Le quotidien Le Monde vient de publier un article sur la réforme du code de l'environnement, inscrite à l'article 28 du projet de loi "Macron" pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. L'article, qui reprend une analyse de votre serviteur, peut être consulté ici.
La loi Macron achoppe aussi sur le droit de l’environnement
Le Monde.fr | 30.01.2015 à 16h42 • Mis à jour le 30.01.2015 à 16h48 | Par Martine Valo
A l’Assemblée nationale, l’examen du projet de loi Macron n’en était pas encore arrivé au tour de l’article 28 que celui-ci animait déjà la séance de questions au gouvernement mercredi 28 janvier. En réponse à l’inquiétude exprimée à son sujet par la députée écologiste Michèle Bonneton, Ségolène Royal s’est voulue conciliante : « Le gouvernement est tout à fait ouvert au dépôt et au vote d’un amendement destiné à garantir la non-régression en matière de droit à l’environnement. »
Le texte que défend le ministre de l’économie compte suffisamment d’opposants pour que cette bonne volonté ne passe pas inaperçue. Censé « moderniser le droit de l’environnement (…) au bénéfice, notamment, des entreprises et qui vise à accélérer la réalisation des projets publics et privés », il est dans le collimateur des écologistes, de certains socialistes et de communistes. En effet, afin de « faciliter les relations entre l’administration et les porteurs de projets ayant des incidences sur l’environnement », la loi propose de confier au gouvernement le pouvoir de décider lui-même par ordonnance des règles du jeu en la matière. Ce recadrage pourrait aider à venir à bout d’une bonne partie des recours déposés par les opposants « aux grands chantiers », comme le barrage de Sivens.
Révision des délais d’autorisation
L’idée est répandue qu’en France la moindre réalisation est soumise à un mille-feuille de procédures formelles, à un enchevêtrement d’obligations réglementaires responsables de délais à rallonge avant de sortir de terre. Un motif suffisant pour confier à l’administration publique le soin de trancher tout cela sans passer par le Parlement ? Plus d’un député y trouve à redire. Les élus Verts répètent à l’envi leur contrariété, « on nous demande un chèque en blanc ! », tandis que Sabine Buis (PS) avait un temps envisagé de déposer un amendement demandant la suppression pure et simple de ce fameux article 28. Ceux qui l’entourent, de 26 à 30, sont d’ailleurs aussi décriés.
Car le texte d’Emmanuel Macron balaie très large sur le terrain de l’environnement. Il veut ainsi revoir les délais d’autorisation dans le secteur de l’urbanisme, la façon d’évaluer les impacts sur la nature. Il souhaite en outre confier à une autorité unique le soin d’instruire et de délivrer le feu vert pour des installations classées de type industriel ou agricole. Ses ambitions de réforme touchent aux compétences des élus locaux, à l’indépendance de l’autorité environnementale en région, à un éventuel pouvoir de substitution des préfets vis-à-vis des maires ayant refusé un permis de construire… Surtout, il imagine réformer par ordonnance les modalités de concertation des citoyens.
« C’est Bercy qui dicte sa loi ! »
« On va restreindre la participation du public, réduire sa capacité d’action en supprimant, par exemple, le pouvoir de démolition des constructions illégales sauf dans quelques zones protégées très sensibles, dénonce Jean-Louis Rouméguas (EELV). C’est Bercy qui dicte sa loi ! Ils veulent sécuriser les projets économiques, pas l’environnement. Mais le droit dans ce domaine est par sa nature même sujet à débat. »
Non seulement la loi Macron illustre les hésitations du gouvernement, tiraillé entre exigences de l’économie et de la protection de la nature, mais elle ouvre aussi la boîte de Pandore. Certains parlementaires socialistes en profitent ainsi pour demander que le Code minier soit remis sur la table. L’ancienne ministre de l’écologie, Delphine Batho, ne se prive pas de souligner les contradictions du moment. « Cette politique est illisible, assure-t-elle. On ne peut pas d’un côté dire, après les affaires de Sivens, de Notre-Dame-des-Landes ou du Center Parcs de Roybon, qu’il faut davantage de démocratie participative, comme l’a déclaré le président de la République, et vouloir court-circuiter le Parlement ! » Pour la députée socialiste : « Ce ne sont pas quelques aspects techniques que le gouvernement veut gérer par ordonnances, mais les principes mêmes du débat public touchant aux questions environnementales. »
Lors de la Conférence environnementale de novembre 2014, peu après le choc causé par la mort du jeune opposant Rémi Fraisse sur le site de Sivens dans le Tarn, François Hollande avait demandé l’ouverture d’un chantier de réflexion sur les moyens de favoriser une démocratie participative, « la seule manière de garantir, dans la transparence et la responsabilité, aussi bien la préservation de la nature que (…) le développement économique », avait-il solennellement déclaré. Un bon levier aussi pour désamorcer l’émergence de « zones à défendre », les ZAD, et autres mouvements de protestation qui se multiplient sur le territoire. Le président de la République suggérait même l’idée de référendums locaux.
« Sivens a eu l’effet d’une claque »
Le 6 janvier, le Conseil national de la transition écologique (CNTE) – une structure qui réunit plusieurs collèges : syndicats, élus locaux, parlementaires, associations entre autres – était prévenu qu’il allait devoir s’atteler sérieusement à ce dossier. Auparavant, cette instance avait surtout planché – elle aussi – sur la simplification du droit en matière d’environnement. « Voilà des mois qu’il n’était question que de modernisation des procédures, il fallait imaginer comment faire toujours plus simple, toujours plus court, témoigne Florence Denier-Pasquier, vice-présidente de France Nature Environnement (FNE), qui siège au CNTE. Et puis il y a eu Sivens, qui a fait l’effet d’une claque à tout le monde. Chacun ou presque a alors senti qu’il fallait prendre le chantier de la démocratie au sérieux. »
Comment informer les Français de la façon la plus pertinente et comment les associer le mieux possible aux projets qui vont changer leur environnement ? Plusieurs pistes concrètes se dessinent : certains souhaitent relever le niveau d’exigence des études d’impact qui sont aujourd’hui fournies par les porteurs de projet, développer les contre-expertises, redéfinir le concept de compensations lorsqu’une zone humide va être détruite par exemple, ou encore ne plus placer l’autorité environnementale en région sous l’autorité du préfet, mais plutôt sous la responsabilité d’un membre du Conseil général de l’environnement et du développement durable, moins exposé aux influences politiques régionales…
Jury de citoyens
Les référendums locaux, en revanche, ne convainquent guère les associations, qui leur reprochent d’être trop sujets à débat, ne serait-ce que pour en définir le bon périmètre. La Fondation Nicolas Hulot lance pour sa part l’idée d’une sorte de jury composé de citoyens tirés au sort. « Le gouvernement n’a rien à gagner avec cet article 28 qui ne constitue pas le cœur de la loi Macron, analyse Matthieu Orphelin, porte-parole de la fondation. Ce serait un signal trop négatif vis-à-vis de l’opinion et il ne permettra pas aux projets mal engagés au départ d’aller plus vite. »
Ségolène Royal a indiqué qu’elle envisage de glisser quelques-unes des dispositions émanant des réflexions du CNTE dans son projet de loi sur la biodiversité, qui doit aboutir en mars, voire dans un autre texte législatif à l’automne. Or ce n’est là ni le rythme, ni l’esprit de la loi Macron. Quant aux fameuses ordonnances décriées, la ministre de l’écologie se veut, une fois encore, rassurante sur celles qui concernent son portefeuille. Elle a promis qu’elle superviserait leur rédaction et consulterait le CNTE.
L’avocat spécialisé Arnaud Gossement rappelle, lui, en guise de conclusion que le droit à l’environnement est à 90 % lié à des cadres européens. Réformer à coups d’ordonnances n’est pas-être pas la plus subtile façon de tenir compte de cet enjeu-là.
Martine Valo
journaliste Planète