« La marche implique les ressources élémentaires du corps, sans technologies, à pas d’homme, sans hâte, chacun selon son rythme. Elle sollicite un temps ralenti à ma mesure et à celle de mon désir. Je parcours les sentiers, j’arpente les forêts ou les montagnes, je gravis les collines pour avoir le plaisir de les redescendre, tout en restant à hauteur d’homme, livré à mes seuls moyens physiques, introduit à la sensation continue de moi et du monde.
La marche réenchante mon existence. Elle n’est pas seulement regard, elle m’est aussi immersion parmi les nappes d’odeurs, les sons, la tactilité, quand le sentier se confronte soudain à une rivière, un ruisseau et que mes mains s’abandonnent à la fraîcheur de l’eau. Je sens l’épaisseur subtile de la forêt que recouvre l’ombre, les effluves de la terre ou des arbres, j’éprouve la texture du jour.
J’entends les cris des oiseaux, les bruits de l’orage ou les appels des gamins dans les villages, les stridulations des cigales ou le craquement des pommes de pin sous le soleil. Selon les saisons, je cueille les fraises des bois, les noisettes, les champignons... La marche est une expérience sensorielle totale qui ne néglige aucun sens. Les retrouvailles avec le cosmos ne sont jamais loin, mes pas me mènent infiniment plus loin que le paysage. »
David Le Breton, sociologue et écrivain, est l’auteur, notamment, de Marcher, éloge des chemins et de la lenteur (Métailié, 2012).