Quatrième de couverture :
Le complet gris, c'est l'uniforme de l'Américain moyen qui habite dans la banlieue de New-York et emprunte matin et soir un train pour se rendre à son bureau situé dans un gratte-ciel. Le gris est la couleur de sa vie. Il n'est pas franchement malheureux, c'est-à-dire qu'il l'est. Nous sommes dans les années 1950. Tom R. Rath compte au nombre de ces invisibles. Il a été parachutiste pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a vécu des moments effrayants. Il a tué dix-sept hommes dont son meilleur ami, par accident. Il lui arrive encore de penser à tout cela. Son épouse, Betzy est irréprochable : jolie, patiente, intelligente.
Les enfants sont à l'image du couple. Mais Tom ne va pas bien. Le retour à la vie civile n'a pas effacé ses souvenirs de guerre. « C'est le moment d'élever des enfants légitimes, de gagner de l'argent, de s'habiller correctement, d'être gentil avec sa femme, d'apprendre à ne pas s'inquiéter, et de penser que soi-même l'on est quoi ? Cela n'a aucune importance, songea-t-il… Je ne suis qu'un homme au complet gris. » Il ne suffit pas de nier la singularité de son existence pour effacer sa propre histoire. Lorsque Tom contemple Betsy sa « jolie femme en pyjama de soie assise à l'autre bout de la chambre, c'est le reflet de ce qu'il était lui-même en 1939 » qui lui apparaît.
Ce que j'en pense :
Même si ce roman de Sloan Wilson est moins connu de ce côté ci de l'Atlantique que le chef d'oeuvre de Richard Yates La Fenêtre panoramique, ( voir ma comparaison entre le livre et le film de Sam Mendès les Noces Rebelles), auquel on pense beaucoup pendant la lecture, de Richard Yates, " L'homme au complet gris" n'en demeure pas moins un livre culte aux USA, immense best-seller d'après-guerre aux États-Unis, oublié ensuite car jugé trop bourgeois par la vague hippie, et enfin redécouvert dans les années 80 comme une oeuvre majeure des lettres américaines.
Traduit en plus de vingt-cinq langues, adapté au cinéma en 1956 sous le titre The Man in the Gray Flannel, avec Gregory Peck et Jennifer Jones, il est selon le bandeau mis par l'éditeur Belfond Vintage ( cette géniale collection qui réhabilite des chefs d'oeuvre oublié de la littérature et dont j'ai déjà dit beaucoup de bien à plusieurs reprises) un roman qui a énormément servi de référence à la série culte Mad Men qui y emprunte effectivement la même ambiance mélancolique des années 50, des personnages assez proche et des thématiques voisines.
Car comme pour Mad Men L'Homme au complet gris retrace l'émouvante trajectoire d'un homme tiraillé entre son amour pour sa famille et son ambition sociale, dans le Manhattan des années 50. Roman des désilusions de ces hommes qui auraient pourtant tout pour être heureux, le roman est une peinture désenchantée de cette banlieue américaine qui aménera le métro boulot dodo des années 70. Rarement cette classe moyenne américaine des années 50 qui fait les va-et-vient entre la banlieue-dortoir et la ville avec le désir de gagner beaucoup d’argent et de porter avec fierté son complet gris n'aura été peinte avec autant d'acuité et de pertinence.
Mais « L’homme au complet gris » touche aussi et peut-être encore plus par son second niveau de lecture. Il est en effet un des tous premiers romans à aborder le stress post-traumatique des vétérans de la Seconde Guerre mondiale et la question de l'indicible expérience de cette épreuve considérable pour un homme. Tom aura énormément de difficultés à expliquer à sa femme cette tragique expérience de la guerre, et ce mutisme aura forcément des conséquences sur l'équilibre du couple, ce que le roman nous montre parfaitement.
Superbement traduit par Jean Rosenthal, "L'homme au complet gris", roman hautement mélancolique, mais au dénouement heureusement plus optimiste que prévu, compte certainement parmi les chefs-d'o'uvre de la littérature américaine, et on ne pourra que saluer la superbe initiative de Belfond Vintage de le rendre accessible au plus grand nombre.