon !

À Paris, je ne m’en apercevais pas.

Mais ici, j’en suis persuadé.

Ma foi, je ne me plains pas.

Et ma femme, elle,… est remariée !

Mon successeur, est-il heureux ?

Plus heureux

Que moi ?

Quel sot de l’avoir épousée après moi !

Moi aussi, je fus bien niais

De l’avoir épousée en premier !

Elle avait des qualités,

Des qualités…

Physiques…considérables

Mais aussi beaucoup de tares morales.

Quelle coquette ! Quelle charmeuse !

Quelle rouée ! Quelle menteuse !

Ai-je été cocu ? Quelle torture, cristi,

De me demander ceci !

En ai-je monté des marches,

En ai-je fait

Des démarches

Pour l’épier !

Et dans tous les cas, si j’ai été cocu,

Je ne le suis plus !

Comme il est aisé de divorcer !

Cela ne m’a coûté

Qu’une cravache à dix francs !

Et quel plaisir j’ai pris à la fouetter !

Garelle se lève en riant,

Fait quelques pas, puis se rassied.

Maintenant, je vais passer

Cet hiver dans le Midi, en garçon !

Quelle chance, dites-donc !

…Et j’espère trouver

L’amour qui rôde. Vais-je le rencontrer

Dans cet hôtel ?

Sur la Croisette ?

Au casino, peut-être ?

Où sera-t-elle

Celle qui demain m’aimera

Et que j’aimerai ?

Comment seront ses lèvres, ses yeux,

Son sourire, ses cheveux ?

Dans mes bras, j’envelopperai

Une rieuse ou une sévère,

Une blonde ou une châtain clair

Une brune, grande, petite, grasse ?

Oui, elle sera grasse.

La femme que je vais aimer, c’est l’Espérée,

L’Inconnue, la Désirée.

Qu’importe où elle est

Pourvu que je sois certain de la rencontrer.

Et je la rencontrerai.

Je vais connaître la joie du premier baiser.

Une femme traverse le fond du promenoir,

élégante, fine, la taille cambrée.

Tiens, une jolie femme !...

Bigre, elle a de l’allure !

Tâchons de voir sa figure…

Elle passe près de lui sans le voir.

Dans son fauteuil, il murmure :

Nom d’un chien, ma femme !

Ou plutôt non, celle de Chantever.

Je vais l’aborder

Scène II

Il s’approche de la jeune femme

et lui dit d’une voix douce :

-Me permettez-vous de me rappeler

À votre souvenir ?

Mme de Chantever lève la tête,

pousse un cri et veut s’enfuir.

Il lui barre le chemin et lui dit humblement :

-Vous pourriez craindre le pire

Si j’étais encore votre mari

Mais je suis célibataire aujourd’hui

MME de CHANTEVER

–Oh ! Vous osez

Après…après ce qui s’est passé !

M. de GARELLE :

-J’ose… et je n’ose pas.

Expliquez cela

Comme vous voudrez,

Mais je souhaite vous parler.

MME de C. :

–Terminons cette plaisanterie.

M. de G. :

–Ce n’est pas une plaisanterie.

MME de C. :

–Alors c’est une insolence ou une gageure.

Un homme qui a frappé sa femme, d’ailleurs,

Est capable de tout.

Donc, je me méfie de vous.

M.de G. :

–Ne me reprochez pas un emportement

Que je regrette. De vous,

J’attendais plutôt des remerciements.

MME de C., stupéfaite :

–Ah ça, vous êtes fou ?

Ou bien vous moquez-vous de moi

Tel un rustre discourtois ?

M. de G. :

-Nullement, madame, et pour ne pas saisir,

Il faut que vous soyez fort malheureuse.

MME de C. :

–Que voulez-vous dire ?

M. de G. :

–Si vous étiez heureuse

Avec celui qui m’a succédé,

Vous auriez de la reconnaissance

Pour ma violence

Car elle vous a permis de vous remarier.

MME de C. :

-Vous poussez trop loin la plaisanterie.

M. de G. :

-Si je n’avais pas commis l’infamie

De vous frapper,

Je vous traînerais

Encore comme un boulet

Aujourd’hui.

MME de C., blessée :

-Le fait est

Que vous m’avez rendu un fier service.

M. de G. :

–N’est-ce pas ! Un service

Qui mérite mieux maintenant

Que votre accueil de tout à l’heure.

MME de C. :

–Possible, mais votre personne m’écœure.

M. de G. :

–Je n’en dirais pas autant de vous.

MME de C. :

–Vos galanteries me déplaisent autant

Que les brutalités de vos coups.

M. de G. :

-Si je n’ai plus le droit de vous frapper,

Il faut bien que je vous montre de l’aménité.

MME de C. :

–Ça, au moins, c’est franc.

Mais si vous vouliez vraiment

Être aimable, vous vous en iriez.

M. de G. :

–C’est que je n’ai pas encore poussé

Si loin que ça

Le désir de vous plaire. Voilà !

MME de G.:

–Quelle est votre prétention, alors ?

M. de G. :

–Réparer mes torts,

En admettant que j’en ai eu.

MME de C, indignée :

Comment :

’’En admettant

Que vous en ayez eu’’ ?

Mais vous perdez la tête !

Vous m’avez battue et vous trouvez peut-être

Que vous vous êtes conduit convenablement.

M. de G. :

–Peut-être !

MME de C. :

– Comment

‘’Peut-être’’ ?

M. de G. :

–Vous connaissez la comédie

Qui s’appelle le mari

Cocu, battu et content.

Eh bien, cocu, l’ai-je été dans le temps ?

Quoi qu’il en soit, j’ai été jaloux.

Si vous aviez été fidèle et rouée de coups,

Vous auriez été à plaindre, n’est-ce pas ?

MME de C. :

–Ne me plaignez pas.

M. de G. :

-Comment l’entendez-vous ?

Ou vous méprisez ma pitié

Ou elle est imméritée.

Or, si ma pitié

Est imméritée

C’est que mes coups…

Étaient mérités.

MME de C. :

–Prenez-le comme vous voudrez.

M. de G. :

–Donc j’étais cocu, n’est-ce pas ?

MME de C :

–Je ne dis pas cela

M. de G. :

–Vous le laisser entendre.

MME de C. :

–Je vous laisse entendre

Que je ne veux pas de votre pitié.

M. de G. :

–Ne jouons pas sur les mots

Et avouez-moi franchement que j’étais …

MME de C. :

–Ne prononcez pas cet infâme mot.

Il me déplait.

M. de G. :

–Je vous passe le mot, mais avouez !

MME de C. :

–Jamais.

M. de G. :

–Alors, la proposition

Que j’allais

Vous faire

N’a aucune raison d’être.

MME de C. :

–Quelle proposition ?

M de G. :

–Il est inutile d’en parler

Puisqu’elle ne peut exister

Que si vous m’aviez trompé.

MME de C. :

–Eh bien, admettez

Que je vous ai trompé !

M. de G. :

–Cela ne suffit pas.

Vous devez avouer.

MME de C. :

–J’avoue. M. de G : -Cela ne suffit pas.

Vous devez

Le prouver.

MME de C. souriant :

-Vous en demandez trop, à la fin.

M. de G. :

–Donnez-moi votre main.

Je voulais

Vous faire une proposition

Sinon

Je ne serais pas venu vous trouver.

Cette proposition peut avoir pour nous deux

Un résultat des plus sérieux.

Elle échouerait

Si vous ne m’aviez pas trompé.

MME de C. :

–Vous êtes surprenant

Que voulez-vous de plus, maintenant ?

Je ne vous ai pas trompé !

M. de G. :

–Il faut me le prouver !


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