Dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, les sénateurs ont adopté, en commission, un amendement tendant à assurer que les actionnaires d'un éco-organisme déchets soient "représentatifs" des adhérents de ce même éco-organisme.
L'amendement. En commission, M Miquel et plusieurs autres sénateurs ont déposé un amendement n°25 tendant à préciser les règles de gouvernance des éco-organismes déchets, ainsi rédigé :
"ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 19 SEPTIES(NOUVEAU)
Rédiger ainsi cet article :
Après la première phrase du deuxième alinéa du II de l’article L. 541-10 du code de l’environnement, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Quand un éco-organisme est constitué sous forme de société, la majorité du capital social appartient à des producteurs, importateurs et distributeurs auxquels l'obligation susvisée est imposée par les dispositions de la présente section, représentatifs des adhérents à cet éco-organisme pour les produits concernés que ceux-ci mettent sur le marché français. »
Objet
Le modèle français des filières REP (à responsabilité élargie des producteurs) de gestion des déchets, reconnu au niveau mondial, repose sur le fait que la gouvernance des éco-organismes est confiée aux producteurs eux-mêmes. Conformément au principe « pollueur-payeur » qui l’inspire, ce modèle permet ainsi aux acteurs ayant le pouvoir de modifier la conception des produits et d’influer ainsi sur leur réutilisabilité ou leur recyclabilité en fin de vie d’être directement responsabilisés financièrement ou opérationnellement pour la gestion en fin de vie des produits qu’ils mettent sur le marché.
Même si la très grande majorité des éco-organismes respecte ce principe, la rédaction actuelle du code de l’environnement n’est pas suffisante pour garantir ce modèle de gouvernance. Cet amendement permet de préciser le code de l’environnement, en indiquant que les éco-organismes doivent être détenus et donc gouvernés par des metteurs sur le marché représentatifs des produits pour lesquels ils sont mis en place."
Le débat en commission du développement durable du Sénat. La lecture du compte-rendu des débats en commission sur cet amendement n° ne laisse aucun doute quant au fait que cet amendement a pour objet, à court terme, de justifier la décision de l'Etat de ne pas renouveler l'agrément sollicité par l'éco-organisme ERP :
"M. Louis Nègre, rapporteur. - L'amendement n° 26 procède à un nettoyage de dispositions obsolètes du code de l'environnement, sur la définition de sous-produit et sur la caractérisation des déchets, pour laquelle nous avions eu la tentation de sur-transposer les directives en vigueur. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 26.
M. Louis Nègre, rapporteur. - L'amendement n° 25 dispose que les éco-organismes sont composés par les producteurs des produits visés par la filière. Cela fait suite au non réagrément de l'éco-organisme ERP dans la filière des déchets d'équipements électriques et électroniques, contrôlé majoritairement par un opérateur allemand de gestion des déchets. L'amendement légitime a posteriori la décision. Sagesse.
M. Gérard Miquel. - ERP contrôle 8 % du marché des déchets d'équipements électriques et électroniques (D3E), avec deux villes, dont Lyon ; l'industriel allemand a consacré 20 millions d'euros à le racheter. Imaginez qu'il veuille maintenant faire main basse sur Eco-emballage ! Nous voulons garder des éco-organismes gérés avec des producteurs qui cotisent et sous contrôle de l'État. Les collectivités perdraient beaucoup à une privatisation. Le non-renouvellement de l'agrément est actuellement fragile ; avec cet amendement...
M. Louis Nègre, rapporteur. - J'avais bien compris... Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 25."
Le texte adopté. L'article 19 nonies du projet de loi, tel qu'adopté en Commission au Sénat précise :
"Après la première phrase du deuxième alinéa du II de l'article L. 541-10 du code de l'environnement, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Quand un éco-organisme est constitué sous forme de société, la majorité du capital social appartient à des producteurs, importateurs et distributeurs auxquels l'obligation susvisée est imposée par les dispositions de la présente section, représentatifs des adhérents à cet éco-organisme pour les produits concernés que ceux-ci mettent sur le marché français. »"
Aux termes de cet article, la majorité du capital d'un éco-organisme constitué sous forme de société, doit appartenir à des "producteurs, importateurs et distributeurs" qui soient "représentatifs" des adhérents.
En premier lieu, la rédaction de cet article est assez complexe. Il suscite de nombreuses questions et annonce des conflits d'interprétation, dont les suivants.
- Il semble tout d'abord que le capital d'un éco-organisme constitué sous forme de société doit appartenir à plusieurs actionnaires mais cela devrait être précisé. On peut s'interroger sur la légalité d'une mesure qui reviendrait à encadrer autant l'actionnariat d'une société commerciale de droit privé.
- ce capital doit appartenir à des actionnaires "représentatifs" des adhérents de l'éco-organisme. Que signifie cette obligation de représentativité ? Le pouvoir réglementaire va-t-il fixer les critères de représentativité des adhérents par les actionnaires ? Par ailleurs, les conditions du contrôle continu de l'actionnariat d'un éco-organisme par l'administration seront sans doute assez délicates.
En deuxième lieu, il est regrettable que la question de la forme juridique et de la gouvernance des éco-organismes soit si rapidement traitée à l'occasion d'un amendement dont le but premier est de répondre à une situation particulière, celle de la décision de non renouvellement de l'agrément de l'éco-organisme ERP. Décision qui fait actuellement l'objet d'un recours, au fond et en référé, devant la juridiction administrative.
Il est notamment nécessaire que le législateur précise quelle devrait être la forme juridique d'un éco-organisme déchets. Il est paradoxal d'imposer à des éco-organismes l'obligation d'être "à but non lucratif" alors qu'ils peuvent être constitués sous la forme de sociétés commerciales. Mon cabinet ayant déjà été chargé d'une mission d'aide à la création d'un éco-organisme, la forme juridique de l'association semble répondre davantage à cette obligation de non lucrativité. Par ailleurs, l'association permet également de répondre à la préoccupation de l'Etat d'un contrôle des dirigeants par les adhérents mais aussi par l'administration elle-même.
De manière générale, cet article démontre l'importance pour l'Etat de préciser sa doctrine sur l'évolution des filières REP. L'ajout régulier de nouvelles mesures et dispositions contribuent à une perte de lisibilité de l'ensemble de ce cadre juridique.
Arnaud Gossement
Selarl Gossement avocats