C’était vendredi 16 janvier. Un matin. Dans le hall d’un hôtel. Je ne suis pas très bien réveillée. Lui non plus. Il a eu un grosse soirée, la veille. Il arrive à la fin de sa promo française, une promo particulière qui se déroule dans une ambiance générale étrange, rapport aux tragiques événements qui se sont déroulés à Paris. On ne parlera pas de ça avec Asaf Avidan. On veut parler de cet album « Gold Shadow ». Il est dix heures du matin, une heure propice à une plongée dans les pensées sombres du songwriter au coeur brisé.
Comment vas-tu après la sortie de ton album ?
Je crois que ça va. Je n’aime pas dire, automatiquement, « je vais bien ». Disons qu’il y a des bonnes choses et des mauvaises choses…
Des mauvaises choses ?
Je suis un peu malade et c’était une semaine un peu dépressive à cause des événements qui se sont passés à Paris (les attentats à Charlie Hebdo, Montrouge et Vincennes), je faisais la promotion avec mon nouveau groupe et maintenant qu’ils sont partis je suis tout seul à Paris… Mais je dois continuer et je trouve le temps un peu long ! Et puis… il y a cette étrange sensation de syndrome post-natal ? C’est comme ça qu’on dit ? Tu sais, quand une mère donne naissance à un bébé, elle traverse toujours une espèce de…dépression ? Je ne veux pas aller aussi loin, mais disons que la sortie d’un album c’est complètement anti-climax… On le prépare depuis si longtemps et… il sort juste comme ça et on doit continuer… Je sais comment ça fonctionne, je l’ai déjà fait avant mais je n’arrive toujours pas à passer au-dessus, c’est comme fêter une petite mort… Les gens boivent du champagne, lancent des confettis…c’est bizarre (rires).
Mais il y a des bonnes choses aussi ?
Oh oui, il y en a des millions ! Mais, tu m’as demandé mes mauvaises ! (rires). Mis à part le fait que je sois un peu malade, je suis globalement heureux ! Je fais quelque chose que j’aime, je vis pour ça et j’en suis tellement reconnaissant. Je suis si fier de cet album et que les gens l’aient si bien accueillis. Mais je suis surtout fier d’avoir pu finir cet album parce que c’était compliqué.
Pourquoi ?
Parce que, je ne savais pas quoi faire avec cet album. Je suis passé par un processus hyper compliqué…Mais surtout parce que c’était un album de rupture amoureuse… ma rupture amoureuse. J’ai commencé à écrire cet album au mois de janvier, l’année dernière. Les chansons étaient un condensé de sentiments, un orage intérieur causé par la distance, les fantômes du passé aussi… (silence) J’ai été en couple pendant sept ans avec une fille et je n’arrêtais pas de me dire que non, ces chansons n’étaient pas à propos de nous mais parlaient de mon passé ou d’autres personnes. C’était un album sur la rupture en général et c’est juste au moment de mixer l’album, au mois d’août, quand il fallait que je les classe dans un ordre, quand j’ai relu les paroles, c’est comme si elles n’étaient pas de moi… je me suis rendu compte que c’était une voix à l’intérieur de moi qui pleurait et que je ne voulais pas écouter. Oui, c’était nous. Je devais me rendre à l’évidence. J’avais perdu…mon amour, mon couple et je ne peux pas blâmer l’album mais cette année n’a pas été simple…
le point le plus important dans le processus artistique c’est l’honnêteté.
Tu disais que tu ne savais pas quoi faire de ces chansons en rentrant en studio…
Oui.. avec « Different Pulses », je savais exactement quoi faire. C’était mon premier album solo, c’était le premier album sans les Mojos… The Mojos était un groupe très défini. On était un groupe folk-blues-rock. Quand j’ai commencé à travailler tout seul, je savais que je ne voulais plus faire ça, je voulais me trouver en tant qu’artiste avec le son qui me définissait le plus. La production était hyper important pour moi. Quand je faisais les démos chez moi, j’avais une idée bien précise de ce que devait rendre la batterie, les voix, les synthés… etc… avec « Gold Shadow », je ne savais pas. Mais je ne voulais pas non plus rentrer en studio avec une idée prédéfinie. J’ai commencé par dire : « je m’en fous de la façon dont il sera produit ». Et puis je m’en foutais qu’une chanson soit jazz, une autre reggae, une autre pop 50’s. Je n’avais pas le sentiment que je devais les lisser pour qu’elle colle les unes avec les autres. Elles étaient déjà liées entre elles par le thème commun. Je voulais juste écrire un paquet de belles chansons, que les paroles et les musiques soient les clefs de cet album… Je ne sais pas si tu remarques, mais je force moins sur la voix, il y a moins d’énergie… (silence) Bref, je n’avais pas de plans prédéfinis et je crois que ce n’est la manière la plus intelligente de procéder avant de rentrer en studio, parce que quand tu as fini d’enregistrer un morceau tu dois savoir s’il se rapproche de ce que tu veux avoir ou pas… Là, je me suis juste fait confiance. Mais cette façon de travailler était épuisante et déprimante. Avancer sans savoir où on va, ce n’est pas la meilleure option.
Ton album est un album de rupture donc, c’est plus facile à écrire ?
C’est un moyen de disséquer quelque chose que tu as en toi. Ecrire des chansons de rupture est une bonne chose d’un point de vue psychologique et philosophique. Tu t’exprimes sur des gros sujets, comme l’amour ou la mort mais c’est la même chose, c’est personnel, c’est ton interprétation des choses. Pour moi, le point le plus important dans le processus artistique c’est l’honnêteté. Une personne vraiment honnête, celui qui fait face à la réalité de son existence, aura toujours quelque chose de triste… Rien que le fait d’être sur terre pour un jour mourir, c’est nul. Ca craint! (rires). Je ne parle même pas des coeurs brisés, de la maladie, des moments difficiles de la vie… Je suis une personne heureuse, je crois avoir de la joie en moi mais je ne suis pas une personne drôle ou qui répand de la joie. Je vis de très bons moments et j’en suis ravi mais en dessous de ça, il y a une rivière de tristesse. Je pense que ce n’est pas facile de vivre ici, comprendre pourquoi nous sommes ici.. c’est sans doute pour ça que certaines personnes choisissent des réponses « faciles » dans les croyances diverses ou la religion. Ils y croient tellement fort, ils pensent que c’est la raison de pourquoi ils sont ici, c’est peut-être aussi pour ça qu’ils n’ont pas peur de tuer, ou de se tuer eux-même. C’est beau et pathétique en même temps mais oui, je pense qu’il y a un mécanisme dans la façon de créer l’art qui se nourrit de la tristesse. Mais il y a de la beauté… (silence) Pour moi, d’habitude, une chanson pop est une chanson heureuse, et une chanson « artistique » sera plus dépressive… Une chanson pop est là pour te divertir, pour te faire échapper de ta journée, de ta réalité, elles sont funs. Et c’est cool, mais il n’y a pas d’honnêteté dedans. Tu vois, quand tu écoutes une chanson de Leonard Cohen, c’est vraiment dépressif, mais il met tellement d’intensité dans ses chansons que tu te sens presque légitime d’être déprimé en l’écoutant. C’est assez fascinant, en fait…
Tu sembles, une fois encore, explorer différents univers sonores, c’est important pour toi de ne pas rester enfermer dans un seul style ?
Ce n’est pas que c’est important d’essayer différent style, mais ce n’est pas non plus important de rester coller à un genre de musique. Je ne pense pas avoir besoin de me définir ou de me coller dans une catégorie. Je ne vois pas le monde de cette façon… c’est peut-être du au fait que j’ai grandi dans plusieurs pays différents, je ne vois pas de limites, de frontière, en musique c’est pareil… C’est comme si on demandait à un peintre de ne peindre qu’un seul type de toile. Dans cet album c’est encore plus vrai, je voulais qu’il y ait vraiment différentes couleurs mais quand on les regarde toute ensemble, il y a une vraie image.
Certaines chansons sonnent comme des titres de « Bob Dylan »
C’est clairement une influence… comme sur « Hair Traveller ». Elle est vraiment « Dylanesque ». Je crois que j’ai de moins en moins envie de cacher mes influences et ça me va. Je pense que j’ai gagné un peu plus de confiance en moi, en tant qu’artiste pour m’autoriser à ne pas cacher et couvrir mes influences dans mes chansons. Et en fait, peu m’importe, aujourd’hui, qu’une chanson sonne comme Bob Dylan, Leonard Cohen ou Bob Marley… Je pense qu’on vole tous un peu… Bob Dylan a tout piqué à Woodie Guthrie, puis Leadbelly ou Robert Johnson, puis Chuck Berry quand il s’est plus dirigé vers le rock-blues. On a tous nos propres pères et mères en musique. Et c’est cool. Dans « Different Pulses », il y a cette chanson « Great Conspiration of Gomorra » qui était écrite comme une chanson de Leonard Cohen, au début avec une guitare flamenco etc… Et quand je suis arrivé en studio je me suis dit : « oh non ça sonne beaucoup trop comme Cohen, il faut tout camoufler et on a changé toute la production, on a ajouté de la batterie électronique, on a mis des claviers… cette fois, je dis juste « Fuck it, oui je suis influencé par Léonard Cohen, j’aime Léonard Cohen »… Je pense que c’est une bonne chose !
Est-ce qu’il y a quelque chose que tu détestes entendre dire sur toi ?
Oh… Ce n’est pas que je déteste mais ça me fait mal quand on parle de ma musique et que dans 89% des cas, c’est pour parler de ma voix. J’aimerais que les gens écoutent les chansons pas ma voix parce que j’essaie de présenter les chansons comme des petites parties de moi, c’est une manière de m’exprimer, de montrer qui je suis, même si ce n’est pas la seule façon de m’exprimer. Et je trouve ça triste qu’à cause des qualités irritables de ma voix, les gens ne font pas assez attention à la musique ou à mes textes…
Tu commences à avoir une longue carrière, est-ce que tu as des regrets, quand tu regardes en arrière ?
(silences). Non, enfin, je ne sais pas… je me dis qu’il y a des millions de choses que j’aurais dû faire de manière différente…
Comme quoi ?
(rires). Je sais pas… Je me tortures beaucoup avec ça… Des choix que j’aurais dû faire pour ma carrière, pendant les tournées par exemple… Après c’est facile de se dire, rétrospectivement, j’aurais dû faire ça ou ça… mieux traiter mes petites amies, les écouter plus… Il y a des choses avec ma famille que j’aurais pu faire différents, avec mon chien aussi ! (rires). Quand tu deviens vieux, tu sais que tu fais de plus en plus d’erreurs et que tu devras vivre avec. Mais je regardes pas ça comme des regrets, je ne voudrais pas changer ses moments, je prends les responsabilités, elles ont fait ce que je suis aujourd’hui et si je les change, je ne serai pas moi aujourd’hui. Je me dis juste qu’il faut tirer des leçons des erreurs d’hier pour ne pas les refaire demain.
une fois qu’on a sorti une chanson, elle ne nous appartient plus vraiment…
Comme ne plus accepter un remix ?
Oh, j’accepterais, mais tristement (rires). Ce que j’ai appris de cette expérience-là, c’est que tu peux être un puriste et que le plus important est de garder ton intégrité, l’important c’est que tu saches la musique que tu fais, que tes fans reconnaissent ta musique, l’écoutent et se retrouvent dedans. Aussi longtemps qu’ils viendront à mes concerts, ils écouteront des remixes de moi-mêmes car je revisite les chansons à chaque concert. J’ai compris ça et j’ai compris que je ne pouvais pas interdire les gens de toucher à mes chansons non plus. Je pense qu’une fois qu’on a sorti une chanson, elle ne nous appartient plus vraiment… même si oui, il reste les questions de copyrights etc… La chanson appartient à la communauté, au public. J’ai compris ça, mais voir « Reckoning Song » partir c’était dur, parce que ce n’était pas qu’une chanson, c’était comme un journal intime. Aujourd’hui, je me dis que c’est juste une interprétation différente. Une autre vision… une phrase répétée pendant, je sais pas… une heure et demi ! (rires). Pour moi, « One Day » n’est pas ma chanson, c’est « Reckoning Song »… Mon label m’a demandé s’il pouvait proposer des titres pour en faire des remixes. Peu m’importe aujourd’hui du moment que mes albums sortent !
Est-ce qu’il y a une question que je ne t’ai pas posée et que tu aimerais que je te pose ?
Oh, il y a des millions de questions que tu ne m’as pas posées… Comme… est-ce que j’aime les framboises ? Oui ! Pourquoi j’aime tellement le beurre de cacahuètes ? Parce que c’est doux et salé en même temps ! Il y a tellement d’autres questions mais, je crois qu’on malheureusement pas le temps pour pouvoir toutes les aborder ! (rires)
C’est vrai, alors je te laisse juste le temps pour me dire un dernier mot…
Merci ! Je sais que ça sonne comme une réponse automatique mais c’est très sincère. Pour toutes les choses qu’on s’est dites, pour cette mini-exploration dans mon subconscient ! Je ne tiens pas pour acquis le fait que les gens puissent être intéressés par ma musique et tu avais l’air plus qu’intéressée. Et, c’est un gros cadeau. Merci. Et je remercie également toutes les personnes qui s’intéressent à ma musique.
En concert le 18 mars au Zénith de Paris
Propos recueillis par Sabine Swann Bouchoul (pour Metronews).