Pardonnable, impardonnable de Valérie Tong Cuong 4,5/5 (25-01-2015)
Pardonnable, impardonnable (337 pages) est paru le 7 janvier 2015 aux Editions JC Lattès.
Site de l’auteure ici
L’histoire (éditeur) :
Un après-midi d'été, Milo, douze ans, fonce à vélo sur une route de campagne. L'ivresse de la descente, un virage, et c'est la chute.
Tandis que l'enfant se bat pour sa vie, c'est toute sa famille qui vole en éclats. Milo était censé réviser ses cours d'histoire. Que faisait-il sur cette route ? Chacun cherche le coupable, mais personne n'est innocent.
Dans ce ballet des aveux où défilent ses parents, Céleste et Lino, son indéchiffrable grand-mère Jeanne et sa jeune tante Marguerite, se dessinent peu à peu les mensonges, les rapports de force et les petits arrangements qui cimentent cette famille. L'amour que tous portent à Milo suffira-t-il à endiguer la déflagration ?
Mon avis :
Pardonnable, impardonnable est l’histoire de Milo, un garçon de 12 ans victime d’un traumatisme crânien alors qu’il faisait du vélo avec sa tante Marguerite (au lieu de faire ses devoirs..). Pardonnable, impardonnable est avant tout l’histoire d’une famille, de ceux qui la composent et la décomposent, des narrateurs successifs ébranlés par ce séisme. De façon linéaire, comme si chacun se passait le micro, le récit suit son cours en alternant les voix, les points de vue, les ressentis et l’histoire de chacun. Telle une déflagration, la chute de vélo du garçon va propager les douleurs, les tourments et les drames au sein de cette famille et en révéler des secrets parfois vieux de près de 30 ans.
Il y a Céleste, la maman déjà traumatisé par un épisode douloureux encaissé il y a 15 ans, et encore trop présent dans l’esprit de son couple.
« Céleste s’est effondrée d‘un seul coup – une lumière qui s’éteint. » Page 31
Il y a Lino, le papa, un homme brisé qui cache ses faiblesses dans l’alcool (réitérant un schéma familial qu’il cherchait à oublier), obsédé par sa condition et son milieu social qu’il a tant tenté de dépasser, lui valant une rupture définitive).
« Je ne suis plus désormais qu’une branche morte tombée au pied de l’arbre familial. » Page 103
Il y a Jeanne, la mamie, qui formalisait une donation secrète avec sa fille Céleste et son gendre, lorsque l’accident a eu lieu. Femme secrète, un poil manipulatrice et envahissante, elle aime profondément Céleste et son petit-fils, mais délaisse depuis sa naissance sa seconde fille Marguerite, préférant l’ignorer plutôt que lui vouer le moindre amour.
« Elle est passée de l’exaspération à l’indifférence. Avec une constante : en vingt-huit ans, je ne l’ai jamais vue manifester à mon égard le moindre signe de tendresse, quelles que soient les circonstances. » Page 58
Il y a Marguerite, 28 ans, la tata. Une femme un peu paumée, usée par des rapports délicats avec les adultes mais pétillantes et tellement attachée à son Milo. Leur histoire est tout simplement magique !
« Un fil invisible s’est tissé entre nos deux cœurs. Un fil d’amour simple, pur, sans motif. » Page 57
« Ils étaient si proches. Sais-tu qu’ils se donnaient rendez-vous dans leurs rêves ? Ils mettaient au point un décor, une clairière, la place d’un village, un wagon de métro, ils décidaient d’une heure à laquelle s’endormir et s’y rejoindre. Combien de fois ai-je trouvé Milo, le matin, heureux comme un pape, racontant qu’ils avaient réussi ! » Page 184
Et il y a Milo, un gamin souriant, débordant d’énergie, intelligent, sincère et joyeux. Un bonhomme qui fédère une famille brisée, construite sur des mensonges depuis toujours, et qui va peut-être enfin pouvoir commencer à libérer sa conscience.
« Douze ans de bonheur, Milo, ont défilé dans ma tête. Depuis cette seconde où tu nous as arrachés, ta mère et moi, à nos sables mouvants. Après le jour noir, l’existence était devenue une fonction, nous étions des machines. Nous vivions l’un et l’autre par devoir, Céleste pour protéger sa mère et sa sœur, moi pour protéger Céleste puisque je n’avais qu’elle. Sans cette chaîne, nous nous serions sans doute supprimés. » Page 96
« Tu as effacé nos douleurs et nos dettes, Milo. Le monde a inversé sa course à l’instant où tu es né, bien vivant. » Page 97
« Tu n’étais absolument pas mort d’un arrêt cardiaque, tu étais mort d’humiliation, d’épuisement et de désespérance. Tu étais mort parce que tu ne supportais plus ton impuissance. Parce que tu ne supportais plus d’être un esclave. J’avais dix ans et pas assez de vocabulaire à ma disposition pour l’exprimer, mais bien assez de tripes pour le ressentir. Est-ce que mentir sur ta fin était une trahison ? » Page 233-234
Qu’on accroche ou pas à l’histoire (c’est dur, et peut être un peu excessif dans l’accumulation des drames, parce que notre œil externe nous permet de voir et d’encaisser les drames de chacun) Pardonnable, impardonnable est à découvrir rien que pour l’écriture de Valérie Tong Cuong. J’ai totalement accrochée à son style, ses mots finement choisis m’ont transportée et m’ont surtout passionnée .J’ai été évidemment très touchée par l’intrigue lourde de ressentis, de non-dit, de mensonges, de chagrins (et aussi d’amour !), mais encore plus par la narration parfaitement rythmée. J’ai noté des dizaines de citations qu’on m’ont à la fois chamboulée, émue, parlé, ou choquée.
« Quinze ans après le jour noir, il emploie le même remède pour combattre la douleur et cela me terrifie, comme si son ivresse préparait le terrain à une issue fatale. » Page 81
« Cet accident n’avait pas fait qu’un blessé : nous étions tous atteints jusque dans nos chairs, et nos blessures se creusaient chaque jour un peu plus. » page 202
Sans tomber dans le pathos ce roman est un condensé d’émotions. La psychologie des personnages est soignée et les réactions de chacun d’une grande crédibilité. Valérie Tong Cuong expose des émotions difficiles à admettre et choquantes et pourtant ça sonne juste. Après le temps de la colère, de la haine, de la vengeance et de l’amertume on ne peut qu’espérer que celui du pardon prenne place au sein de cette famille.
Pardonnable, impardonnable est un roman poignant magnifiquement écrit. Le jeune Milo, et surtout sa tante Marguerite m’ont profondément touchée. La quête identitaire de cette dernière et sa complicité avec son neveu ont réussi à me bouleverser. Même si c’est un roman sombre, on referme ce livre avec un sentiment de soulagement et d’espoir très positif, parce que la force de l’amour réussi l’impensable aussi.
En bref : un cheminement pour désigner le coupable douloureux, une remise en question personnelle et familiale indispensable, Pardonnable, impardonnable est un roman qui explore beaucoup de sujets délicats (viol, adultère, trahison, pardon) et qui ne laisse pas indifférent aussi bien pour son fond que par sa forme.