“Into the woods, Promenons-nous dans les bois” de Rob Marshall

Publié le 02 février 2015 par Boustoune

Les dirigeants de Walt Disney Pictures ont de la suite dans les idées… Avec Into the woods, ils continuent d’exploiter le filon des contes de fées, qui leur a plutôt bien réussi par le passé, et notamment ces dernières années, avec le triomphe de dessins animés comme Raiponce et La Reine des Neiges. Mais cette fois, il s’agit d’un film en prises de vues réelles, l’adaptation d’une comédie musicale de Stephen Sondheim et James Lapine qui a eu un certain succès à Broadway à la fin des années 1980 et fait se croiser plusieurs personnages de l’univers des frères Grimm : Le petit Chaperon Rouge, Cendrillon, Raiponce et Jack le tueur de géants.

Le prétexte qui les réunit tous est l’histoire d’un boulanger (James Corden) et de son épouse(Emily Blunt) qui se lamentent de ne pas avoir d’enfant. Une affreuse sorcière (Meryl Streep), vient leur annoncer que leur stérilité est la conséquence d’une malédiction qu’elle a lancée jadis sur leur famille, suite à un conflit avec le père du boulanger. Pour conjurer le sort, le couple doit réunir quatre objets : un chaperon rouge, comme celui de cette petite-fille (Lilla Crawford) qui s’en va rendre visite chez sa mère-grand, sous le regard intéressé du Grand Méchant Loup (Johnny Depp), une pantoufle de vair, comme celle que Cendrillon (Anna Kendrick) rêve de porter au bal du Prince (Chris Pine), une vache blanche comme du lait, tel le bovidé que le jeune Jack (Daniel Huttleford) doit à contrecoeur vendre au marché, et une mèche de cheveux blonds comme les blés, et comme ceux de Raiponce. Cette quête ne sera pas sans conséquences sur la tranquillité du royaume…

La première moitié du film montre des personnages qui sont tous en quête de quelque chose. Dès la première scène, ils implorent le Ciel d’exaucer leurs souhaits. Le boulanger et sa femme veulent un enfant. La sorcière veut retrouver sa beauté. Cendrillon veut absolument aller au bal pour rencontrer le Prince Charmant. Jack veut que sa vache soit encore suffisamment vaillante pour donner du lait et que sa mère renonce à la vendre. La mère de Jack rêve de beaux habits et d’un cadre de vie meilleur. Raiponce souhaite sortir de la tour où elle est retenue captive. On est dans une narration typique de contes de fées, où un chemin semé d’embûches se dresse entre les personnages et leur objectif, mais où tout est bien qui finit bien.
Puis, sans prévenir, le ton change. Dès que les personnages ont obtenu ce qu’ils souhaitaient, on bascule dans une toute autre histoire, plus amère et plus mélancolique. D’habitude, les contes se terminent sur la traditionnelle mention “Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”, sans plus de détails. Ici, la deuxième moitié du film nous montre ce qu’il se passe après que le Prince épouse la Princesse, après que que les personnages aient obtenu ce qu’ils voulaient. Et c’est nettement moins reluisant. Le Royaume est en péril, au bord de la destruction. Les comportements individualistes prennent le pas sur le sens du collectif. Les bonheurs conjugaux idylliques se fissurent au contact de la réalité.

C’est là que le film de Rob Marshall devient intéressant, quand il sort des sentiers battus des traditionnelles productions Disney et que le conte de fées retrouve sa fonction essentielle : Permettre aux enfants, par le biais d’une histoire fantastique divertissante, d’affronter leurs peurs primales, de recevoir une morale et de s’initier en douceur à des sujets plus graves, plus douloureux, de façon à favoriser le passage à l’âge adulte.
Il y a déjà cette idée dans la première partie, notamment à travers l’histoire du Chaperon Rouge, qui présente, comme le conte original, différents niveaux de lecture. Le premier est une banale leçon de morale : il faut obéir à ses parents et rester sagement sur la bonne voie. Le second est une leçon de morale à connotation sexuelle : avec le passage à l’adolescence, la fillette devient objet de désir et peut devenir une proie pour des prédateurs sexuels, comme ce loup au regard lubrique. Le troisième est une allégorie du passage à l’âge adulte et de la perte de la virginité : en cédant à la tentation de prendre des sentiers de traverse, la jeune fille finit par voir le loup – une rencontre plutôt brutale…- et elle est finalement libérée du ventre de l’animal par un chasseur (ici, le boulanger), ce qui correspond à une renaissance, au passage à l’âge adulte, à la perte de l’innocence enfantine.

Mais ici, la perte de l’innocence se fait surtout par le biais de la seconde partie du film, qui s’ingénie à déboulonner certains mythes de contes de fées.
Par exemple, le Prince Charmant dont rêvent les filles s’avère être un homme finalement peu intéressant, incapable de d’endosser le rôle de chef de famille car trop occupé à jouer au Prince Charmeur, volage et indélicat. Mais même les couples apparemment heureux ne sont pas à l’abri de quelques nuages, comme vont le découvrir le boulanger et sa femme. Non, l’Amour n’est pas éternel. Pas plus que les êtres humains.
Into the woods est une histoire de désirs et de dangers, de responsabilité, d’émancipation, de naissance, de renaissance et de deuil, qui traduit bien le franchissement du fossé entre le monde de l’enfance, fantaisiste, coloré et joyeux, et l’âge adulte, plus réaliste, plus sombre, plus amer, plus décevant.

Sur le fond, c’est très réussi. C’est sur la forme que ça coince. Le film est presque entièrement chanté et cela s’avère vite assez insupportable. Déjà parce que les chansons ne sont pas très bien écrites, entre musique saoulante et paroles insipides. Et ensuite parce qu’elles sont ânonnées péniblement par les acteurs.
Rares sont ceux qui sortent leur épingle du jeu. Emily Blunt et Anna Kendrick y parviennent, même si tout n’est pas parfait. Chris Pine aussi, dans une savoureuse composition de prince ringard. Pas Johnny Depp, qui fait son numéro habituel, le minimum syndical, dans la peau du loup. Pas Meryl Streep, qui en fait des tonnes dans le rôle de la sorcière. Et quand elle chante, Mamma mia, que cela manque de justesse! Pas les deux jeunes acteurs, aux bouilles aussi craquantes que leurs voix sont horripilantes.
La mise en scène de Rob Marshall, si inspirée dans Chicago, est ici beaucoup plus plate. Elle manque d’ampleur et d’imagination, se contentant de capter cette succession de tableaux chantés plutôt que de les enchanter. Nous aimons les comédies musicales réussies, mais hélas, celle-ci, qui ne flatte ni l’ouïe, ni la vue, n’en fait pas partie…

Into the woods nous laisse donc un sentiment très partagé. Nous avons envie de défendre le film pour sa seconde partie, qui tranche (un peu) avec l’univers édulcoré des films Disney. Mais pour arriver jusque-là, il faut réussir à supporter les numéros qui précèdent, à commencer par son introduction horripilante…
A vous de voir si vous voulez tenter l’expérience.

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Into the woods – Promenons-nous dans les bois
Into the woods

Réalisateur : Rob Marshall
Avec : Emily Blunt, Meryl Streep, James Corden, Chris Pine, Anna Kendrick, Johnny Depp
Origine : Etats-Unis
Genre : Conte défait et comédie musicale stressante
Durée : 2h04
date de sortie France : 28/01/2015
Note :
Contrepoint critique : Télérama

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