Dans sa chambre mansardée,
Rose s'était étendue sur la banquette,
Les jambes allongées,
Les bras sous la tête.
Soudain deux mains libertines
Lui saisirent la poitrine.
Elle se redressa.
C'était Nicolas,
Le valet de maître Lambert.(*)
Nicolas et Rose se fréquentaient
Depuis le début de l'hiver.
Nicolas tenta de l'embrasser
Mais elle l'a repoussé.
De nouveau il s'approcha
Et chercha à la caresser.
Elle le frappa
Et confuse en apparence,
Le questionna :
-" T'as mal, Nicolas? "
-" Y a pas d'offense !
Ce n'est rien.
...Cré coquin, Rose, viens ! "
Il portait à Rose une réelle affection,
Un commencement d'amour vrai.
Il la regardait avec admiration.
Puis il lui prit la taille comme ferait
Un promis après un bon repas :
(*) En Normandie, on appelle maître, un fermier propriétaire-" C'est pas bien, Nicolas
De me mépriser comme ça. "
-" Je ne te méprise pas.
Je suis amoureux, voilà tout. "
-" Alors, tu me veux en mariage ? "
Dit-elle d'un coup.
Il hésita, regarda son corsage.
Des gouttes de sueur perlaient
Sur sa large poitrine à peine dissimulée
Sous l'indienne de son caraco
Nicolas se sentit aussitôt
Repris d'envie.
Collé à son oreille, il lui dit :
-" Oui, j' veux ben être ton époux. "
Elle lui jeta ses bras au cou
Et les deux amants
S'étreignirent longuement.
L'éternelle histoire d'amour
Commença de ce jour.
Ils se lutinaient,
Se donnaient,
Et, ce que les filles redoutent
En pareil cas
Arriva.
Rose devint grosse, sans aucun doute.
Alors un soir, elle pénétra
Dans la chambre de Nicolas :
-" Je veux que tu me marries
Puisque tu me l'as promis. "
Il répondit avec fatuité :
-" Eh bien ! si on épousait
Toutes les filles avec qui on a fauté !... "
Alors la gaillarde l'a renversé,
Lui serra le cou et hurla :
-" Je suis grosse,
Entends-tu ? Je suis grosse. "
Nicolas
A balbutié :
-" Bon. Je vais t'épouser. "
Mais dans la nuit,
Il s'est enfui.
Les mois passèrent.
L'enfant est né.
Rose le porta chez sa mère.
Puis elle se mit si dur à travailler
Que Lambert ne put se passer d'elle.
Il lui confia la direction du personnel.
La métairie a vite prospéré.
On en parlait à cinq lieues à la ronde.
Lambert lui-même racontait
À qui mieux-mieux :
-" Cette fille-là, ça vaut mieux
Que toutes les fortunes du monde ! "
Un jour, il lui dit:
-" Assieds-toi ici. "
Mal à l'aise, Il s'approcha d'elle :
-" Tu es une fille active, économe, belle.
Vois-tu, une ferme sans maîtresse,
Ça fait pas florès,
Même avec une servante. "
Rose était toute tremblante.
-" Hé bien ! ça te va-t-il ? Cause ! "
-" Quoi not' maître ? " Demanda Rose.
-" Mais de m'épouser, pardine ! "
-" Je n' peux pas. "
Avoua t'elle, chagrine.
Vers minuit,
Deux mains palpèrent son lit.
Rose sursauta de frayeur
Mais reconnut la voix du métayer.
-" C'est moi, je viens te causer.
N'aies pas peur. "
Le fermier, un peu maladroit,
Se glissa sous les draps.
Puis grisé par un désir bestial,
Devint assez brutal.
Il avait même des gestes obscènes.
Rose chercha à éviter les caresses.
Mais avec ivresse,
La bouche du fermier poursuivait la sienne.
Puis d'un mouvement brusque, il la découvrit.
Alors elle sentit
Qu'elle ne pouvait plus changer son destin.
Elle cacha sa figure dans ses mains
Et cessa de résister.
Toute la nuit,
Lambert est resté
Dans son lit
Et il y revint les soirs suivants.
Il lui dit un matin :
-" J'ai fait publier les bans.
Nous nous marierons le mois prochain. "
Elle ne répondit pas.
Il l'épousa.
Mais Rose pensait sans cesse à son petit.
Bientôt l'humeur de Lambert s'assombrit.
Un jour, il se mit à crier en jurant :
-" J'ai pas d'éfants,
Nom de Dieu !
Quand on prend une femme, vingt dieux,
C'est point pour rester seuls, mâtin,
Tous les deux seuls jusqu'à la fin.
Quand une vache n'a point d' viaux,
C'est que c'te bestiau
Ne vaut rin.
Quand une femme n'a pas d' gamin
C'est tout comme. " -" C'est pas ma faute !
C'est pas d' ma faute !
Avec Nicolas, j'en ai eu un, d'éfant.
Il est en nourrice chez maman. "
Alors le fermier s'est exclamé :
-" Eh ben, allons l' chercher ! "