Deux expositions de photographies anciennes au Musée d’Orsay (jusqu’au 7 Septembre). En bas, le daguerréotype français, en haut, le calotype anglais. Le daguerréotype est une photographie unique, non reproductible, sur une plaque fragile et aux reflets changeants; c’est la première fois qu’on peut fixer une image photographique. Daguerre et le fils de Niepce cèdent leur brevet à tous, moyennant une rente votée par l’Assemblée en 1839. Le calotype est la première reproduction multiple des photographies : elle se fait sur papier, avec un négatif et un positif. William Henry Fox Talbot, qui l’invente en 1841, accepte de céder son brevet en 1851. Deux approches différentes, deux univers.
Au rez-de-chaussée du Musée, de petits daguerréotypes, paysages, scènes de genre posées, portraits rigides (le temps de pose est bien long), et la première photo d’actualité, une barricade en juin 1848, avant et après l’assaut par l’armée (Thibault, Barricade de la rue Saint-Maur-Popincourt avant l’attaque par les troupes du général Lamoricière le dimanche 25 juin 1848, daguerréotype, 12.2 x 16.5, Musée d’Orsay) : des images chatoyantes, précieuses.
A l’étage, chez les Anglais, de grands formats lumineux, nets avec des paysages très anglais, très picturaux. Cet enchevêtrement de racines et de pierres est l’image la plus tourmentée, sinueuse et romantique, au milieu du calme de la campagne anglaise qui s’épanouit partout ailleurs (Hugh Owen, Arbres avec enchevêtrement de racines, 1853, épreuve sur papier salé d’après un négatif papier, 17.5 x 22.8, © National Gallery of Art, Washington). Il y aussi une des premières photos impromptues, celles de soldats du 92ème Gordon Highlanders sur les remparts du château d’Edimbourg en splendides uniformes, n’ayant apparemment pas remarqué le photographe.
Bien sûr, le multiple l’emporte sur l’unique, et le daguerréotype va dépérir, puis le calotype aussi. Mais le double, alors ? Vers 1850 est inventé le stéréoscope, qui permet avec deux images de voir en relief. La photographie, cette nouveauté que bien des artistes et académiciens vitupèrent (’une perversion !’ s’écrie le Secrétaire Perpétuel de l’Académie. ’Je hais les photographes’), cette invention dont on ne sait s’il faut la classer parmi les sciences ou parmi les arts, corrige ainsi une des faiblesses de la représentation plane, une des limitations de la peinture : elle permet de voir en relief, de recréer le volume sculptural ! Serait-ce une révolution ? que non ! Les images stéréoscopiques semblent avoir été souvent licencieuses : précieux et unique, conservé dans un écrin de velours et de verre, le daguerréotype se prête bien au voyeurisme élégant. C’est le corps nu que l’on veut voir en relief avant toute chose, et on imagine bien un esthète érotomane regardant à la dérobée son nu stéréoscopique (coloré la plupart du temps pour rendre la chair encore plus désirable). La moitié des images stéréoscopiques présentées ici sont donc des nus féminins. De plus ces femmes se mirent la plupart du temps dans un miroir. On a ainsi quatre nus en un, quatre rondeurs callypiges, quatre déhanchés se fondant en un seul. En voici deux exemples, l’un en double, bien en chair (plus haut, Auguste Belloc, Femme nue devant un miroir, daguerréotype stéréoscopique, vers 1851-1855, 8 x 16, Musée d’Orsay, © P. Schmidt), l’autre en un seul exemplaire (mais les deux sont présentés à Orsay), nouveau Narcisse (ci-dessus, attribué à Félix Jacques Moulin, Femme penchée sur un miroir, vers 1851-1855, daguerréotype stéréoscopique, 8.7 x 7.5 cm, don de la fondation Kodak-Pathé, Musée d’Orsay, © P. Schmidt). C’était une époque bénie où la beauté devait sembler tangible, où la représentation du nu paraissait aussi réelle que le corps lui-même.
Photos courtoisie du Musée d’Orsay.