RS : Cela dépend du point de vue. Quand on parle en France de revue érotique, cela n'apparaît pas forcément comme une bizarrerie. Il y a et il y aura toujours des revues érotiques de plus ou moins bonne qualité. La différence c'est que nous voulions nous inscrire dans cette famille d'un point de vue littéraire et en cela, il s'agit bien d'un ovni. La littérature érotique est souvent déconsidérée et personne jusqu'à maintenant n'avait pensé que l'on pouvait y trouver matière à des textes de qualité. Qui plus est, nous ressentions comme une cruelle absence le fait qu'il n'existait pas jusqu'à maintenant de revue telle que celle-ci, ouvrant l'érotisme à un large public et ne se spécialisant pas dans une seule catégorie. En effet, nous espérons que tout le monde puisse trouver dans Stupre matière à satisfaction.
JCG : Revue thématique, vous commencez par "Palace". Qu'est-ce qui n'est pas la ? Ce plaisir des palaces : luxe, calme et volupté ? Palace plutôt que salace, ou hélas, pas de place pour ce palace que serait une vie de plaisirs et plaisante ?
RS : Afin de ne pas nous inscrire dans la négation je dirais que dans Stupre tout est là. Nous avons choisi le thème du " palace " pour tout ce qu'il projette dans l'imaginaire collectif. Strass et paillettes, halls d'hôtels déserts, rencontre d'une inconnue dans la nuit ; les années Pacadis, son style dandy punk, le rock et les paradis artificiels ; les coulisses du luxe et leurs mystères, les palais insoupçonnés, les villas abandonnées, les châteaux hantés de lascives succubes, la prostitution extravagante et navrante ; jacuzzi, champagne, concierge prêt à tout... Nous n'avions même pas conscience au début du rapprochement de termes entre palace et salace. Ce n'est qu'un hasard fortuit qui correspond finalement à l'ambiguïté de Stupre. Et si vous considérez qu'il n'y a pas de place dans notre société actuelle pour les palaces, laissons justement place à l'imaginaire et à la rencontre impromptue du luxe.
JCG : "Stupre", c'est 80 pages, textes et images, des dessins, des photos. Quel est l'événement dont c'est l'avènement pas vainement dans ce premier opus ? Malgré l'époque, sinistrosante, les corps et les âmes résistent et tiennent bon, à ce qui est bon ?
RS : C'est l'avènement de la pluri-disciplinarité au service de l'érotisme. La plupart des contributeurs ne sont pas issus du monde l'érotisme et nous voulions leur donner la possibilité de s'exprimer sur ce sujet. C'est pourquoi la naissance de Stupre suscite de la part de tous un réel engouement pour ce qui est de la défense d'un plaisir de qualité. Nous avons sélectionné par exemple des auteurs comme Jul qui travaille pour Charlie Hebdo ou Bertrand Guillot dont le premier roman, Hors Jeu, paru en septembre 2007 n'a rien d'érotique. De même pour la photographie, si Jean-Marc Millière photographie souvent des nues, ce n'est pas le cas d' Ernesto Timor dont le travail érotique n'est qu'une petite partie de son œuvre.
JCG : Toujours l'époque, son conservatisme élu, et puis, en-deçà de la société du spectacle, un monde citoyen qui parle, vit, fait des rencontres, et plus si affinités, et il y a affinités. L'Internet étant aussi ses traces, l'appel érotique suscite des adeptes confirmés et passionnés, avec des blogs, par centaines. "Stupre" serait aussi la concrétisation de cette vague précise ?
RS : Comme tout objet littéraire, Stupre s'inscrit dans la vague du temps. Nous n'avons pas planifié de profiter d'une vague érotique avec l'avènement des sextoys et une liberté de ton que l'on retrouve notamment sur internet sans doute en réaction à la morosité actuelle. Mais il est vrai qu'étant parti prenante de la société nous en subissons l'influence, c'est pourquoi nous avons fait appel, entre autres, à des blogueurs . Stupre se veut dans la vague tout en n'en adoptant pas les travers. En même temps nous nous servons du plus vieux thème du monde. Nous n'avons pas la prétention, ce qui serait ridicule, d'avoir découvert l'érotisme. Mais nous avons celle de lui apporter un nouveau regard, plus contemporain, plus doux et plus intellectuel. Un regard original aussi comme par l'utilisation de traits fins en bande dessinée, destinés habituellement aux récits autobiographiques, mais ici au service de l'érotisme par Aude Picault.
JCG : J'ai attiré votre attention sur les poèmes érotiques de Mallarmé, ignorés en tant que tel. " A la nue accablante tu" a donc désormais la parole, grâce à vous. Comment l'entendez-vous, cette parole poétique qui ne dit pas les choses comme les autres et qui dit aussi ce qu'elles sont, comme aucune image ne le montrera et l'expliquera ? L'audace est donc par vous recommandée, obligatoire ?
RS : Nous voulons conférer à Stupre un caractère culturel. Au-delà du côté agréable de l'érotisme, le but était aussi de permettre des découvertes ou des redécouvertes. Nous voulons que les gens ouvrent les yeux et découvrent le monde dans ses sous-entendus érotiques, ce qui est le propre du poème de Mallarmé. Nous nous focalisons sur le sous-entendu contre la pornographie placardée sur les murs. Pour être sincère la poésie n'est pas notre spécialité mais appréhender un texte avec un nouveau regard est notre principal intérêt.
JCG : "Stupre", maintenant, dans six mois, six ans, ce sera, ce serait ? quels thèmes ? ...
RS : Stupre c'est deux fois par an. Nous clôturons donc l'appel à contribution le premier juin afin de sortir un prochain numéro pour la rentrée littéraire de septembre. Le thème est " sur la table ". Le prochain Stupre sera donc culinaire, un plaisir pour l'intellect et pour les papilles. Pour la suite, Stupre évoluera en fonction des possibilités qui ne manqueront pas d'arriver.