Un roman court qui a des allures de conte, dont l’auteur jamais ne nous précise la période ou le lieu de son histoire. On ne sait presque rien de ce village de pêcheurs d’un Japon millénaire, pauvre, tellement pauvre que lorsque les ressources s’épuisent, les hommes vont louer la force de leurs bras, loin, avec l’espoir de revenir un peu moins pauvres.
« Des bateaux passaient de temps en temps dans la journée. Généralement quand la mer était calme, mais aussi quand elle était agitée. Ils disparaissaient alors très vite, leurs voiles à mi-hauteur, ballottés par la houle qui les faisait tanguer dangereusement. Isaku les regardait en compagnie des autres villageois. »
Isaku est seul depuis que son père est parti, il doit faire vivre sa famille, ses capacités de pêcheur sont encore bien faibles et, malgré tous ses efforts, le riz vient à manquer.
Il est temps pour Isaku d’être initié, d'être initié au secret inavouable partagé par tout le village : le pillage des bateaux, tous sont des naufrageurs, allumant des feux trompeurs sur la plage pour faire échouer les navires.
Ensuite c’est la noria vers l’épave pour récupérer le riz, des objets utiles pour chacun ou pouvant être vendus. Mais il peut arriver que le bateau n’apporte pas l’abondance espérée et fasse le don mortel de la maladie.
« C’est un crime passible des châtiments les plus extrêmes. Sans ces naufrages, le village aurait disparu depuis longtemps, laissant place à une côte inhospitalière semée de rochers. Les naufrages avaient permis à leurs ancêtres de survivre sur cette terre, et les villageois se devaient de perpétuer la tradition. Ils croyaient que l’âme des défunts partait loin dans la mer, et qu’après un certain temps, comme elle n’avait aucun autre endroit où aller, elle revenait s’installer dans le ventre d’une femme enceinte. »
« Les villageois marchaient de long en large sur la plage, les yeux fixés sur la mer. Il faisait de plus en plus froid, et les hommes venaient tour à tour rajouter du bois sous les deux chaudrons. Puis, sur un geste du chef du village, on apporta des bûches supplémentaires pour faire un nouveau feu autour duquel les villageois se rassemblèrent. »
J’ai vraiment aimé ce roman sombre, le narrateur nous montre le village, la faim qui tenaille, le froid, l’angoisse que ceux qui sont partis ne reviennent jamais. Isaku est un être simple mais sa vie est marquée par la peur, l’espoir de subvenir aux besoins de sa famille mais rêve aussi de connaitre l’amour.
J’ai aimé ce tableau d’une communauté incapable d’aider les siens sauf en provocant le malheur.
Un récit âpre qui suit les rythme des saisons sans jamais que nous n’y trouvions de consolation, rythmé aussi par les naissances, les mariages, les morts. Tout le quotidien est exploré sans jamais être pesant.
Il y a un côté impermanent dans ce récit, comme les villageois on attend un mieux qui ne vient jamais.
Un récit que j’ai aimé malgré son côté très sombre, pas de révolte chez ces pêcheurs, une angoisse qui pèse sur leur vie, un fatalisme qui fait accepter les privations, les douleurs. Quand tuer est la seule façon de survivre ....
Le Livre : Naufrages - Akira Yoshimura - Traduit par Rose Marie Makino-Fayolle - Editions Actes Sud numérique