Si Jack Ma est monté au créneau au début de cette semaine, pour tenter de défendre l’intégrité de son groupe, en arrière-plan de cette affaire, c’est bel et bien la question suivante qui est posée : dans un système chinois, où la protection tient aux connexions politiques que l’on a su établir ou non au sein de l’Etat-parti, pourquoi l’administration s’en est-elle prise, à ce moment précis, à Alibaba et à son fondateur ?
De quoi le groupe Alibaba est-il accusé ?
L’empire du e-commerce de Hangzhou a été accusé, le 28 janvier, par l’Administration de l’industrie et du commerce chinoise (AEIC) de laisser les opérateurs de boutiques en ligne vendre des produits de contrefaçon, notamment de l’alcool, des cigarettes, mais aussi des sacs de luxe.
Dans un rapport, présenté comme un « livre blanc » et établi à l’issue d’un échange avec Alibaba en juillet, l’administration accusait également Alibaba de laisser certains employés accepter des pots-de-vin de commerçants souhaitant faire remonter le classement de leurs produits dans les résultats de recherches.
Pourquoi des investisseurs attaquent-ils le groupe ?
Certains investisseurs considèrent qu’Alibaba a manqué à ses obligations en matière de transparence en ne faisant pas mention de la rencontre avec les autorités chinoises au sujet des contrefaçons au cours de l’été 2014, soit deux mois avant son entrée à Wall Street. L’AEIC a d’ailleurs précisé, en publiant son rapport controversé, ne pas l’avoir évoqué plus tôt pour éviter d’affecter cette opération record.
Un porteur d’actions Alibaba, du nom de Manishkumar Khunt, a fait saisir, vendredi 30 janvier, la Cour de justice du district sud de l’Etat de New York d’une « class action », procédure collective au nom de l’ensemble des actionnaires s’estimant lésés. « Ce n’était pas qu’un simple rendez-vous avec les autorités, ils furent informés d’une campagne contre la contrefaçon qui allait avoir un impact sur leur situation financière. Au regard du droit des investissements, ils avaient obligation d’en faire état », estime David Rosenfeld, avocat du cabinet Robbins Geller Rudman & Dowd, représentant le plaignant.
Quelle est la défense d’Alibaba ?
Après un rendez-vous, vendredi 30 janvier, avec les autorités chinoises, Jack Ma avait rappelé vouloir augmenter son investissement dans la lutte contre la contrefaçon, tandis que l’administration avait fait marche arrière en retirant le document de son site internet et en précisant qu’il ne s’agissait que d’un mémo sans « effets juridiques ».
Confronté à un interlocuteur lui rappelant que de faux diplômes d’université sont pourtant toujours disponibles sur taobao.com, le site d’Alibaba destiné aux particuliers, Jack Ma a précisé avoir 2 000 employés chargés de la lutte contre la contrefaçon mais que leur tâche n’est « pas aisée » et repose sur des dénonciations. « Nous ne voulons pas que le monde croie que nous ne sommes pas transparents. Nous ne voulons pas que le monde croie que Taobao est une plateforme dédiée à la vente de produits contrefaits », a par ailleurs déclaré Jack Ma, lundi 2 février, lors d’une visite à Hong Kong.
De quels liens Jack Ma et Alibaba disposent-ils au sein du pouvoir chinois ?
La direction d’Alibaba refuse de spéculer sur ce sujet. Mais, dans son prospectus d’introduction en Bourse, l’an dernier, le groupe de Jack Ma avait toutefois cité la possibilité que l’administration chinoise s’intéresse à la position dominante d’Alibaba dans le e-commerce en Chine.
Au fil des années, le groupe a pourtant su établir son réseau politique. Le président Xi Jinping a été, de 2002 à début 2007, le secrétaire du Parti communiste chinois (PCC) de la province du Zhejiang, où Alibaba a son siège. Xi Jinping a par ailleurs emmené une délégation visiter Alibaba, emblème de modernité, au cours de ses sept mois à la tête du Parti à Shanghai, en 2007.
À l’été 2014, le New York Times avait rappelé que, lorsque le groupe avait racheté, en septembre 2012, la moitié des parts détenues jusqu’alors par l’américain Yahoo dans son propre capital, il l’avait fait en distribuant des actions à plusieurs fonds ayant à leur tête des héritiers de dirigeants du PCC. Parmi ceux-ci figuraient Boyu Capital, qui compte Alvin Jiang, le petit-fils de l’ancien président Jiang Zemin, comme partenaire, ou encore New Horizon Capital, fonds de capital-risque co-fondé par le fils de l’ex-premier ministre, Wen Jiabao.
En 2013, quand Jack Ma avait quitté son poste de PDG pour n’être plus que président d’Alibaba, les connaisseurs du groupe avaient estimé qu’il consacrerait son temps professionnel essentiellement au maintien de bonnes relations avec le gouvernement. Lundi 2 février, M. Ma a donné une idée de la tâche en se disant « bien plus fatigué et frustré que les gens ne le pensent. »
Source : LeMonde