Une campagne de prévention des risques de cancers cutanés liés à l'exposition solaire des enfantsest entreprise par l'lnstitut National du Cancer. De nombreux médecins ont reçu une affichette " Protégez-le du soleil, vous le protégerez du cancer " et quatre moyens sont proposés 1) casquette, 2) lunettes, 3) tee-shirts, 4) crème solaire. Ces quatre moyens sont réunis sous l'appellation " le bouclier anti cancer".
On remarque que sur cette affiche, le mot cancer est écrit quatre fois. Pas une fois, il n'est écrit cancer de la peau. L'affiche éditée par l'Institut National du Cancer nous dit qu'en protégeant un enfant du soleil, on le protège du cancer. ll risque d'y avoir confusion entre protection contre le cancer de la peau et protection contre les cancers en général. Et il est très vraisemblable que cette confusion soit voulue. Les publicitaires ont probablement pensé que promettre une protection contre le cancer, et donc contre tous les cancers, était plus attractif que de promettre une protection contre les seuls cancers de la peau.
D'autre part, on voit mal comment les lunettes de soleil pourraient éviter un cancer. Les lunettes peuvent être utiles pour améliorer le confort et pour ne pas fatiguer la vue, mais elles ne peuvent en aucun cas prévenir quelques cancers que ce soit. On peut même à la limite penser qu'un enfant n'ayant pas de protection oculaire souffrirait plus vite du soleil et qu'il y resterait moins longtemps exposant donc moins sa peau. Les lunettes seraient donc indirectement cancérigènes.
On pourrait pour la même raison considérer la casquette comme risquant de permettre de mieux tolérer une exposition prolongée et, donc, comme dangereuse si on est concerné uniquement par la question du cancer de la peau.
On sait par ailleurs, que le soleil de midi est particulièrement agressif. Or aucun conseil n'est donné pour éviter les heures les plus dangereuses. Pourquoi? La campagne se présente sur un mode ludique, on voit un soleil méchant et un enfant bien protégé par quatre éléments qui constituent son "bouclier anti cancer". Or, il se trouve que les quatre éléments, casquette, lunettes, tee-shirt et crême solaire, sont tous quatre des produits à acheter, des produits de consommation.
Eviter les heures où l'ensoleillement est le plus dangereux serait un comportement très différent. Ce ne serait pas de l'ordre du plus de consommation d'objets marchands, ce serait une utilisation modérée réfléchie responsable de biens non marchands.
Les publicitaires veulent influencer nos choix en jouant sur nos inconscients, mais les publicitaires ont eux-mêmes un inconscient. En oubliant la question du soleil de midi qui doit être évité, et en nous proposant quatre objets de consommation, ils se situent dans une dynamique de consommation. Ils nous incitent à laisser les enfants consommer autant qu'ils le voudront de l'exposition solaire, à condition de consommer aussi les quatre produits proposés. L'idée d'un monde où on consommerait moins, de façon mieux informée et plus responsable, ne les effleure pas.
Jean-Pierre LELLOUCHE