Alors que les plus gros studios surfent copieusement sur la thématique « fin du monde » depuis des décennies sous les genres « action », « fantastique » ou « catastrophe », ce n’est que très récemment que des comédies ont commencé à s’intéresser au sujet et cherchent à récupérer leur part du gâteau. Leur liste tient dans un mouchoir de poche mais chacune adopte un angle d’attaque nouveau.
Dans Kaboom de Gregg Araki (sorti en 2010), la fin du monde est un sous-texte complètement halluciné aux allures sectaires ; pour Seth Rogen et Evan Goldberg dans This is the end (sorti en 2013), l’apocalypse biblique prend forme dans un Los Angeles désabusé et grassement drogué, alors que Lorene Scafaria trouve dans ce sujet un propos romantique pour Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare (sorti en 2012).
Ces films abandonnent l’aspect moralisateur présent dans les super productions telles que Le Jour d’après, Phénomènes ou 2012 dans lesquels l’humanité est responsable des catastrophes naturelles qui l’anéantissent. La cause de ces fins du monde a ici bien peu d’importance.
Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare © SND
Ainsi la réalisatrice de Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare expédie en une séquence (et la première) la raison « naturelle » de la destruction de la Terre pour s’attacher à la deuxième plus grande question de l’univers : que ferions-nous si nous savions notre fin proche ? Pour y répondre elle choisit de s’attacher à la triste vie de Dodge, un homme banal, résolu à compter patiemment les jours qui le séparent de sa rencontre brutale avec un astéroïde. Mais avant la fin du compte à rebours, il rencontre la pétillante et perturbée Penny dont il tombe presque immédiatement amoureux comme le veut la grille scénaristique type des comédies romantiques américaines. Quelques bonnes scènes remontent à la surface aidées par le comique naturel de Steve Carell et malgré la platitude de Keira Knightley.
Plutôt que comme conseil, ce film trouve sa place dans cet article comme exemple d’ouverture du sujet aux différentes branches de la comédie. Plutôt que de tenter de sauver miraculeusement notre planète, ces personnages vivent leurs derniers jours pour eux-même et observent l’humanité perdre pied et se résoudre à la mort. La fin du monde, si elle est constamment rappelée aux spectateurs par les comportements des personnages entourant les rôles principaux, bascule finalement du sujet du film à un contexte interchangeable. En voulant se concentrer sur la relation de Dodge et Penny, Lorene Scarfaria passe à côté de son sujet et soumet une énième comédie romantique stéréotypée aux spectateurs.
Dans une veine opposée de la comédie américaine, les scénaristes de Super Grave et Délire Express adaptent l’Apocalypse de Jean à la sauce salace et graveleuse. L’Apocalypse intervient lors d’une soirée donnée chez James Franco à laquelle tout Los Angeles participe. Généreux en effets spéciaux, This is the end détourne la narration catastrophique des blockbusters du genre (Independance Day, Armageddon…) et se dirige vers une esthétique du « too much » frôlant l’univers des nanars. Les bons s’envolent au ciel aspirés par un faisceau lumineux divin, alors que le sol se craquelle pour engloutir les pêcheurs que sont les acolytes des réalisateurs : James Franco, Jonah Hill, Jary Baruchel, Michael Cera et Emma Watson. Leur lutte pour survivre et accéder au paradis démarre alors que dans la ville rôdent des démons gigantesques et sodomites.
This is the end © Sony
Les réalisateurs se placent donc à l’inverse du traitement réaliste de Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare. Il ne s’agit pas là des réactions de personnes « normales » issues du quotidien, mais de celles de célébrités hollywoodiennes. Dans cette situation très nombriliste, les comédiens transmettent une bonne dose d’auto-dérision qui s’ajoute au grand délire à 30 000 000 $ qu’est le film. Clairement en dessous de certaines de leurs productions, This is the end fait un flop. Dans la même veine, Le dernier pub avant la fin du monde de Edgar Wright ne nous avait pas plus fait rire. Plus métaphorique quant à la destruction de notre planète, le film adoptait clairement le genre des films de zombies en y insufflant un humour peu convaincant.
La proposition la plus intéressante est alors celle de Gregg Araki pour Kaboom que l’on a plus de mal à classer dans les sous-genres de la comédie. Dans le récit quotidien de la vie d’un jeune homme à l’université, le réalisateur intègre les troublants faits et gestes d’une secte désirant prendre possession de la Terre après sa destruction à l’arme atomique. Derrière ce pitch express se dévoile une vraie direction de mise en scène et un point de vue précis.
Kaboom © Why Not Productions
Le réalisateur met de côté toutes les précédentes productions traitant de la fin du monde. Son approche de la fin du monde ne se rattache ni aux films catastrophe, ni aux films de zombies, ni au cinéma d’anticipation, ni au cinéma réaliste… Son traitement est celui de la comédie absurde (les membres de la sectes se cachent derrière des masques de carnaval en forme d’animaux). Plutôt que de faire des blagues sur la fin du monde comme dans This is the end ou Le dernier pub avant la fin du monde, Gregg Araki garde sa grammaire « classique ». La comédie naît des personnages (le grotesque de Thor, le colocataire de Smith, véritable cliché ambulant, ou du Messie, caricature du drogué 24h/24…), des dialogues, des situations… Alors que les précédents exemples présentaient la fin du monde comme un événement reconnu par tous qui faisait alors office de contexte à la véritable histoire du film (l’histoire d’amour de Dodge et Penny dans Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare), dans Kaboom c’est l’histoire de Smith à l’université qui devient le contexte dans lequel la secte agit. La fin du monde n’est pas annoncée dès l’ouverture du film mais elle en est l’enjeu. Ce n’est donc pas à proprement parler un film « sur » la fin du monde, mais dans lequel la fin du monde intervient. Cette distinction dès la genèse du projet justifie de sa différenciation des précédents exemples de comédies.
Sans espérer tirer une recette de mise en scène de ces trois points de vue sur la fin du monde sous l’angle de la comédie, ceux-ci permettent de faire aujourd’hui un premier état des propositions cinématographiques dans ce sujet très précis. Heureux d’observer des mutations dans le classement des genres par les productions américaines, nous espérons voir de nouvelles propositions fleurir et enrichir le paysage cinématographique, qu’elles viennent de l’Amérique, de l’Europe ou de l’Asie. Le début d’une nouvelle ère ?
Marianne Knecht