Sénat : au club des rois fainéants

Publié le 29 janvier 2015 par Lecriducontribuable

Article extrait du dossier « Profession politicien », Enquêtes du contribuable n°1, octobre-novembre 2013. Toujours disponible.

Certains diront que le Sénat est inutile. Pour beaucoup de Français, c’est une maison de retraite pour un personnel politique âgé, le refuge de politiques recalés du suffrage direct ou un repaire pour truands protégés par l’immunité parlementaire. Pour d’autres, il est indispensable à l’équilibre démocratique de notre système parlementaire.

En sus de son traitement mirifique, le sénateur bénéficie de toute une série de commodités. A la Chambre haute, on trouve, entre autres, un restaurant et sa célèbre cave à vin (quelques milliers de bouteilles), un salon de coiffure, une lingerie, une salle de sport (souvent vide), un labo photo et même un atelier d’ébénisterie…

Non seulement les sénateurs sont très bien logés quand il leur advient d’être à Paris (une dotation de 75 euros par jour leur est versée ) mais ils peuvent aussi bénéficier de prêts avantageux pour l’achat d’un logement… Jusqu’à 75 000 ou 150 000 euros selon la région, au taux annuel de 2 % sur 18 ans. De quoi donner du baume au coeur des 3,6 millions de Français mal-logés…

Le Sénat buissonnier

Le plus scandaleux est que les sages de la Haute assemblée y mettent rarement les pieds. Seule une soixantaine de sénateurs sont assidus aux séances publiques. Pour leur défense, ces élus expliquent que le vrai travail parlementaire se déroule en commission et pas en séance. L’article 15 alinéa 3 du règlement du Sénat stipule qu’en cas de trois absences consécutives d’un sénateur dans la commission dont il est membre, son indemnité de fonction pourra être réduite de moitié. Malheureusement cette disposition n’a jamais été appliquée. De toute façon, ceux qui suivent les séances publiques du Sénat auront pu le constater, les sénateurs écoutent rarement l’orateur, trop occupés qu’ils sont à bavarder avec leurs voisins ou à s’occuper de leurs affaires personnelles.

Les heureux résidents du palais du Luxembourg n’ont aucune excuse pour expliquer ces absences. Comme pour les députés, chaque sénateur peut profiter de la gratuité du réseau SCNF et en 1re classe (demi-tarif pour les conjoints) ainsi que 46 allers-retours en avion, en France métropolitaine. Arrivé à Paris, chaque élu bénéficie de 3 000 euros de frais de taxi par an, d’une carte gratuite pour le métro et surtout du parc auto du Palais (une vingtaine de voitures à 45 000 euros l’unité).

« Le Sénat est le seul club que je connaisse où l’on paye la cotisation des membres ». Un sénateur

D’autres facteurs expliquent ces absences. Il existe 78 « groupes d’amitié » avec les pays étrangers. Ils permettent aux sénateurs de partir en voyage tout frais payés (et souvent en famille). Le travail sur place laisse beaucoup de temps libre pour les activités touristiques. Chaque sénateur peut adhérer à autant de groupes qu’il le désire. Il leur est demandé une cotisation annuelle de seulement 19 euros par pays. Et c’est sans compter les quelques dizaines de « groupes d’étude », à l’intitulé sympathique, comme « les arts de la rue et du cirque » ou « la chasse et la pêche ». Ces groupes sont le lieu d’intrigues de couloir et de lobbying, dont le Sénat est le carrefour.

La réserve parlementaire

Parmi les multiples ressources du Sénat, la réserve parlementaire (qui sert à financer des associations et des collectivités dans les circonscriptions) est comme la partie émergée de l’iceberg. Elle s’élève, selon les spécialistes du sujet, à 150 millions euros, Sénat et Assemblée nationale confondus. Le crédit de cette caisse, caché à l’intérieur des budgets de différents ministères, ne sert qu’à acheter les électeurs… Le vrai pactole, est celui de la caisse de retraite des anciens sénateurs qui se monterait à quelque 500 Meuros.

Une retraite en platine

En moyenne, un sénateur touche 4382 euros nets par mois pour une obligation de cotisation de seulement 15 ans. La retraite maximum peut atteindre 6000 euros mensuels pour 25 ans de cotisation. Pour bien se rendre compte, après un mandat de six années, un sénateur recevra 1869 euros de pension. Cette somme est supérieure à ce que touche un Français du privé après 40 ans de cotisation. La réforme de 2010 ne change quasiment rien, si ce n’est l’âge légal de départ en retraite. Les veuves et veufs, pour leur part, touchent 66 % de réversion, taux le plus élevé de France… A force de privilèges, la douloureuse du Sénat, les contribuables la sentent passer. En 2013, le montant de la dotation de l’Etat dépasse les 323 millions d’euros. Cette enveloppe, votée par les sénateurs, est immédiatement placée, personne ne sait où, et fait des petits. Le profit ainsi dégagé, les Français ne le revoit pas, cela va de soit… Il sert probablement à opérer de nombreux et luxueux travaux de réfection du Palais et des immeubles achetés ici et là dans les beaux quartiers parisiens. Comme par exemple l’achat du 46, rue de Vaugirard en 2002, dont la rénovation a coûté plus de 10000 euros le mètre carré.

Pierre Bergerault


Aux abonnés absents

Bien payés, les 348 sénateurs français ont peu de risques d’être victimes de surmenage : « Au Sénat, un tiers ne siège jamais et un tiers rarement. Sur le tiers qui reste, un tiers n’intervient guère, un tiers rarement. Tout se joue donc entre une trentaine de sénateurs. C’est apaisant », ironisait Yves Guéna, en 2010, dans ses « Mémoires d’Outre-Gaulle », le général s’étant lui même prononcé pour une fusion de la Chambre haute et du Conseil économique et social en 1968. Certains élus ne mettent jamais les pieds au palais du Luxembourg : en 2011, « FanFan » a été désigné champion absolu de l’absentéisme. Il s’agissait du sénateur radical de gauche François Vendasi, 71 ans, élu de Haute-Corse : « Je me rends au Sénat seulement une fois par an, car ce n’est pas avec des effets de manche dans l’amphithéâtre du Sénat qu’on règle les dossiers », expliquait-il alors à France-Soir. F.D.


Bons baisers de… Berne

En Suisse, nos sénateurs passent pour des guignols… En témoigne le billet qu’a signé sur son blog, en mai dernier, Fathi Derder, un conseiller national (l’équivalent d’un député français) du canton de Vaud.

« D’accord, d’accord… Nos amis français sont venus lundi à Berne. Une délégation du Sénat en visite. On s’attendait à du lourd: on a été servis. La totale. Ce ton, ce style inimitable: ne jamais parler, toujours expliquer.Au repas déjà, chez l’ambassadeur, une sénatrice « explique » à ma table que la France est un pays ultralibéral. Oui, Madame. Elle nous raconte les us et coutumes des habitants de cette terre lointaine. Inconnue. Je lui fais remarquer que, si la France est un pays « ultralibéral », la Suisse est un club échangiste. Sous ecsta. Quelques minutes plus tard, en séance, un sénateur nous « explique » que nous ne comprenons pas la France. Et sa fiscalité. Il faut savoir que, pour un élu français en tournée en province, si on n’est pas d’accord, c’est qu’on ne l’a pas compris. Alors il réexplique, plus lentement. Il articule. C’est inintéressant, mais joli à entendre. Puis, devant notre lenteur – toute helvétique –, une sénatrice admet alors que, dans le fond, nous « ne pouvons pas » comprendre la question fiscale française. Car la Suisse est, je cite, « en retard en matière de dépenses publiques ». La preuve : les crèches. Je n’invente rien. Désarmante France. Quarante ans de déficit, une dette abyssale, mais elle fait la leçon. Elle donne un cours de gestion de faillite au pays le plus riche du monde. Le cancre fait la nique au premier de classe: le panache laisse coi. Admirable. Encore ! Moralité : la crise française est plus grave que prévu. On se trompe, notamment, sur sa cause. La France ne souffre ni de son chômage ni de sa dette : elle est malade de son aveuglement. Incapable de se remettre en question. Le fameux «déni»: l’Allemagne a tort, la Suisse a tort, tout le monde a tort. Et la France ? Elle a raison. D’accord ? D’accord. Et pendant ce temps, elle coule. Encore et encore. C’est que le début. D’accord, d’accord…»

 Articles extraits du dossier « Profession politicien », Enquêtes du contribuable n°1, octobre-novembre 2013. Toujours disponible.

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