L’envolée du franc suisse constitue une nouvelle réplique du séisme "emprunts toxiques" : mais cette fois, la secousse risque d’être colossale pour un grand nombre de collectivités locales. Ce 15 janvier, la Banque nationale Suisse (BNS) a décidé de mettre fin sur le champ au taux plancher de 1 € pour 1,20 franc suisse, qui arrimait la monnaie helvétique à la zone euro depuis septembre 2011. Or, de nombreux emprunts structurés, dont la toxicité était jusque là "dormante", étaient basés sur l’évolution du franc suisse : sa hausse va faire bondir les taux d’intérêts
L e fonds de soutien aux collectivités locales ayant souscrit des emprunts toxiques vient tout juste d’entrer en fonctionnement – son guichet a ouvert cet automne –, qu’il est brutalement remis en cause. Calibré à 1,5 milliard d’euros sur 15 ans (100 millions par an), il pourrait s’avérer largement insuffisant si le risque né de l’envolée du franc suisse se confirmait.
Un risque jusque là "dormant"
Au début des années 2000, dans la période de commercialisation et de diffusion des emprunts toxiques, de nombreuses collectivités ont souscrit des prêts indexés sur la parité entre l’euro et le franc suisse, ou le dollar et le franc suisse. Si des alertes étaient régulièrement lancées, le risque couvait jusqu’à maintenant : la fin de l’arrimage du franc suisse à l’euro et son appréciation immédiate ont soudainement "activé" la toxicité contenue dans les formules de calcul des taux d’intérêt de ces prêts.
La fin de l'arrimage
1 euro pour 1,20 franc suisse, c’est terminé. Plus que l’orientation prise par la BNS, c’est la soudaineté de la décision qui a surpris. Les circonstances (appréciation du dollar vis-à-vis de l’euro, rachats de titres par la Banque centrale européenne…) ont seulement précipité les choses. Désormais, le franc suisse est à parité avec l’euro. Si la progression du franc suisse à un peu plus de 20% était confirmée, les conséquences financières seraient dévastatrices pour un grand nombre de collectivités.
Des taux doublés, voire triplés
D’après les premières simulations réalisées, les taux d’intérêt supportés par les collectivités ayant des emprunts toxiques indexés sur le franc suisse pourraient être multipliés par 2 ou 3, voire plus en fonction de l’évolution à venir du franc suisse. Philippe Laurent, secrétaire général de l’AMF, a estimé que le surcoût pourrait atteindre "entre 1 et 1,5 milliard d’euro" pour l’ensemble des collectivités territoriales. Parallèlement, ce sont donc également les fameuses "IRA" (indemnités de remboursement anticipées) demandées par les banques aux collectivités souhaitant "sortir" de leurs emprunts toxiques qui vont être très largement renchéries. Or, le fonds de soutien aux collectivités avait justement été calibré sur une estimation globale des IRA liées aux emprunts toxiques calculée… avant l’envolée du franc suisse. Alors que 2014 avait permis d’entrevoir la résolution du dossier des emprunts toxiques (création du fonds de soutien, loi de "sécurisation des contrats de prêts structurés"), ces derniers jours remettent tout en question.
Réunions de crise à Bercy
Au total, près de 1 000 collectivités locales sont a priori éligibles au fonds de soutien, dont le guichet est ouvert jusqu’au 30 avril. Certains comme Christophe Greffet, président de l’APCET (Acteurs publics contre les emprunts toxiques), estiment qu’il doit immédiatement être revu et porté à 200 voire 300 millions d’euros par an. Ces derniers jours à Bercy, les réunions de crise se sont enchaînées. Face à cette nouvelle difficulté, les voix s’élèvent pour considérer que la pertinence serait pour les collectivités de maintenir leur action en justice contre les banques avec qui elles avaient contracté des emprunts toxiques. A rebours de ce que souhaite l’Etat. A suivre…
Romuald Sautier