Dans la soirée d'hier et au cours de la nuit, des détonations terribles de nos pièces d'artillerie de gros calibre, qui faisaient vibrer toutes les vitres et même trembler la maison où je suis réfugié, 8 rue Bonhomme, se sont fait entendre.
- Vers 15 heures, alors que nous sommes en plein travail, au bureau de la comptabilité, le conservateur du cimetière du Sud, M. Jumeaux, vient déposer les états qui doivent servir à établir le mandat de paiement pour ses fossoyeurs. Il nous annonce joyeusement que nos troupes ont réalisé une avance signalée jusqu'à Nauroy - et il s'en va.
M. Vigogne déplie aussitôt l'une de ses cartes d'état-major, qu'il a continuellement sous la main et plusieurs collègues se déplacent pour aller auprès de lui, se rendre compte de ce mouvement en avant du front. Ils sont eux ou trois, à suivre par dessus son épaule les indications qu'il leur donne, en supputant l'importance du succès obtenu, lorsqu'un obus, arrivant soudain sur l'hôtel de ville, éclate en heurtant une poutrelle, au dessus de l'escalier de la Bibliothèque.
Le surprise est complète.
Au bruit de l'explosion formidable qui a suivi immédiatement le sifflement, M. Vigogne en se levant brusquement s'est exclamé "M..." et ceux qui l’entouraient se sont sauvés avec lui, tandis qu'on l'entendait crier encore :
"En voilà un qui n'est pas loin."
Absorbé dans mes écritures, j'étais resté à ma place que la curiosité allait me faire quitter également. Je n'ai pu que baisser la tête sur mon pupitre instinctivement et apercevoir l'un de mes camarades faire des bonds entre les tables.
L'émoi passé, nous voyons revenir Jumeaux, la figure ensanglantée. Tous, nous le questionnons :
"Vous êtes blessé ? - Ce n'est rien", dit-il, j'allais quitter le vestibule pour sortir dans la cour au moment où le projectile arrivait et ce ne sont que des plâtras qui m'ont atteint.
En effet, ses vêtements sont tout blancs et il n'a, heureusement pour lui, que des éraflures superficielle à la tête - mais il a été secoué ; il lui faut quelques instants pour se remettre de l'émotion ressentie si violemment.
Nous venons de reprendre nos occupations respectives, après nous être félicités mutuellement d'en être quittes pour la peur et avoir constaté que le conservateur du sud l'avait échappé belle. Nous en étions à plaisanter M. Vigogne qui, malgré sa surdité avait si énergiquement souligné l'explosion de cet obus, quand un deuxième projectile survient dans les mêmes conditions. Celui-là éclate dans la cour, au-dessus de la porte du bâtiment principal, à peu de distance de la dernière fenêtre de notre bureau ; un peu plus à droite, il entrait en plein dans la "comptabilité".
Enfin, un troisième obus arrive encore, peu après, sur la rue de la Grosse-Ecritoire, endommageant fortement le "salon rouge" de l'hôtel de ville et les extérieurs ; des morceaux de cet engin projetés par son explosion aussi forte que les précédentes, brisent comme verre les solides barreaux de fer forgé, aux fenêtres de la salle où fonctionne provisoirement le bureau des allocations.
Ni d'un côté, ni de l'autre, il n'y a heureusement de victimes.
Des éclats que j'étais allé chercher en haut de l'escalier, aussitôt l'arrivée du premier obus, la fusée du second, ramassée quelques instants après dans la cour, avec des balles, nous font voir que ce sont des shrapnells de 150, tirés probablement par les pièces sur tracteurs opérant ainsi, depuis quelques temps, devant Reims.
Le bombardement a éprouvé également les environs de la mairie et différents quartiers de la ville.
- Nous lisons cette lettre, dans Le Courrier d'aujourd'hui :
Petite correspondance
Les habitants de la rue Chanzy s'étonnent de ne recevoir leur courrier qu'entre 12 et 15 heures, alors que ceux des quartiers avoisinants le reçoivent entre 12 et 13 . L'administration des postes ne pourrait-elle remédier à cet état de choses, ce qui permettrait aux intéressés de pouvoir répondre dans la même journée ?
Un groupe d'habitants.
Des réclameurs, il y en a toujours ; c'est égal, en raison des circonstances et des difficultés actuelles, on a du mal à admettre une telle mesquinerie dans les exigences.
Le groupe (?) d'habitants qui a produit et signé cela ne se rappelle probablement pas qu'en septembre et octobre 1914, nous avons été privés, pendant un long mois, de toute communication avec l'extérieur de la ville. Il laisse supposer qu'il n'était pas à Reims car il apprécierait mieux l'avantage de recevoir, chaque jour quelque correspondance... même avec le délai imposé entre l'arrivée et le départ.
L'administration des Postes, à qui s'adresse indirectement la lettre jugera de son opportunité, mais le journal, en l'ayant rendue publique, l'a soumise ainsi à ses lecteurs. Je ne doute pas que quelques-uns soient de mon avis.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Vendredi 29 - Nuit tranquille pour la ville.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims
29/1 - Vendredi - Beau temps, gelée. Violente canonnade de notre part toute la matinée et dans l'après-midi. Sur le soir, le calme parait rétabli quand à 7 h 1/2 un coup de nos pièces ouvre la séance qui va sans doute recommencer à 3 h si fort, bombardement des gros obus sur un édifice de la ville dans un autre (?).
La nuit fut, encore un peu mouvementée. Canonnade intermittente.
Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918
Voir ce beau carnet sur le site de sa petite-fille Marie-Lise Rochoy