Sonnait midi.
La porte de l'école s'ouvrit.
Les gamins sortaient au galop
Mais s'arrêtèrent aussitôt
À quelques pas.
C'est que ce matin-là,
Simon, le fils de la Blanchois
Venait en classe pour la première fois.
Mais les écoliers ne l'aimaient pas.
L'un d'eux annonçait :
-" Simon, il n'a pas de papa. "
Un autre lui lançait :
-" Comment t'appelles-tu ? "
-" Simon. " -" Simon quoi ? " Simon se tût.
-" C'est pas une réponse, ça !
Vous voyez bien qu'il n'a pas de papa ! "
-" Si, j'en ai un. " -" Où est-il ? "
Alors Simon avisa un petit voisin :
-" Toi non plus, t'as pas d' papa. " dit-il
-" Si, j'en ai un ;
Il est mort ; il est au cimetière. "
Et les autres enfants entonnèrent :
-" Pas de papa ! Pas de papa ! "
Un gars le frappa :
-" Va le dire à ton papa ! "
Et tous répétèrent : -" Pas de papa ! "
Alors, le jeune martyr
Prit la fuite
Aussi vite
Que ses jambes le permirent
Et alla non loin cacher ses pleurs
Dans une cabane de pêcheurs.
Soudain, une voix grave lui demanda :
-" Qu'est-ce qui te fait tant de chagrin ? "
-" Ils m'ont battu...car...j'ai pas d' papa... "
-" Comment ? Tout le monde en a un ! "
-" Moi, j'en ai pas. "
L'homme avait reconnu le fils de la Blanchois.
-" Allons, console-toi, mon gars,
Je vais te raccompagner chez toi.
On t'en donnera ...un papa, un vrai. "
L'homme souriait.
Il n'était pas fâché de voir
Une des plus jolies filles du pays
Dont on lui avait conté l'histoire.
Si, autrefois, elle avait failli,
Elle pourrait bien faillir de nouveau.
Arrivé au seuil de la maison de Simon,
Le pêcheur, assez penaud,
Annonça : -" Madame, voici votre garçon. "
Mais il ne savait plus comment partir.
Alors Simon se prit à dire :
-"Monsieur, voulez-vous être mon papa ? "
La réponse se faisant attendre, il insista :
-" Comment vous appelez-vous donc ? "
-" C'est Philippe, mon nom. "
-" Eh bien, Philippe, vous serez mon papa ! "
L'homme embrassa Simon et s'en alla.
Le lendemain, Simon, tout fier,
Jeta aux écoliers :
-" Il s'appelle Philippe, mon papa. "
-" Philippe qui ? Philippe, c'est pas un nom ça ! "
Pour éviter que la situation dégénère,
Le maître d'école intervint.
Et Simon rentra chez sa mère.
Les mois suivants, Philippe vint
Souvent voir la Blanchois chez elle.
De nouveau, on a jasé sur la belle !
De nouveau, des écoliers déclarèrent :
-" Philippe n'est pas ton papa.
Si c'était vrai,
Ça se saurait.
Il serait le mari de ta mère.
Or il ne l'est pas.
C'est donc pas ton papa ! "
Alors Simon courut voir Philippe chez lui
Et lui rapporta les paroles
De ses camarades d'école.
-" Je parlerai à ta mère à midi;
Ne crains rien,
Tout ira bien. "
Philippe se rendit chez la Blanchois
Et d'un ton courtois,
Lui déclara sa flamme :
-" J'aimerais que vous deveniez ma femme... "
Elle embrassa Philippe tendrement
Et se retourna vers Simon :
-" Va dire à tes garnements
Que ton papa, c'est Philippe Lebon. "