Deuil et fureur du monde

Publié le 29 janvier 2015 par Fabianus

Manifestation "anti-Charlie" à Zinder (Niger) le vendredi 16/01/15


Trois semaines se sont écoulées depuis l'holocauste de Charlie Hebdo. Trois semaines à réaliser que je ne reverrai plus de nouveaux dessins de Cabu, mon préféré. Comme un travail de deuil, une résignation à la fatalité et aux fureurs de monde que ne dissipera jamais la pourtant si belle journée du 11 janvier : communion des cœurs. Nous étions tous Charlie.
Oui, à peine le temps de réaliser l'ampleur de la perte que déjà l'obscurantisme viole le respect du couvre feu mémorial. Parce que Charlie reprend, parce qu'il a remis à sa une la caricature de Mahomet (pourtant gentille) les esprits s'échauffent ! 
Environ 20 000 personnes ont manifesté à Herat, troisième ville d'Afghanistan. Des drapeaux français y ont été brûlés et les manifestants ont demandé des excuses officielles de la France ! Les frères Kouachi, auteurs de l'attaque contre Charlie, auraient même connu des hommages appuyés !
Le Niger a sombré dans la violence éruptive ! Là bas on a tué des chrétiens comme s'ils étaient responsables de la publication d'un journal principalement géré par des athées. La fureur du monde vient balayer la recherche de quiétude, cette folle envie de continuer l'élan démocratique et républicain du 11 de ce mois.
Le Niger, à 80% musulman, a sombré dans la folie vengeresse attisée par la participation de son Président Mahamadou Issoufou à la marche pacifique, au nom de Charlie. Le pays de l'Uranium trouve là une belle occasion de s'en prendre aux valeurs du pays colonisateur, lequel continue à exploiter ses richesses par l'entremise d'Areva. 
Ce pays, que menacent à brève échéance l'Aqmi et Boko-Haram, aura trouvé en Charlie Hebdo le bouc émissaire et la victime expiatoire des longues années de misère et de soumission à l'Occident.
Mes pensées qui vont vers Charlie se fracassent, dès lors, aux flux de frustrations tumultueuses et criminelles. La mémoire des morts se fissure au gré du fracas d'un monde inégalitaire, anxiogène, et dont l'agressivité morbide ne pourrait trouver source que dans l'unique impudence d'une caricature.
Trois semaines ont coulé depuis le drame immense
Et le deuil se déchire des tumultes du monde
Mes larmes retenues pour Cabu font silence
Sous le fracas cinglant des vengeances fécondes.

Les crayons en croquant le prophète pleurant

N’ont pas mis sous les doigts de milliers d’offensés
La gomme du pardon aux douceurs du Coran
Mais plutôt le flambeau d’un grand autodafé.

D’Hérat au Pakistan ils brandissent la haine

Contre les résistants de la libre expression
Condamnés comme impies, d’obédience païenne
C’est Charlie rejugé pour griffe aux religions.

Trois semaines ont passé sans respect de nos morts

Dans ces pays noircis par l’immense misère
Supportée dans la foi comme on gère un trésor
Qui noue la pauvreté aux ferventes prières.

Jusqu’à l’obscurité dans l’erreur des croyances

Dans l’abîme des peurs et de l’aveuglement
Alors souffle le vent des pires intolérances
Qui emporte le feu de tout discernement.

Le Niger a tué le chrétien désarmé

Mouton expiatoire d’un dessin blasphémant
Une vie sacrifiée pour des œuvres athées
Qui raillent à l’envi toutes fleurs de croyants !

Niamey a souffert que son grand Président

Vienne au cœur de Paris se déclarer Charlie
Il a grogné d’effroi le cœur du musulman
A sublimer d’orgueil l’élan d’un hallali.

Le Niger vit l’aigreur d’une offense pérenne

Commencée sous le gris des colonisations
Poursuivie par le vol des mannes souterraines
L’uranium d’Areva, habile exploitation.

Quand le diable se niche dans les plis de la foi

Qui nourrit un pays jusque dans ses blessures
Une frêle étincelle peut porter aux abois
Toute paranoïa nimbée de démesure.

Et le simple dessin en son humour prôné

Fait le lit des vengeurs hermétiques à la danse
Des facéties moqueuses dont ils n’ont pas la clé
D’une compréhension,  tant l’abscons se fait dense.

Et le simple dessin de tout honneur croqué

Joue la mèche acérée d’une bombe fatale
Rebaptise un tueur en héros glorifié
Mon deuil va, barbouillé d'encre inquisitoriale.