On a attendu le bus quarante minutes en se gelant les pieds, je ne sais pas pourquoi je ne suis pas partie en te laissant là. J’imaginais mes orteils bleus mais peu m’importait, je te voyais si belle, avec ta capuche à moumoute et tes cheveux fous qui s’en échappaient. Le bus a fini par arriver et je t’ai embrassée, tu souriais, et puis tu sentais si bon.
Je suis partie avant que le bus démarre, avant même que tu ne montes dedans je crois, j’avais trop froid. Je n’ai pas pleuré, il est presque temps que je me fasse à tes absences. Oh, je sais bien que je reviens toujours sur le même sujet, tu sais, c’est l’âge qui veut ça. Le mien, d’abord, et puis le tien, surtout.
Pour une fois, j’ai eu peur pour toi. Pas que tu ne te couvres pas, pas que tu oublies d’aller faire pipi, comme cette autre mère a demandé publiquement à sa fille de quinze ans consternée, en ponctuant sans attendre la réponse d’un « oh la la ces ados ça ne pense à rien! » qui me fait encore sourire douze heures plus tard, pas que tu ne dormes pas assez, pas que tu ne manges pas bien ou oublies de changer de culotte. Peur que tu ne reviennes pas. A cause de la neige, du verglas, un peu, mais pas que. Peut-être parce qu’un jour, tu ne reviendras vraiment pas, parce que le jour sera vraiment venu. Alors j’ai fixé cette image de toi dans ma mémoire, comme si c’était la dernière fois. Pour apprivoiser l’idée.
J’assume. J’assume d’exagérer, de surjouer, d’en faire des caisses. Ce n’est qu’une petite semaine à la montagne, mais ça n’a rien à voir avec la durée, ni la distance. Tu vois, c’est parce que je sais que nos jours heureux sont comptés que je les chéris autant. Je m’y prends tôt, afin d’être prête quand tu l’auras décidé. Parce que le vide que tu laisses est plus grand que ton rire.