L’appropriation (ou l’absence d’appropriation) des nouvelles technologies liées au web, au digital, à l’internet des objets par l’industrie pharmaceutique fait l’objet de critiques depuis de longues années, dans le microcosme lié à la e-santé. Souvent et à juste titre, la « frilosité » des labos vis-à-vis des opportunités proposées par le digital en a étonné plus d’un parmi nous, tant l’apport de ces technologies nous paraissait bénéfique pour l’ensemble des acteurs concernés (pour l’industrie naturellement mais également pour les patients, médecins, instances, assurances et mutuelles, sécurité sociale…).
Bien sûr, il est difficile de juger l’ensemble de l’industrie, tant des différences de stratégies ou de réalisations pérennes coexistent parmi les laboratoires pharmaceutiques. En effet, là où les plus « prudents » se limitent à convertir au digital leurs pratiques et documentations existantes concernant la promotion « produit ». D’autres, les plus novateurs se différencient, et certaines de ces brillantes réalisations ont déjà fait l’objet d’articles sur mon blog ou ceux de mes excellents confrères traitant de la e-santé. Ils se reconnaitront ;-).
De fait, il faut bien reconnaître une certaine inertie dans la prise de décisions au sein des big pharma, compte tenu de leur taille, les faisant ressembler parfois à des mastodontes avec la manœuvrabilité d’un cargo…Arrêtons-là, la critique des labos, car pour le coup, ce n’est pas l’objectif de ce billet…au contraire.
Ce présent billet a pour but de mettre la lumière sur les évolutions de stratégie qui se mettent en place ou annoncés en tout cas, au sein de certains laboratoires.
En effet, des industriels comme Novartis, Abbvie (pour ne citer qu’eux) investissent dans des stratégies de services, avec une appétence pour les nouvelles technologies que représentent notamment les applications mobiles et surtout les objets connectés. Mais la mise à disposition de nouveaux outils liés aux nouvelles technologies n’est pas la seule voie prise par certains labos. De fait, il convient de voir également dans les partenariats annoncés dernièrement, une volonté de mettre en place des instances ou des entreprises capables de faire évoluer la recherche ou de faire émerger plus rapidement des projets santé encore en phase de réflexion.
Illustration directe avec l’exemple de Sanofi qui se trouve parmi les grandes entreprises collaborant au projet de l’incubateur e-santé Boucicaut à Paris. Suivie de sa participation au Village by Le Crédit Agricole, à Paris, en octobre dernier. Un espace d’innovation où se croisent des banques, des industriels et surtout des start-ups de tous horizons. Un laboratoire qui adapte également son organisation interne avec la mise en place de postes tels que celui de Responsable innovation, en charge de rechercher toute idée ou nouveaux acteurs proposant une innovation dans le domaine de la e-santé.
Ces quelques exemples, et les diverses annonces de ces derniers temps démontrent sinon, un changement de paradigme, au moins une appropriation des nouvelles technologies pour l’élaboration d’une stratégie digitale sur le long terme, voir une évolution du modèle économique « historique » pour l’industrie pharmaceutique.
De simple fabricant de médicaments, on glisse vers un positionnement de « distributeur de services » dans l’accompagnement du quotidien des patients et dans la pratique des professionnels de santé.
Pour s’en convaincre, je vous propose un tour d’horizon sur les évolutions annoncées ou à venir des laboratoires pharmaceutiques pionniers à s’engager sur cette nouvelle voie :
Novartis et Qualcomm
Annonce le 12 janvier dernier du partenariat entre Novartis et le groupe technologique californien Qualcomm pour créer un fonds dédié à l’e-santé. Un fonds destiné à aider les jeunes entreprises dédiées aux technologies mobiles et numériques pour le domaine de la santé. C’est plus de 84 millions d’euros qui seront injectés pour ce partenariat
Merck propose le médicament connecté
Utilisé pour deux de ses traitements injectables dans le déficit en hormone de croissance et dans la sclérose en plaques. Courant décembre 2014, Merck propose deux de ses médicaments avec un dispositif d’injection connecté à une plate-forme web sécurisée pour les patients et leurs médecins, permettant de collecter et analyser les informations récoltées (fréquence de l’injection, ses paramètres…). L’un des avantages mis en avant au sujet de cette solution est de pouvoir notamment mesurer l’observance du patient.
Mercurochrome lance ses objets connectés
En novembre 2014, Mercurochrome lance deux objets : le Coach Forme et Sommeil et le Coach Stress. Découverte. Le premier pour permettre de prendre soin de sa santé au jour le jour et de se fixer soi-même des objectifs de long terme, le second est un capteur qui se place sur le lobe de l’oreille pour mesurer la variabilité du rythme cardiaque, à savoir la capacité du cœur à s’adapter aux différents changements qui affectent le corps (changement de posture, émotions). Le tout permet d’identifier les périodes de stress.
Abbvie et Calico
En septembre 2014, le laboratoire Abbvie annonçait un partenariat avec la filiale santé de Google, Calico. Selon les termes utilisés l’année dernière, un partenariat pour « découvrir, développer et mettre sur le marché de nouvelles thérapies pour des patients ayant des maladies liées à l’âge, incluant la neurodégénérescence et le cancer ». Un investissement commun et initial de 250 millions de dollars pour chacun des 2 acteurs, utilisé dans un premier temps pour la création d’un centre de recherche basé à San Francisco.
Abbott et son patch connecté pour la mesure de la glycémie : Freestyle libre.
Au cours du 2e semestre 2014, le laboratoire Abbott propose un dispositif pour mesurer de la glycémie avec un système flash d’auto-surveillance du glucose Freestyle libre. Le patient n’a plus besoin de se piquer pour connaitre sa glycémie. Il s’agit d’un patch connecté que l’on place au niveau du bras et qui mesure instantanément la glycémie. Pour en savoir plus : https://www.freestylelibre.fr/
Boehringer et Propeller
Egalement au cours des derniers mois de 2014, Boehringer Ingelheim collabore avec la société Propeller Santé autour d’une plate-forme mobile et de capteurs fixés à l’arrière d’inhalateurs, pour améliorer le suivi des prises de doses dans le traitement de pathologies telles que l’asthme et les BPCO.
Novartis et Google
En juillet 2014, Novartis, via Alcon, sa filiale dédiée à l’ophtalmologie, a conclu un accord de licence avec Google pour utiliser sa technologie des lentilles intelligentes à des fins médicales. L’objectif annoncé est d’associer les avancées technologiques du géant américain, dans la miniaturisation de l’électronique à l’expertise du laboratoire suisse, concernant la pharmacie et les appareils médicaux. Ce type de collaboration pourra démontrer tout son potentiel pour les populations atteintes de diabète et de presbytie, car pour les diabétiques, ce type de lentilles pourra mesurer en continu les niveaux de glucose et analyser notamment le niveau de fluide lacrymal dans l’œil.
LNC et son offre d’accompagnement digital et connecté
Fin 2013, Les Laboratoires Nutrition & Cardiométabolisme, spécialisés dans le prise en charge du diabète et de l’obésité, proposent une aide complète dans l’accompagnement des patients opérés d’une chirurgie bariatrique et de leurs proches. Offre comprenant des produits de nutrition médicale et des outils d’accompagnement (applications pour smartphones et tablettes, Web-communauté de patients, modules d’e-éducation thérapeutique, serious game, cuillère connectée). Le jeu éducatif, pour informer et accompagner les patients bariatriques et leurs proches : Bariagame. L’usage la « fourchette /cuillère connectée » afin d’aider à limiter la vitesse à laquelle on mange, un impératif pour des patients concernés par un suivi pré/post-opératoire de chirurgie bariatrique.
Sanofi et le programme Diabeo
Pour clôturer cette liste (non exhaustive et mouvante, par nature), il convient de ne pas oublier le projet qui fut sans doute le pionnier du genre, dédié à une pathologie chronique : le diabète. C’est Sanofi avec Diabéo, une coopération avec le CERITD et Voluntis. Petit rappel sur le sujet en relisant mon article sur le sujet .
Cliquer pour visualiser le diaporama.
A la lecture de ces exemples, on pourrait aisément rétorquer que ceux-ci ne sont pas si nombreux et que cela conforte l’idée que « la pharma » tarde à faire évoluer son modèle.
Mais à mon sens, le simple fait de communiquer de plus en plus sur ces nouveaux services basés sur l’intégration des nouvelles technologies liées au digital, et de moins en moins sur les avancées thérapeutiques intrinsèques aux molécules mises sur le marché, et déjà en soi, un élément de réponse sur le changement de paradigme qu’est en train d’opérer l’industrie pharmaceutique.
Et vous ? Qu’en pensez-vous ?