Une nouvelle que j’aime beaucoup que j’ai écrite il y a quelques temps déjà. Encore une fois, je raconte la vie de deux personnes avant l’inévitable. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? Voici la première partie.
Jour 1
Mes parents sont des cons. Ce n’est pas une façon de parler, c’est une réalité. Je suis partie de chez moi dès que j’ai eu dix-huit ans et ils étaient ma seule et unique famille. Depuis, j’habite seule dans un neuf mètres carré sous les toits de Paris, une « chambre de bonne » comme ils appellent ça. J’ai du mal à vivre, à joindre les deux bouts mais je suis indépendante et c’est ça qui compte. Je gère aussi difficilement mes émotions, mes problèmes, mon passé qui font celle que je suis. Une fille complètement déboussolée. Je ne gémis pas sur mon sort, non ! Ce serait mal me connaître. Je déteste les gens qui se plaignent et qui gémissent à la moindre occasion. Je raconte ma vie sans complaisance. Je suis tout simplement réaliste.
J’étais en train de rêvasser, de penser à tout ça, à ma vie, mes amours, mes emmerdes, quand je l’ai aperçu à l’autre bout du quai. Il ne ressemble pas à Brad Pitt mais il est plutôt mignon. Il n’est pas très grand, brun, les yeux marron, une allure très classique dans les tons de l’automne. Un charme simple et naturel. Mais c’est son regard qui a fait exploser mon cœur en mille morceaux. Un regard intense qui s’est plongé dans le mien comme s’il cherchait à fouiller au plus profond de moi et à découvrir celle qui se cache sous tout ce foutoir. Personne ne m’avait jamais regardé de cette manière, ne m’avait regardé comme si j’existais vraiment. Comme s’il voyait mon âme au-delà de mon corps.
Elle m’a regardé. Enfin ! Elle m’a regardé avec ses grands yeux tristes, ses yeux en forme de larme, ses yeux couleur de lune. Je la croise tous le jours depuis une semaine la jeune fille aux yeux couleur de lune. Tous les jours vers 17h20 sur le quai de la station Argentine sur la ligne 1 et quand elle n’est pas là, je l’attends. Je l’attends impatiemment. Elle est plutôt jolie, de longs cheveux bruns et une peau laiteuse. Mais ce qui m’a frappé chez elle c’est son côté « je suis perdue ». Elle me donne l’impression d’être arrivé là par hasard sans savoir quoi faire ni où aller. J’ai envie de la prendre dans mes bras et de l’amener avec moi mais, malheureusement, je ne peux pas. Je ne suis pas le preux chevalier qui délivrera la belle princesse. Je suis juste un petit serveur sans grande prétention. Et là, je pars bosser dans un bar à Châtelet et si j’arrive en retard, je vais me faire tuer. Alors, je rêve éveillé à notre premier rendez-vous, notre premier baiser, notre première nuit…
Le métro arrive et il ne me reste que quelques minutes pour profiter d’elle. Alors, je la regarde, je la regarde à en avoir les yeux qui brûlent. Puis elle descend deux stations plus loin et s’éloigne sans un regard. J’ai hâte demain.
Jour 2
J’ai couru pour arriver à l’heure sur le quai. Mon boss m’a retenu dans son bureau sous un faux prétexte, tout ça pour pouvoir mater mon décolleté. Quel gros porc ! Je le déteste mais je n’ai pas le choix, je suis obligée de supporter ses regards salaces et ses remarques de mauvais goût. J’ai besoin de ce job, j’ai besoin de travailler pour payer mes factures, mon loyer. Mais, je ne veux plus penser à ça. Je ne pense qu’à lui, à l’inconnu du métro. Je suis complètement idiote d’espérer le revoir, d’espérer qu’il soit sur le quai, à la même station et à la même heure qu’hier, un peu comme s’il m’attendait. Il est même presque quasiment impossible que je le recroise un jour. Cette ville est trop grande, il y a trop de monde et trop de possibilités. Mais je ne peux m’empêcher d’espérer, d’espérer comme une ado avec des papillons qui dansent la rumba dans mon ventre.
Je dévale les marches quatre à quatre, je le cherche du regard puis je le vois enfin. Il lit le journal, Le Figaro, il feuillette le supplément culturel. Je l’imagine en étudiant, assis dans un grand amphithéâtre prenant des notes, à noircir des pages à la bibliothèque ou à lire du Shakespeare allongé sur la pelouse de la fac. Je l’imagine en étudiant en art ou en cinéma non, plutôt en étudiant en architecture car même s’il a des envies d’artiste, il a aussi un côté terre à terre qui lui permet de garder la tête sur les épaules. Je l’imagine dans mes bras…
Il regarde dans ma direction. Je me demande s’il m’a vu, s’il m’a reconnu, s’il sait que j’existe. J’espère qu’il sera là demain.
Pendant un instant, j’ai cru qu’elle ne viendrait pas. Mais la voilà enfin. Elle semble essoufflée, elle a couru. Peut-être a-t-elle rendez-vous quelque part ? Avec des amis. Elle sort boire un verre pour se détendre avant de rentrer chez elle. Peut-être même qu’elle ira dans le bar où je travaille. Et là nous engagerions la discussion et nous échangerions nos numéros de téléphone. Ce serait le plan idéal. Ou alors elle va au cinéma voir le dernier Woody Allen. Je la vois bien aimer ce genre de film, des comédies romantiques sur fond d’enquête criminelle. Ou bien le pire des scénarios, elle a peut-être rendez-vous avec son petit copain. Un grand brun aux yeux verts, avocat de son état, qui gagne cinq mille euros par mois et qui roule en BMW. Et là, ça en serait vraiment fini pour moi. Mais qu’est-ce que je reconte ? Je divague complètement. Je suis jaloux du petit ami hypothétique d’une jeune fille que je ne connais même pas. En tout cas, elle est bien jolie ce soir dans sa jupe noire cintrée et ses petites ballerines de danseuse. Elle a le charme désuet d’une babydoll et je ne peux m’empêcher de la regarder encore et toujours. M’a-t-elle vu la regarder ? Voit-elle que par-dessus les pages de mon journal, je ne vois qu’elle ?
La suite la semaine prochaine…