Je n’étais pas là début janvier, j’étais loin, tellement loin que le 7 janvier j’aurais voulu rentrer. Bref, pas possible. Après une journée quelque peu hébétée, le lendemain, je suis allée au MoMA PS1 dans le Queens à New York. Il s’agit d’un centre d’art contemporain qui a élu domicile dans une ancienne Public School, lieu intéressant et impertinent qui montre l’art actuel et interroge souvent, par lui, notre monde. Ce que j’y ai vu là-bas ? Une exposition s’intitulant Zero Tolerance, comme un écho particulier.
MoMA PS1. Photo: C.R.
Dans cette exposition, les artistes choisis sont tous engagés. Ils ne cherchent pas à faire du "beau" mais de l'intéressant, du politiquement engagé, il y a quelque chose de révolutionnaire dans ce que l'on voit. Il y est question de liberté, de liberté d'expression, de lutte contre le totalitarisme, contre les discriminations aussi, ce qui a été interrogé ici, ce sont les tensions régnant entre contrôle et liberté, un difficile équilibre qui peut basculer dans une telle volonté de contrôle qu'il y a alors une totale perte de liberté.
Joseph Beuys, Democracy is Merry (Demokratie ist lustig).1973/2014. Reproduction of screenprint. © 2014 Artists Rights Society (ARS), New York / VG Bild-Kunst, Bonn
Les artistes viennent de partout, j'en connaissais quelques uns mais bien peu au fond. Ce que j'y ai découvert m'a interpellée, interrogée. Le commissaire de l'exposition, Klaus Biesenbach (qui avait aussi "commis" 14 Rooms lors du dernier Art Basel dont je vous avais parlé là) est parti de cette citation de Joseph Beuys « Every human being is an artist » (chaque être humain est un artiste). Joseph Beuys est un artiste allemand (1921-1986) qui a défini le concept de "sculpture sociale" et qui pensait que l'art a le pouvoir d'éduquer, que « le seul acte plastique véritable, consiste dans le développement de la conscience humaine ». En partant de là, tout acte visant à lutter pour une société plus juste ou moins coercitive devient acte créatif et donc art. Ainsi, dans Zero Tolerance les activistes deviennent artistes et vice versa, c'est pourquoi l'on y rencontre aussi bien des œuvres de Yoko Ono que la vidéo de l'action des Pussy Riot à Moscou, et beaucoup d'autres encore.
Act Up New York, SILENCE = DEATH, 1987. Poster. Courtesy Act Up New York. Photo: C.R.
SILENCE = DEATH (1987), l'affiche du collectif Act Up New York est l'une des images fortes de cette exposition. Elle est simple, directe, efficace, elle énonce un fait, c'est quand on se tait que l'on meurt, c'est quand on arrête de se battre que cesse la vie. Act Up est un groupe diversifié, non-partisan d'individus unis dans la colère et déterminés à agir afin de mettre fin à la crise du SIDA (on retrouve un groupe équivalent en France, né deux ans après son cousin new-yorkais).
Yoko Ono, WAR IS OVER! If You Want It – Happy Christmas Form Joh And Yoko, 1969. Poster. Courtesy the artist
Un autre message simple et percutant : WAR IS OVER! If You Want It – Happy Christmas Form Joh And Yoko (1969), cette affiche de Yoko Ono est juste une impression en noir sur blanc mais c'est comme dans le contrats, il ne faut pas oublier de lire ce qui est en tout petit, c'est ça qui est important. Là, c'est le « If You Want It » qui est en petit, il ne faut pas le négliger, en effet, c'est à nous de faire en sorte que nos idées, nos convictions se réalisent, elles ne le feront pas toutes seules. Nous sommes maîtres de nous et du monde dans lequel nous vivons. Si on ne fait rien, qui fera à notre place ?
Les photographies de l'artiste chinois Song Dong sont émouvantes et percutantes, elles aussi. Pour la série Breathing, les photographies ne sont qu'une trace d'une performance réalisée à Beijing en 1996 par Song Dong. Sur l'une des photographies, il se trouve sur la place Tiananmen, la veille du Nouvel An. Pendant 40 minutes, il respire, face contre le sol, la condensation gèle et crée ainsi une feuille de glace sur cette place si célèbre : c'est là qu'un homme, seul avec ses courses, s'est dressé face à une colonne de chars afin de lutter, de façon non-violente, contre la répression armée (c'est là aussi que sont morts de nombreux défenseurs de la liberté en Chine). Song Dong, parallèlement à son action sur la place Tiananmen, a réalisé la même sur la surface gelée du lac Houhai, à l'ouest de la Cité Interdite. Cet acte de respirer n'a fait aucune impression sur la feuille de glace existante, normal, me direz-vous ! Par cette performance, Song Dong nous invite à réfléchir à nos actes : même une "petite" action peut être suivie d'effets et devenir énorme en fait... tout dépend d'où on la fait.
Song Dong, Breathing. 1996. Courtesy the artist and Pace Beijing
Interroger la question de la liberté est un exercice périlleux : où s'arrête notre liberté et jusqu'où notre liberté peut-elle aller sans nuire à celle d'autrui ? En quoi une idée est-elle meilleure qu'une autre ? En quoi une idée du monde peut-elle faire basculer ce dernier dans le passé et l'obscurantisme ? Je, nous vivons dans un monde où des artistes ont la possibilité de créer ; où des journalistes peuvent écrire ce qu'ils veulent, dénoncer, interroger, faire réfléchir par leurs propos, leur articles, leurs mots, leurs dessins ; où un couple gay peut enfin se marier s'il le souhaite et où la liberté d'expression bafouée a réussi à nous réunir (enfin, là aussi) ; mais ce n'est de loin pas le cas partout. C'est un combat de tous les jours et de tout temps, la preuve : même dans un pays où la devise est « liberté, égalité, fraternité » on se demande parfois si on ne l'a pas oubliée au profit de soi-même. Il a peut-être fallu un trop violent et meurtrier électrochoc pour (espérons) nous sortir de notre léthargie.
Tout ça pour dire que, cette exposition, je l'ai vécue comme un rappel que, quoique nous fassions, la liberté, l'expression, les droits fondamentaux à se vivre ne sont pas acquis mais sont sans cesse remis en question et c'est à nous de nous battre pour qu'ils perdurent. Il est rare de voir des expositions politiquement engagées, qui mettent en avant et cautionnent des idées pouvant ne pas être consensuelles alors qu'au fond elles ne sont que l'acceptation d'autrui et de nos différences, merci donc, c'est précieux et important.
Cécile.
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ZERO TOLERANCE
26 octobre 2014 – 8 mars 2015
1st floor, MoMA PS1
Artistes :
Igor Grubic, Rirkrit Tiravanija, Oyvind Fahlstrom, Yoko Ono and John Lennon, Asco, Lorraine O’Grady, Harun Farocki, Song Dong, Francis Alys, Francis Alys, The Radek Community, Mircea Cantor, Sharon Hayes, Zhao Zhao, Amal Kenawy, Artur Zmijewski, Ahmed Basiony, Chim Pom, Voina, Pussy Riot, et Halil Altindere.
Hours: MoMA PS1 is open from 12:00 p.m. to 6:00 p.m., Thursday through Monday. It is closed on Thanksgiving, Christmas, and New Year’s Day. artbook@MoMA PS1 is open from 1:00 p.m. to 5:30 p.m., Thursday through Sunday.
Admission: $10 suggested donation; $5 for students and senior citizens; free for MoMA members and MoMA admission ticket holders. The MoMA ticket must be presented at MoMA PS1 within thirty days of date on ticket and is not valid during Warm Up or other MoMA PS1 events or benefits.
Directions: MoMA PS1 is located at 22-25 Jackson Avenue at 46th Ave in Long Island City, Queens, across the Queensboro Bridge from midtown Manhattan and is easily accessible by bus and subway. Traveling by subway, take either the E or M to Court Square-23 Street; the 7 to 45 Road-Courthouse Square; or the G to Court Sq or 21 St-Van Alst. By bus, take the Q67 to Jackson and 46th Ave or the B62 to 46th Ave.