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À la recherche du moindre mal

Publié le 29 janvier 2015 par _nicolas @BranchezVous
À la recherche du moindre mal Exclusif

À quel moment une compagnie techno devient-elle officiellement et irrémédiablement «Evil»? Difficile à dire, mais quelques cas récents démontrent que Google, Apple et Microsoft font de leur mieux pour accomplir l’exploit.

Il y a bien longtemps, à l’époque où il était de bon ton d’arborer un compteur de visites et quelques étoiles tourbillonnantes sur sa page personnelle GeoCities, je suis tombé en faisant semblant de travailler par pur hasard sur un site où un petit comique vendait des t-shirts arborant le slogan «Cthulhu for President : Why Settle for the Lesser Evil?», ce qui se traduit à peu près par «Votez pour Cthulhu : Pourquoi se contenter du moindre mal?» La blague doit avoir connu du succès puisqu’elle a été reprise un peu partout depuis, dont ici.

Pour choisir le moindre mal, encore faut-il faut être capable de le trouver. Tâche pénible par les temps qui courent, parce que tout le petit monde de la techno semble s’être donné le mot pour démontrer un maximum de dépravation en même temps.

Pourquoi est-ce que je vous parle de cette anecdote aujourd’hui? Parce que pour choisir le moindre mal, encore faut-il faut être capable de le trouver. Tâche pénible par les temps qui courent, parce que tout le petit monde de la techno semble s’être donné le mot pour démontrer un maximum de dépravation en même temps.

Trouvez la faille et criez-la sur tous les toits

Commençons par la détestable habitude qu’ont prise les développeurs du Project Zero de Google de dévoiler au grand jour les failles dans les systèmes d’exploitation rivaux. La semaine dernière, c’était dans OS X; à l’automne, c’était dans Windows. La prochaine fois, nous apprendrons peut-être que c’est Google qui, directement ou indirectement, jette le PlayStation Network de Sony sur son virtuel postérieur à tout bout de champ.

«Oui, mais les compagnies visées étaient au courant depuis trois mois et n’avaient rien fait pour corriger les problèmes», me direz-vous. Vrai. L’incurie d’Apple et de Microsoft, qui ont laissé leurs clients en position de vulnérabilité pendant une éternité et demie, justifierait sans aucun doute une bonne bastonnade.

Mais publier les failles, pour le plus grand plaisir de tous les pirates de second ordre qui ne les avaient pas déjà débusquées, est-ce mieux? Non. Google n’a pas agi pour le bien-être de la communauté ou pour forcer Apple et Microsoft à réagir, mais pour que ses propres produits paraissent mieux en comparaison – et au diable les dommages collatéraux.

Dr. Evil, principal antagoniste de la série Austin Powers (Image : New Line Cinema).

Dr. Evil, principal antagoniste de la série Austin Powers (Image : New Line Cinema).

Pas convaincu? Imaginez que vous êtes une brebis et qu’un loup vous dévore au milieu de la nuit. Qui blâmerez-vous : votre berger qui est parti en vacances pendant trois mois sans vous prévenir, ou bien le manufacturier de clôtures qui a lâché des loups chez vous pour convaincre les autres fermiers d’acheter son produit?

Ne répondez pas, c’est une question piège. Vous vous en ficherez éperdument parce que vous serez en train de macérer dans les sucs gastriques d’un canin à grandes dents… et ne serez pas en état de vous plaindre à qui que ce soit.

Pas d’empreintes pour toi!

Parlons maintenant de cette histoire de lecteur d’empreinte digitale qui devait améliorer la sécurité du Nexus 6 jusqu’à ce qu’Apple achète le fournisseur que Motorola avait choisi, transformant la cavité prévue à cette fin dans la coque du téléphone en élément décoratif pas particulièrement esthétique.

Est-ce que la présence d’un lecteur d’empreinte digitale constituait un avantage concurrentiel à la fois imbattable et indispensable pour les appareils d’Apple? Sûrement pas, sinon on aurait vu ce dispositif apparaître sur les iPad, iPhone et Mac de toutes les catégories en même temps. Est-ce qu’Apple aurait pu permettre à sa nouvelle filiale de fournir sa technologie à d’autres manufacturiers? Très probablement, et avec profit en plus. Est-ce que cela aurait contribué à améliorer la sécurité globale du parc de téléphones intelligents? Bien sûr que si, et c’est bien là le problème.

Est-ce qu’on peut vraiment se permettre de se passer d’un outil de sécurité simple et rapide, même si la protection supplémentaire qu’il offre est relativement modeste?

Les lecteurs d’empreinte digitale ne sont pas une panacée, c’est vrai; il est possible de les tromper et ils ne devraient donc pas remplacer complètement les mots de passe ou les NIP – du moins, pas pour le moment.

Mais quand on sait que les internautes insistent, année après année, pour choisir «123456», «password» et «qwerty» comme mots de passe, selon les données compilées par SplashData à partir de millions d’enregistrements coulés sur Internet par des pirates, est-ce qu’on peut vraiment se permettre de se passer d’un outil de sécurité simple et rapide, même si la protection supplémentaire qu’il offre est relativement modeste?

Restreindre l’accès à une mesure de sécurité, même quand elle ne sert qu’à protéger les étourdis contre eux-mêmes, c’est mal. Mal, mal, mal.

L’entreprise multinationale est-elle un monstre indomptable?

thecorporation

Il y a quelques années, le documentaire The Corporation et le livre qui l’accompagnait posaient une question troublante : si l’entreprise privée est une «personne morale» devant la loi, de quelle sorte de personne s’agit-il?

La réponse, un peu grossière mais révélatrice, est que le comportement normal d’une corporation (égocentrisme, maximisation du profit à court terme, externalisation des coûts, irresponsabilité sociale) ressemble à s’y méprendre à celui d’un psychopathe.

Nuire à la sécurité d’autrui pour des raisons commerciales, ça aussi, c’est un comportement de psychopathe.

Peut-être que Cthulhu représenterait le moindre mal, finalement.


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