Pour commencer par le plus « choquant », attardons-nous un instant sur les commentaires de Greg Baxter, responsable de la stratégie « digitale » de Citi, recueillis lors d'un symposium interne sur l'argent numérique. Se gaussant des volumes d'échanges et soulignant la chute du cours du Bitcoin en 2014, il est prompt à affirmer que la crypto-devise n'a aucun avenir, d'autant plus que, selon lui, les « mineurs » qui permettent au système d'opérer n'auront bientôt plus d'incitation économique à le faire.
Malheureusement, la dernière partie de son raisonnement est fausse (le protocole mis en œuvre garantit que le minage peut rester mécaniquement profitable) et, si elle pouvait être admissible de la part d'un banquier, la méconnaissance du sujet qu'expose cette erreur est impardonnable de la part d'un patron du « digital ». Quant aux secousses que connaît le marché du Bitcoin, quoi de plus normal au vu de sa jeunesse et de sa taille actuelle ? Est-ce une raison suffisante pour rejeter tout son potentiel ?
En réalité, cette attitude démontre avant tout le manque total de vision des acteurs historiques. Dans le cas de Greg Baxter, cet aveuglement ressort nettement quand il déclare que les systèmes de paiement actuels sont déjà très peu coûteux, suggérant de fait qu'une solution alternative n'a aucune chance de survivre. Non seulement il ne réalise pas que ce qui paraît bon marché à la banque ne l'est certainement pas pour ses clients mais il néglige également tous les autres points forts du Bitcoin.
Au moins, l'association des banquiers britanniques (en collaboration avec le conseil des paiements) a une perception plus éclairée de la question lorsqu'elle répond [PDF] à une consultation du gouvernement britannique. Malheureusement, sa position n'est pas très éloignée puisqu'elle considère que les mécanismes en place (surtout le système « Faster Payments ») sont tout aussi performants, en termes de coûts et de rapidité de traitement des transactions (ainsi que de non répudiation).
En revanche, elle explicite avec force détails les risques encourus à laisser se développer une devise « digitale », si elle n'est pas soumise aux mêmes réglementations et contrôles que les monnaies fiduciaires. Et de conclure que le gouvernement doit imposer des conditions extrêmement strictes aux opérateurs de Bitcoin mais qu'il devrait rester bienveillant à l'égard de la « blockchain » qui constitue le fondement technique de la crypto-monnaie. En filigrane, le document reflète une volonté manifeste de s'approprier les bonnes idées mais de tuer dans l'œuf toute concurrence possible.
Enfin, il existe une catégorie d'institutions financières qui comprennent les enjeux et n'hésitent pas à s'engager concrètement pour ne pas rester à la traîne dans la révolution numérique en cours. Parmi elles, figurent (sans surprise, finalement) l'américaine USAA et l'espagnole BBVA qui, aux côtés de l'opérateur de marché NYSE et de plusieurs fonds de capital risque, participent à un tour d'investissement record de 75 millions de dollars dans la jeune pousse Coinbase. Une première pour des banques !
Il n'est pas question ici d'expérimenter avec la « blokchain » et sa technologie de grand livre comptable distribué, l'objectif est bel et bien de contribuer au développement de la crypto-devise Bitcoin, à travers les différents produits de la startup, porte-monnaie virtuel pour les consommateurs, solution de paiement pour les commerçants, outils pour les développeurs… L'ouverture d'une plate-forme réglementée de change aux États-Unis est une confirmation supplémentaire, s'il était nécessaire, du positionnement de Coinbase.
Incantation et protectionnisme ne sont certainement pas les meilleurs moyens pour les banques d'appréhender l'innovation dont, pourtant, elles se réclament toutes. A minima, elles seraient avisées d'étudier en détail les idées émergentes. Mais non, la plupart d'entre elles continuent de penser que leur supériorité est absolue et éternelle. Pour elles, le Bitcoin est un gadget en comparaison de leurs « vraies » solutions (de celles qui visent une échéance à 10 ans pour déployer un système de paiement « plus rapide »).
Or, comme on l'a vu dans d'autres secteurs économiques, le dédain vis-à-vis des nouveautés disruptives est le plus sûr chemin vers la déroute…