d'après LES BIJOUX de Maupassant
Commis à la mairie de Paris,
M. Jacques Dury,
Reprochait à son épouse, ses goûts
Pour le théâtre et les faux bijoux.
Quand le soir Isabelle sortait,
Elle portait
De modestes toilettes.
Mais pour paraître plus coquette
Elle les agrémentait
En toute simplicité
D’un collier de faux rubis
Ou d’une parure en verroterie.
Choqué par son amour du clinquant,
Jacques lui répétait souvent :
-« Pour moi, mon chou,
Tu es le plus rare des bijoux.
Et puisque je n’ai pas assez d’argent
Pour t’offrir de vrais diamants,
Tu devrais ne présenter
Que ta réelle beauté
Sans afficher tout ce fourbi-là »
-« Que veux-tu, j’aime ça.
J’adore le clinquant, moi ! »
Et elle faisait avec émerveillement
Rouler dans ses doigts
Tous ses ornements.
Une nuit d’hiver, Isabelle est rentrée
Fort tard. Le lendemain elle toussait.
Huit jours plus tard, elle décédait.
Peu après, Jacques s’interrogeait :
Comment Isabelle
Réussissait-elle à acheter des mets fins
Et d’excellents vins
Avec mon seul maigre salaire mensuel
Moi, qui maintenant,
Dès le vingt du mois,
N’ait plus d’argent ?
Je vais vendre ses faux bijoux,
J’en tirerais bien quelques sous.
Son collier de perles noires,
Par exemple, doit bien valoir
Six ou huit francs
Car c’est un travail soigné, vraiment.
Jacques se rendit dans une bijouterie
Un peu honteux d’étaler ainsi
Sa pacotille et vouloir se défaire
D’un trompe-l’œil si peu cher.
-« Je voudrais bien savoir
À combien vous estimez ce sautoir ? »
-« Il vaut quinze mille francs. »
À l’annonce d’un tel prix,
Dury montra son étonnement.
Le marchand se méprit
Sur la grimace du vendeur :
-« Cherchez donc ailleurs.
Mais si vous n’obtenez pas mieux,
N’hésitez pas. Revenez quand vous voulez. »
Dury pensa : ’’Quel idiot, bon Dieu !
Il ne sait distinguer le faux du vrai !’’
Jacques se rendit alors rue de la Paix
Chez un célèbre bijoutier
Qui examina le collier :
-« Je le connais.
Il vient de chez moi ! » -« Combien vaut-il ? »
-« J’en donnerai dix-huit mille. »
-« J’avais cru qu’il était faux… »
-« Comme je dois respecter les textes légaux,
Demanda le bijoutier avec politesse,
Veuillez me donner vos nom et adresse »
-« Jacques Dury,
16 rue de la Corderie.
Je ne suis qu’un modeste employé. »
Le marchand saisit son registre, l’ouvrit :
-« Ce collier et son écrin ont été livrés
16 rue de la Corderie
À Mme Isabelle Dury,
Le 20 juillet 1866... »
Dury quitta le marchand
Et s’efforça de comprendre comment
Sa femme pouvait posséder un tel joyau.
C’était sûrement un cadeau !
Mais de qui ?
Donc les autres aussi.
Jacques se ressaisit :
’’Comme on est content
Quand on a de l’argent !
Avec de l’argent, on s’en paie !’’
Il retourna rue de la Paix.
Le bijoutier lui remit
Dix-huit grands billets et Dury lui dit :
-« J’ai d’autres bijoux…de cette succession
Seriez-vous dans les mêmes dispositions ? »
-« Vous pouvez me les apporter. »
En fin d’après-midi,
Dury revenait à la bijouterie
Avec son précieux coffret.
Presque tout provenait de cette maison.
Voici les estimations :
Six brillants d’oreilles : vingt mille francs.
Sept bracelets : trente-cinq mille
Les broches et les médaillons : seize mille.
Le diadème : onze mille.
Huit bagues : vingt-deux mille
Une parure de saphirs : quatorze-mille.
Le tout atteignait plus de cent dix mille francs.
Dury alla diner dans un grand restaurant.
Il s’en mit jusqu’aux oreilles.
Il but du vin à vingt francs la bouteille.
Puis il fit un tour aux Tuileries.
Regardant les passants
Avec mépris,
Il avait envie de leur hurler :
’’J’ai deux cents mille francs !’’
Le lendemain, Dury allait
À la mairie donner sa démission.
Se moquant du qu’en-dira-t-on,
Il dit à ses collègues :
-« J’ai reçu un legs
De trois cents mille francs ! »
Puis il déjeuna au restaurant.
Au maître d’hôtel, il avoua, tout excité :
-« Je viens d’hériter
De quatre cents mille francs ! »
Et Dury riait, riait !
Il n’attendit pas un an
Pour se remarier.