Dans le cadre de notre série d’entretiens avec des éditeurs, nous avons posé quelques questions à Caroline Ast, directrice éditoriale adjointe de Belfond, en charge notamment de Belfond Vintage, une collection récente qui permet aux lecteurs de découvrir des grands classiques de la littérature étrangère injustement méconnus dans nos contrées. Nous avons voulu en savoir plus sur son travail et si celui-ci différait du travail d’un éditeur classique.
Quelle est la promesse de la collection Belfond Vintage ? A quoi peut s’attendre un lecteur qui voit en librairie un livre de la collection ?
Notre promesse c’est qu’avec Vintage, le lecteur va redécouvrir des titres qui ont marqué leur époque mais qui ont peut-être été oubliés ou qui ont été occultés par d’autres livres. A travers cette collection que nous avons voulue jolie, attractive, simple d’accès, l’idée est de faire redécouvrir ces grands textes avec du recul, avec une lumière qui les éclaire différemment.
Quel est le critère de sélection d’un livre pour la collection ?
Il peut également s’agir d’un texte qui a connu des ventes extraordinaires comme Le Lys de Brooklyn de Betty Smith, un auteur dont on pourrait comparer la trajectoire à celle d’une J.K. Rowling. La parution de son livre a fait d’elle une star du jour au lendemain, ce dernier ayant été adapté au cinéma par Elia Kazan et même à Broadway en comédie musicale. Il s’est vendu à des millions d’exemplaires et est aujourd’hui étudié dans les écoles aux États-Unis. Il ne demandait qu’à être redécouvert en France. Nous l’avons publié dans Vintage au mois de mars 2014.
Tout aussi intéressant est le destin d’Après Minuit de l’auteur allemand Irmgard Keun, un roman impressionnant qui décrit de manière implacable la situation dramatique de l’Allemagne des années 1930. D’autant plus impressionnant quand on réalise que le livre est paru en Allemagne en 1937! C’est ce type de textes qui nous intéressent et que nous publions au sein de la collection « Belfond Vintage ».
Les livres que vous publiez ont-ils tous fait l’objet d’une première publication en France ?
La plupart de nos livres ont déjà été publiés en France une première fois, oui, mais avec parfois quelques surprises. L’un des tous premiers livres de la collection, Les Saisons et les Jours de Caroline Miller, qui avait reçu le prix Pulitzer en 1934 et connu un succès extraordinaire avant d’être éclipsé par celui d’Autant en emporte le vent, avait déjà été publié en France dans une version tronquée plutôt destinée aux enfants. Nous avons tout repris de zéro et l’avons fait retraduire.
Nous allons cependant bientôt publier quelques inédits en 2015. Notamment des textes d’Iceberg Slim, l’auteur de la « trilogie du Ghetto ». On nous a proposé de publier certains textes restés inédits et j’en suis très contente car il s’agit d’un auteur que nous apprécions particulièrement.
Essayez-vous de rester fidèle à la façon dont les livres ont été vendus lors de leur publication originale, en respectant par exemple les couvertures ou les quatrièmes de couverture, ou bien partez-vous systématiquement de zéro ?
L’Homme au complet gris de Sloan Wilson est l’exemple-type d’un ouvrage qui a été maltraité. Il a connu un succès spectaculaire à sa sortie en 1955, au point de faire figure de guide pour toute la génération d’après-guerre américaine qui s’y est reconnue. Mais peut-être n’avait-on vu à l’époque que cet aspect-là. Dans les années 1970, la génération hippie en était presque à brûler ce livre parce que les jeunes de cette époque pensaient qu’il représentait des valeurs « horriblement capitalistes ». Dans les années 1980-1990 enfin, on s’est rendu compte que c’était une œuvre littéraire puissante.
On peut se demander pourquoi ce roman n’avait pas été republié en France. Peut-être n’avait-on mis en avant que certains éléments du livre.
Pour revenir à votre question, pour remettre en lumière ces livres-là, il faut les dépoussiérer des idées préconçues et pointer du doigt d’autres éléments.
Nous repartons ainsi systématiquement de zéro. Nous voulions par ailleurs une identité assez forte sur cette collection avec notamment des couleurs assez vives et des images simples, symboliques. Cela ne nous permettrait pas de garder ou de restituer l’identité visuelle des publications originales.
Nous avons, de ce point de vue là, de bons retours de la part des libraires, des lecteurs ou des journalistes. Ils nous disent que les ouvrages sont immédiatement identifiables.
Est-ce que cela implique de votre côté un travail didactique pour expliquer justement pourquoi ces livres ont été mal reçus ?
Combien de titres publiez-vous par an ?
Nous en publions cinq cette année. Nous ne voulons pas en publier trop afin de pouvoir travailler de manière approfondie sur chaque titre. Comme je vous le disais précédemment, il y a beaucoup de choses à dire non seulement sur l’ouvrage mais aussi autour de celui-ci et sur les auteurs.
Il ne s’agit pas non plus de nouveautés donc il faut convaincre les libraires du bien fondé d’une réédition.
Alors les libraires justement, comment ont-ils réagi à l’apparition de cette collection en janvier 2013 ?
C’est peut être le fait de ne pas être dans la course permanente qui plait également aux libraires, cette volonté de prendre un peu de temps.
Les livres de la collection peuvent-ils rester plus longtemps en librairie ou bien sont-ils soumis à la même durée de vie que n’importe quel autre ouvrage ?
Ces livres n’étant pas à proprement parler des nouveautés, ils échappent donc à l’actualité, à la course aux prix littéraires, et peuvent par conséquent s’installer plus longtemps en librairie.
Belfond Vintage fête donc ses deux ans et se lance dans sa troisième année. Comment cette collection est-elle née ? Qu’elle était l’idée au départ ?
C’est un concours de circonstance. Nous avons acheté coup sur coup deux livres anciens et nous nous sommes demandé comment on pouvait structurer cela. C’était peut-être aussi lié à une certaine lassitude de la course à la nouveauté, du fait qu’un livre chasse continuellement un autre. Nous voulions passer un peu plus de temps sur certains ouvrages.
Le processus pour le travail autour d’un manuscrit est plus ou moins connu mais comment est-ce que cela se passe avec un texte plus ancien et déjà publié ?
Sur Vintage, on part sur une idée, un titre qui a reçu notre attention d’une manière ou d’une autre. Si le titre nous intéresse, il faut remonter le fil des détenteurs de droits. Souvent la maison d’origine n’existe plus, le titre est épuisé depuis longtemps. C’est un vrai travail de fourmi. On cherche une édition étrangère, on demande à la maison s’ils ont des indications… Cela peut prendre beaucoup de temps mais c’est un travail amusant, à rebours de ce que l’on fait d’habitude.
Je me suis retrouvé à envoyer des messages en allemand à une bibliothèque russe pour savoir s’ils avaient des indications sur un titre !
On imagine qu’il est donc difficile de prévoir quand un livre peut être prêt ?
C’est effectivement difficile mais c’est déjà le cas pour les nouveautés car il faut attendre la version finale du manuscrit, la mise en traduction – c’est à dire cette période pendant laquelle on doit trouver un traducteur sachant que les meilleurs sont les plus occupés – et la traduction elle-même. Il y a de toute façon un délai qui est difficilement mesurable.
Pour la collection Vintage ce ne sont pas les mêmes contraintes car la traduction existe déjà mais il y a en effet un gros travail de recherche, recherche qui concerne également le traducteur original, il n’est pas toujours évident de le retrouver pour récupérer les droits de sa traduction.
Combien de personnes travaillent sur Belfond Vintage ?
Nous sommes deux plus une assistante. Belfond est une petite équipe, c’est un avantage : on se parle beaucoup, il n’y a pas de cloisonnement, tout le monde touche à tout. Les seules spécialisations concernent les langues: qui peut lire tel livre de tel auteur étranger.
Les livres de la collection ont-ils tous faits l’objet d’une première publication chez Belfond ?
Comment obtenez-vous les droits des ouvrages ? Rencontrez-vous parfois de l’hostilité de la part des ayants-droits ?
Au delà de leur qualité, et du fait qu’il s’agisse de rééditions, pensez-vous qu’il y a quelque chose qui relie les ouvrages de Belfond Vintage ?
En 2015 nous publions L’Homme au complet gris, une redécouverte littéraire importante, La Partie de Chasse, un livre anglais qui décrit l’aristocratie britannique au moment de la Première Guerre mondiale et qui est une inspiration directe de la série Downton Abbey, des inédits d’Iceberg Slim ou encore Haute tension à Palmetto Erskine Caldwell qui est un très grand nom de la littérature sudiste américaine. Son œuvre a été tellement censurée qu’elle est aujourd’hui mal connue.
Ce programme traduit notre volonté d’explorer le plus de thèmes, de langues, d’époques ou de territoires possibles.
Pensez-vous que tous les livres de la collection s’adressent à un même public ?
Belfond Vintage est encore un peu trop jeune pour que je puisse vous répondre mais il y a certainement un effet collection. Je pense que jusqu’à présent les gens n’ont pas été déçus et que si nous pouvons maintenir cette exigence de qualité, les lecteurs viendront peut-être vers les autres ouvrages du catalogue.
La presse semble toujours dans une course à la nouveauté. Vous disiez pourtant qu’elle a su s’intéresser aux ouvrages de la collection ?
C’est ce qui nous a le plus surpris. La presse a tout de suite été très enthousiaste et s’est intéressée autant aux livres qu’à la collection.
Quelle a été votre rencontre la plus marquante en tant qu’éditrice ?
Indéniablement Françoise Triffaux qui dirige le département étranger. J’ai un parcours qui ne me destinait pas forcément à l’édition. J’y suis arrivée par hasard, sans rien connaitre au métier, mais nous avons eu toutes les deux une sorte de coup de foudre professionnel. C’est quelqu’un que j’admire profondément, que je trouve inspirante, courageuse et audacieuse.
C’est elle qui m’a donné une chance.
Quelles sont vos lectures du moment ?
Comme beaucoup d’éditeurs qui passent leur temps à lire pour leur travail, je n’ai, hélas, plus beaucoup de temps pour lire en dehors. Le dernier livre que j’ai lu hors Belfond, ce doit être Le Fils de Philipp Meyer. Étant fan de foot, je me suis aussi autorisée un plaisir coupable avec l’autobiographie de Zlatan Ibrahimovic.
Je dois avouer n’avoir pas lu un livre français depuis 10 ans peut-être. Mon domaine est la littérature étrangère et j’ai probablement perdu quelques références en littérature française.
Découvrez L’Homme au complet gris de Sloan Wilson paru dans la collection Belfond Vintage.
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