Décidément, notre gouvernement, c’est un peu l’ours Baloo de la jungle politique française : il lui en faut peu pour être heureux. Et ce « peu » se traduit, surtout lorsque les moyens manquent cruellement, par de grands moulinets oratoires, des petits cris, et, inévitablement dans ce monde connecté du oueb deux zéro, par l’un ou l’autre sites internets qui marqueront les esprits par leur totale inutilité rigolote.
La droite avait donc largement entamé le capital-crédibilité des institutions républicaines dans tout ce qui touche aux nouvelles technologies, qui ne sont plus si nouvelles, trente ou quarante ans après leur massification, mais qui semblent rester désespérément hors de portée de nos politiciens.
On pouvait espérer mieux d’une gauche progressiste et pleine de djeunzs qui en veulent. Las. Je passerai pudiquement sur l’épisode Désir d’Avenir que les plus jeunes d’entre nous ne connaissent peut-être pas et qui avait largement prouvé qu’on peut prétendre exercer la plus haute distinction du pays tout en faisant preuve d’un attachement quasi-malsain pour le passé et une méconnaissance totale des technologies modernes.
Lorsqu’enfin, cette gauche de progrès — qui sait tweeter et liker du partage facebook comme pas deux — est parvenue au pouvoir, elle a à son tour montré qu’elle ne valait pas mieux que la droite en matière d’interweb, de sites didactiques et de chatons mignons. Et cette année a commencé sur les chapeaux de modem 56K avec des vœux du gouvernement croustillants de niaiserie (que j’évoque ici par exemple).Il aurait été dommage de s’arrêter là. Le #Fail n’aurait pas été épique et nos dirigeants, quand ils se gamellent, recherchent toujours à obtenir le plus de dégâts possibles, avec une gourmandise incompréhensible mais absolument indéniable. Si l’affaire doit se terminer piteusement, autant y aller à fond et réclamer du collatéral éclaboussé, de la honte, des hashtags infamants, des trending-topics qui écorchent. Peut-être est-ce pour cela que la communication élyséenne contient régulièrement des fautes d’orthographe ?
En tout cas, côté Matignon, on se donne un sacré putain de mal pour passer pour des boulets, notamment lorsqu’il s’agit de bien vendre l’action gouvernementale (qui veut du Kit Repas de Famille ?), et jusqu’à présent, l’objectif est très bien atteint. Trop peut-être puisque dans l’enthousiasme, on apprend qu’en quelques jours, le gouvernement a décidé de lancer deux opérations d’importance.
L’une est consacrée à tordre le cou à quelques mythes sur l’attractivité française, et ne mérite malheureusement pas plus qu’un aller-retour désolé sur l’infographie minimaliste proposée. Au passage, on notera que http://gouvernement.fr n’est pas du tout le même selon qu’on choisit l’anglais ou le français. Manifestement, nos amis anglophones seront donc cajolés avec des explications sur les vilain mythes de la France réelle (vue depuis Matignon, en tout cas), alors que les francophones seront immédiatement plongés dans l’autre France réelle (vue depuis la place Beauvau, apparemment).
Et cette autre opération contraste violemment avec les fadaises sucrées auxquelles il nous avait habitué. Cette fois-ci, avec Stop-Djihadisme, c’est une déclinaison de « Toi Aussi, Stigmatise Un Djihadiste » qui nous est proposée avec force icônes et moult vignettes, le tout agrémenté de textes colorés écrits en gros et d’une vidéo qui a déjà encombré une partie considérable de la bande-passante de leurs serveurs.
Et là, une question lancinante revient dans la tête de l’internaute égaré qui découvre le contenu âprement mis en ligne par les fiers tâcherons des intertubes de Matignon : à qui s’adresse donc ce site ? Selon la presse, toujours bien rencardée dès qu’il s’agit de faire la retape de la main qui la nourrit, ce site s’adresse à des personnes en voie de radicalisation et offre des conseils à leurs proches.
Eh oui, mes petits amis, parce que lorsqu’un djihadiste en herbe s’apprête à se lancer dans le terrorisme ou à plier bagage pour la Syrie ou l’Afghanistan, il commence par tapoter gouvernement.fr dans la barre d’URL de son navigateur personnel. Et là, paf, c’est la surprise : il tombe quasiment nez à nez, ou disons nez-à-site avec une vidéo du site franco-français Daymolition sur le terrible sujet du djihadisme.
Notez au passage que l’orthographe djihadisme a été préférée à jihadisme ou même giadisme, mais immédiatement affublée d’un # pour, d’une part, faire tendance / web-2.0 / réseau social / swag et d’autre part aiguiller les futurs tweets dans la bonne direction optimisée SEO. Et pour que le message passe bien, outre des mots simples, un numéro de téléphone facile à retenir (et, bien sûr, payé par le contribuable gratuit), et un formatage du site façon plaquette de présentation de lingettes nettoyantes pour machine à café, les concepteurs sont allés jusqu’à inclure une sympathique série de pictogrammes simples à comprendre qui ne dépareilleraient pas la porte d’une toilette publique.
Quelque part, c’est touchant : Gouvernemaman se fait du souci pour ses piou-pious et futurs contribuables auxquels elle explique donc, en détachant bien les mots pour éviter qu’ils s’embrouillent la tête, les signes avant-coureur d’une radicalisation pathologique.
Quand on voit ça, on ne peut que s’écrier : Malheureux ! Arrêtez ! Ne dévoilez donc pas tous les subtils indices qui permettent de repérer le déviant du Français normal qui mange du pain et écoute du Zazie. Si vous continuez, il apparaît évident que pour mieux se fondre dans la foule des Français normaux, le djihadiste, surfant sans vergogne sur les sites gouvernementaux, va dorénavant faire exactement le contraire : il va redoubler d’effort pour ne pas se laisser pousser la barbe, manger des croissants au beurre et écouter du Christophe Maé (et sa radicalisation n’en sera alors que plus compréhensible).
C’est là qu’on commence à percevoir une réponse à la fameuse question lancinante : à bien y réfléchir, ce site a la forme d’un site qui ne s’adresserait pas aux bonnes personnes, il a l’odeur d’un site qui louperait sa cible et la couleur d’un site qui taperait à côté. D’autant que, sur les cas connus, la radicalisation des terroristes n’a pas eu lieu sur le web. Zut alors.
Ça sent encore un bel #EpicFail, ça, mes amis.Bien évidemment, on comprendra que ce site n’est pas destiné aux cibles en question, mais exclusivement à justifier l’existence du service qui l’a pondu, et à communiquer sur les « actions » que le gouvernement entreprend pour lutter contre la terrible menace.
Maintenant, le constat de l’absurde nullité gouvernementale dans le domaine des intertubes impose de se poser la question : et si c’était un symptôme d’un mal plus étendu ? Et si ce que bricole notre gouvernement est si pathétiquement nul sur internet, pourquoi subitement en serait-il autrement dans les autres domaines ?
Les efforts déployés par le gouvernement sont visiblement bien plus mauvais sur ce support spécifique parce que les usages, les codes et les modes opératoires sont mal maîtrisés par l’institution gouvernementale, résolument branchée dans les années 70 ou 80 (au mieux). Mais en réalité, ce qu’il fait ailleurs est exactement du même tonneau. La seule différence est que les communicants et les politiciens se sont bien mieux adaptés au type de communication vertical, du haut vers le bas, que leur offraient la télé ou la radio, qu’au mode horizontal et multipolaire d’internet, qui ne les loupe pas. Autrement dit, le gouvernement est plus habile à camoufler la nullité de ses agitations lorsqu’il s’exprime au travers de canaux qu’il maîtrise.
Mais sur internet, sa nullité se voit. Terriblement. #LOL.
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