L’aube tire les rideaux de la nuit et personne pour lever les yeux vers le ciel.
Sur la table du petit-déjeuner, le café se lyophilise en regardant un demi-mètre de pain livide et pré-débité à la mesure exacte des mâchoires du toaster.
Le parfum des premières lueurs du soleil s’écrase sur la paroi lisse du double vitrage.
Le jour se lève sur les voitures, le métro et les téléphones portables. Le jour se lève et peut-être qu’il neige ou peut-être qu’il pleut, comment le savoir, à vingt mètres au-dessous du niveau de la terre ? Comment le sentir, à l’abri d’une coupole de verre et d’ailleurs, à quoi ça sert, la pluie, la neige ? La neige ça glisse, c’est sale et surtout, ça va nous mettre en retard, alors on serre les dents et les mâchoires. On a des sueurs froides. On donne un grand coup de volant. On joue notre vie sur le fil d’un dérapage. Pendant ce temps, la neige repeint en diamant les barres tristes de nos immeubles, les illumine et les transforme en palais des mille et une nuits.
Le jour se lève et c’est une nouvelle merveille que nous ne voyons pas, les yeux rivés sur l’écran de nos téléphones portables. Le jour se lève et on ne l’entend pas, nos écouteurs calés tout au fond de l’oreille interne, qui nous laissent des messages, nous parlent des tremblements de terre, des volcans, de la crise, de l’amante du président, de la pluie et du beau temps.
Le jour se lève, et ça me fait une belle jambe de savoir qu’il fera beau demain. Là, tout de suite, je vais être en retard. 5 minutes. 10 minutes. Une demi-heure, plus peut-être. Alors je cours, la tête dans mon écran. Je cours sans but, sans queue ni tête, je cours pour ne pas être en retard, je cours le jour, je cours la nuit; dans mon oreille interne, le monde en flux tendu, en bruit continu. La crise, le temps, le furoncle du président.
Je cours et nous courons dans le vide pendant que le soir tombe dans le vide, pendant que la vie fuit, s’écoule au compte-gouttes d’une fente invisible pratiquée dans la tranche imperméable de nos téléphones portables.